13🎄 L'Envol de Noël

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Au sein de la gare Twin Pines Station, carrefour des chemins menant aux quais, croisée des voies guidant vers des lieux multiples, s'élevaient les notes d'un piano, résonnant entre les murs froids et impersonnels. Envoûtée par la délicate mélodie, Lisa s'interrompit pour contempler le spectacle du jeune homme caressant les touches noires et blanches du bout de ses doigts, avec passion et tendresse, délectation et rêverie. S'affranchissant des regards alentours, le musicien composait un bouclier d'harmonie à l'aide de ses accords, son hymne symphonique en guide de bulle protectrice. Une armure brodée dans les nuances de son instrument.

Surgissant du néant, des voix aux différentes tonalités se mêlèrent à la sérénade claironnante, lui offrant des ailes et lui permettant de planer, de surplomber les esprits maussades et enjoués en un nuage d'allégresse et de sérénité. Un instant hors du temps formé par une cohésion musicale, un moment suspendu partagé entre anonymes, quelques minutes volées au cours de la vie. Une éphémère éternité contenue entre les gammes jouées par des inconnus. Tissé dans la mélodie ensorcelante, un fil de soie reliait les voyageurs qui, pourtant, n'effectueraient qu'une brève traversée dans leurs souvenirs respectifs. Une unité, une complémentarité. Une concordance incongrue et inattendue.

Alors que la musique se tarissait, une brume invisible et intangible s'écoula de la ritournelle faiblissante, rappelant aux passants qu'ils devaient s'extirper de cette torpeur tout en essayant de les y emprisonner. Fugace et fascinante. Ondoyante et captivante. Ensorcelante. S'évaporant comme une flaque d'eau sous un soleil de plomb, la léthargie commune se dissipa et libéra les spectateurs de son joug. D'un regard encore songeur, Lisa observa le jeune homme récupérer son sac à dos et reprendre son chemin comme si rien ne s'était passé, comme s'il n'avait pas créé de la magie à partir de simples pressions de ses doigts sur un piano. Trop humble pour s'apercevoir de l'effet qu'il provoquait, trop réservé pour croiser les yeux des autres voyageurs.

Ébahie, elle remarqua le reste des passants se disperser, brisant le lien qui les avait unis aussi aisément que l'on fissure une assiette de porcelaine. Tous plus différents les uns que les autres, ils retournaient à leur trajet, rejoignant leur famille ou leur travail, leur amour éloigné ou leurs amis de longue date. Certains revêtaient d'élégants costumes, d'autres portaient des vêtements confortables en vue de leur voyage ; quelques-uns marchaient d'un pas pressé alors que quelques autres flânaient comme si le temps leur avait ouvert une parenthèse dans laquelle les secondes ne s'écoulaient pas. Une croisée des chemins, un lieu de divergences, un espace d'attente et d'espoirs, de promesses et de départs... de fins et de débuts.

-On devrait y aller, souffla Cara dans l'oreille de sa sœur, la sortant de sa rêverie. Mon train ne va pas tarder à arriver.

Acquiesçant d'un signe de tête, Lisa suivit sa sœur vers la voie qu'elle devait emprunter. La valise que tirait cette dernière derrière elle émettait un bruit constant, perturbé par le défaut d'une des deux petites roues en plastique. Rejoignant le quai - pratiquement vide en ce jour de Noël - sans même se rappeler du chemin, la jeune femme se dirigea instinctivement vers le toit protégeant les voyageurs des intempéries hivernales. Les flocons, épais et compacts, tombaient de manière dense sur le chemin ferré, avec la régularité et la vigueur d'une boule à neige venant d'être secouée. Les étoiles glacées glissaient sur les rails sans parvenir à y adhérer, mais s'accumulaient en revanche sur les pavés du quai pour former une mince couche blanche sur le gris morne de la pierre.

Agitant périodiquement la poudreuse qui se soulevait en minces volutes avant de retomber platement sur la nappe cotonneuse, le vent s'ébattait paresseusement et vicieusement, s'insinuant avec langueur dans les interstices des vêtements pour piquer leurs propriétaires de ses aiguilles glacées. Abritées de la neige sans pouvoir contrer les bourrasques et le froid environnant, Cara et Lisa tentaient vainement de se réchauffer en attendant l'arrivée du train. Frissonnant malgré leurs accessoires de laine, les deux jeunes femmes échangèrent un regard complice ; sans même avoir besoin de la mentionner, elles savaient qu'elles étaient prêtes à s'amuser de leur grand-mère, de qui elles étaient persuadées de tenir leur frilosité naturelle.

Calendrier de l'Avent 2022 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant