19/ Tremblement de terre et répliques

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Contre toute attente, Petrus, qui est nettement moins à l'aise en italien que Céleste, mais s'en sort très bien en anglais, entame sans tarder une conversation enflammée sur les voitures de sportives avec les deux plus jeunes frères Malatesta. Il a louché d'envie en voyant la Maserati de l'aîné. Aux yeux des mâles Malatesta, ce garçon a des atouts indéniables par rapport aux précédents petits-amis de Pia, c'est certain.

Comme elle s'y attend un peu, l'intérêt de Giuseppe étant feint, Céleste regarde le jeune homme l'abandonner sans aucun scrupule aux questions très personnelles de nonna Maria. Questions auxquelles elle répond du bout des lèvres sous l'œil jaloux de nonna Gianna. À croire que Céleste est SA française. Ce qui est plutôt amusant quand on connaît l'histoire de Gianna.

Galeazzo, quant à lui, n'a d'yeux que pour Francesca. Tout du moins en apparence. Céleste a surpris un ou deux regards dans sa direction. Alessandro observe son petit monde avec amusement. C'est l'impression qu'il donne en tout cas. Olimpia pense donc, sans doute sincèrement, avoir la paix et profite du repas qui est somptueux comme elle l'a promis à Céleste.

Jusqu'à ce que son père ouvre la bouche entre l'escalope de veau à la milanaise et le dessert.

– Dis-moi, Olimpia, j'ai entrevu ton emploi du temps... tu persistes réellement sur cette voie ?

La jeune italienne a déjà expliqué à Céleste que sa spécialité, la psychologie, déplaît prodigieusement à son père, qui considère cette partie de la profession médicale comme tenant pour grande partie du charlatanisme.

– Oui papà ! Pourquoi ? répond spontanément la jeune fille en mâchant plus lentement le bout de gressin qu'elle vient de croquer.

Son père hausse un sourcil. Il n'a pas l'habitude qu'elle lui réponde aussi rapidement. Olimpia aime calculer. Louvoyer. Olimpia est stratégique. D'habitude. Est-ce la présence de Petrus qui la rend si impulsive ? Ou celle de cette Mlle Melville que son second fils a délaissée si soudainement qu'il lui est apparu évident qu'elle n'est pas là pour lui, mais pour Pia ?

– Tu sais très bien pourquoi.

– Et tu sais que je ne vais pas changer. Alors pourquoi poser la question à chaque rentrée ?

– Je pourrais te retourner la question. Pourquoi continuer à faire des choses que je désapprouve à chaque rentrée ?

– Je ne vois pas de quoi tu parles, répond Pia avec un demi sourire et un coup d'œil vers Petrus.

Si son père veut aller sur ce terrain-là, elle ne va pas le contrarier. Olimpia sait bien qu'Alessandro n'est jamais à l'aise avec ce genre de conversation. Elle se souvient parfaitement de Gianna lui expliquant les secrets du corps féminins (seins et règles, en l'occurrence) parce que son père s'était défilé quand elle était venue lui poser des questions. Elle se souvient aussi de la pathétique conversation avec Maria sur le thème de la sexualité...

Alessandro préfère déléguer ce genre de chose. Alors Olimpia n'est pas inquiète. Pourtant, elle aurait dû l'être. Car si son père n'est effectivement pas à l'aise, il sait néanmoins se faire violence quand un problème devient trop compliqué pour être réglé par un autre.

– Tu ne vois pas de quoi je parle, hein ? Tu es une fille très intelligente Olimpia, ce qui me fait penser que tu gâches ton potentiel dans ce cursus sans avenir. Mais tu sais aussi saisir les opportunités quand elles se présentent, et au besoin, tu les provoques, n'est-ce pas ? Il y en a eu combien d'opportunités depuis deux ans ? Attends ! Laisse-moi compter ! Hans, David, Antoine, Freidrich, Anton et Julio ! Ça fait six. Sept avec Petrus. Mais je me trompe peut-être. L'opportunité de cette rentrée ce pourrait aussi bien être cette française ! Avec toi, on peut s'attendre à tout !

– Papà ! Mais qu'est-ce qui te prend ? s'écrie Olimpia outrée en posant sa main sur le bras de Céleste.

Par ce geste, elle veut s'excuser de ce qui est en train de se passer, mais rend également ambiguë sa position face aux dernières paroles de son père.

– Et toi, ma fille ? Qu'est-ce qui te prend ? Petrus se doute-t-il seulement de ce que tu lui réserves ? Et cette fille... cette française !

Petrus entendant son prénom s'arrête de parler pour se tourner vers le père et la fille qui se font face, chacun de son côté de la table. Néanmoins, la colère qui se lit dans leurs yeux le dissuade d'intervenir. Il revient donc aux frères Malatesta qui, eux, ne se sont pas arrêtés de discuter. Ils ont l'habitude des prises de bec entre Alessandro et sa fille. Par expérience, ils savent qu'il vaut mieux ne pas s'en mêler.

Céleste, elle, est rouge de honte et de colère. Elle n'a pas l'habitude que l'on parle de son hypothétique sexualité. Surtout de manière aussi frontale et devant tant de monde. Depuis son arrivée, la jeune femme n'a pas beaucoup parlé. Elle s'est contentée de faire des réponses simples. Courtes. Alessandro Malatesta n'a sans doute aucune idée de ce qu'elle comprend. Il ne sait pas qu'elle connaît bien leur langue, qu'elle en saisit aussi toutes les nuances. Le ton employé pour parler d'elle lui a transpercé le cœur. Elle a envie de lui faire une remarque qui lui ferait honte.

Mais un gloussement sur sa droite lui fait tourner la tête. Adossée à Galeazzo avec une certaine nonchalance, Francesca s'amuse de la situation. Céleste se redresse encore plus, la fusille de son regard si particulier, et l'italienne cesse immédiatement de ricaner... pour chuchoter quelque chose à l'oreille de Galeazzo qui sourit.

C'en est trop. Céleste veut bien rendre service, mais pas être la risée de cette famille de friqués ! Elle pose sa serviette et se lève précipitamment, bousculant au passage nonna Gianna qui venait à la rescousse avec un plat ... plein de biscotti odorants.

Le plat lui échappe des mains et se fracasse sur le sol en répandant son contenu. Le bruit de porcelaine brisée a le mérite de faire taire tout le monde pendant quelques secondes. Ensuite, c'est un bazar indescriptible, où chacun voulant se rendre utile, ajoute au désastre, et où Céleste qui se confond en excuses auprès de Gianna en ramassant les morceaux, se fait chasser par Giuseppe et Giambattista venus à la rescousse.

Désormais inutile, et passablement honteuse, la jeune fille s'éclipse sans un mot et sans que personne ne se rende compte de rien. Du moins, en apparence.

Romance à l'italienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant