3 🎄 La Musique du Silence

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Son bonnet bordeaux étreignant ses cheveux de jais, Alizée serrait son sac à dos entre ses bras, son regard onyx contemplant d'un air absent le paysage défilant par la fenêtre. Le bus roulait à une allure modérée, parcourant les routes de campagne avec prudence, les bosses et creux dans le bitume secouant les passagers. La jeune femme remarquait les soupirs et marmonnements mécontents d'autres voyageurs, mais elle ne pouvait pas les entendre. Au contraire de ses camarades de transport, les cahotements impromptus et quelques fois brutaux du véhicule ne la dérangeaient pas ; plutôt que de la déstabiliser, ils rythmaient son trajet comme les ballotements réguliers d'un train, les intervalles égaux d'un métronome, une berceuse apaisante qui n'atteignait jamais ses tympans.

Lorsqu'elle s'était installée sur son siège, déjà plusieurs heures auparavant, la neige n'avait que parsemé la ville qu'elle quittait, comme une fine couche de sel éparpillée sur un plat aux reliefs gris. Mais plus le bus s'enfonçait loin dans la campagne, et plus la blancheur glacée s'épaississait, recouvrant les arbres dénudés comme un tricot aux mailles étincelant sous les faibles rayons du soleil couchant. De ses yeux attentifs, Alizée avait contemplé les visages s'émerveillant de ce spectacle, les lèvres s'étirant en sourires ravis et les bouches s'ouvrant sur des exclamations de joie qu'elle ne pouvait discerner. S'enivrant de la splendeur de la nature, elle se réjouissait de constater que la métropole dans laquelle elle effectuait ses études n'envahissait pas son cœur pour occulter son amour du grand air.

De plus en plus familière des chemins que le car empruntait, la jeune femme commençait à s'agiter sur son siège. Pratiquement immobile pendant l'entièreté de son voyage, elle devenait maintenant intenable alors qu'elle approchait de son foyer, submergée par l'impatience qu'elle avait pourtant contenue jusqu'à l'imminence des retrouvailles avec sa famille pour les fêtes de fin d'année. Le barrage qu'elle avait érigé avait cédé sous le poids de l'excitation qui inondait son cœur et rafraîchissait son âme. Une vague d'allégresse, un déferlement de pureté. Une onde qui propageait la joie et la sérénité au sein de son être et qui s'épanouissait en une effervescence d'euphorie.

Lorsque le véhicule entama un ralentissement doux, des vibrations dérangeantes parcoururent les parois et firent frémir le siège, n'octroyant à Alizée que la possibilité d'imaginer le grincement désagréable que les freins émettaient. Glissant les lanières de son sac à dos sur ses épaules, elle vérifia que ses écouteurs s'enfonçaient correctement dans ses oreilles et que leur fil disparaissait dans la poche de son manteau. Ils n'étaient reliés à aucun appareil et, par conséquent, ne diffusaient aucune musique, mais ils lui offraient une excuse de qualité quand une personne inconnue lui adressait la parole et qu'elle ne répondait pas, incapable de déceler le son de sa voix.

Se levant alors que le conducteur immobilisait le bus à l'aide du frein à main, la jeune femme attrapa son sac de voyage qui reposait dans le compartiment en hauteur et se traîna vers l'avant du car, freinée par le poids de ses bagages - et des cadeaux de Noël qu'elle transportait pour sa famille. Apercevant les lèvres du chauffeur se mouvoir sur un « joyeux Noël » exagérément articulé, elle esquissa un mince mais authentique sourire en guise d'au revoir et de remerciement. Le froid glacial la heurta tel un mur invisible et implacable dès que les portes s'ouvrirent pour la laisser rejoindre le trottoir. Piquant ses joues mates de ses centaines de petites et vicieuses aiguilles, il s'infiltra sous les mailles de son écharpe et engourdit ses doigts avec la vivacité d'un chat s'emparant d'une souris.

Le soleil avait rapidement disparu au cours de la dernière heure de trajet, invitant le soir à étendre sa cape obscure pour en recouvrir le ciel et obligeant l'étudiante à marcher dans la neige sous la luminosité faiblissante. Elle n'était pas particulièrement friande de cette ambiance sombre et hivernale, qu'elle préférait nettement contempler depuis un intérieur chaud et confortable, une tasse de chocolat chaud à la main, plutôt qu'y effectuer une balade. L'arrêt de bus de ne situait qu'à une quinzaine de minutes à pied de la maison familiale, mais la seule perspective de cette marche doucha instantanément l'excitation qui l'avait saisie à peine quelques minutes plus tôt.

Calendrier de l'Avent 2022 [Terminé]Where stories live. Discover now