La liste

4 - La Première commission

De retour dans le couloir, Patricia ne cessait de pleurer. Elle tenait entre ses mains un mouchoir imbibé de larmes et une mini valise sous son bras. Enveloppée par le cocon consolateur d'Evelyne, elle s'assit sur le banc. Ses pieds tremblaient et son cœur battait à tout rompre. Hier, elle n'avait pas pu participer à la graduation de Jacob, parce qu'elle devait se rendre à Carrefour pour l'hospitalisation de sa mère qui souffrait d'arthrose. Pourtant, depuis plus d'un mois, elle avait tout préparé pour cette occasion. Malgré sa volonté d'y participer, Marcel l'en avait dissuadé, et lui avait fait comprendre que Jacob comprendrait. Qu'elle devrait tenir compagnie à sa mère. Jacob aussi trouvait que cela était tout a fait normal.

Lorsqu'elle reçut la nouvelle, elle allait apporter à sa mère de quoi manger. Elle reçut la nouvelle si brusquement que le plat se renversa entre ses mains.

« Salut Pat ! Tu es où ? Il faut que tu viennes tout de suite, il s'est passé quelque chose avec les garçons. Ils ont eu un terrible accident. »

Patricia avait 32 ans. Elle était avocate. Elle a grandi à Carrefour, à Mahotière, entourée de parents aimants et de ses deux frères. Depuis toute petite, elle rêvait de faire des études en droit. Et avec des parents soucieux et friqués, elle eut la chance d'étudier à Gonaïves. Lorsqu'elle obtient son diplôme 4 ans plus tard, elle se fait embaucher par une petite boite comme stagiaire. Son intelligence, son amour et sa détermination pour ce qu'elle fait lui propulsa à un rang élevé dans la boite. En moins de 6 mois, elle s'était vu hisser au rang d'employés permanents.

Aujourd'hui, elle avait son propre cabinet. Elle était associée avec Tara Desima, l'une de ses collègues à Gonaives. La plus intelligente de leur promotion. Ensemble, elles avaient résolu un nombre incalculable d'affaires.

À l'instant même, l'homme de sa vie se trouvait entre la vie et la mort. Une chance pour Jacob, qui, lui s'était réveillé.

- Pourquoi il ne se réveille pas, demanda-t-elle en pleurant.

Evelyne ne répondit pas, mais continua à lui caresser le dos. Elle ne savait pas quoi dire pour la réconforter. Elle aussi doutait que Marcel puisse se réveiller.

La nouvelle de leur accident l'avait complètement anéantie elle aussi. Après la graduation, elle était en route pour un rencard lorsqu'elle apprit la nouvelle. C'était elle la première personne à se présenter comme la famille des victimes. Evelyne avait un cœur en or, comme disait souvent Marcel et encore une fois, elle en faisait preuve. Puisque les deux hommes n'avaient plus de famille proche, ou plus de famille tout court, ce sont les deux filles qui s'occupèrent de tout. Chambre, lit, etc...

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Roland Geneus a servi dans l'armée au milieu des années 70. Il était sergent, il habitait à Cité Militaire. C'est là qu'il a grandi, au milieu des lauriers roses et des kandelab. Son père avant lui était sergent et son grand-père avant lui. Avec sa femme, Louise St-Elois, décédée depuis plusieurs années, il avait eu 4 enfants. Tous vivaient aux États-unis. Durant sa vie, il a beaucoup voyagé, néanmoins manifestait le désir de rester ici, en Haïti, à Port-au-Prince, au beau milieu d'une ère complètement révolue. Une ère différente, où, les jeunes ne respectent plus rien. À chaque fois qu'il voyait un jeune manquer de respect à quelqu'un de plus vieux que lui, il mordait ses lèvres de dépit et de colère.

Aujourd'hui il vivait avec Anita, une femme de ménage gentille, qu'il aimait bien. Anita avait 35 ans. C'était une petite dame, ronde et tout le temps souriante. Elle travaillait ici depuis presque 6 ans. Elle a été embauchée par Rony Geneus, le fils cadet de Roland. Son préféré. Au début, elle avait du mal à s'adapter, Roland était trop exigeant et un peu contradictoire sur les bords, aujourd'hui il aime cela et demain il le détestait. Mais au fond, c'était quelqu'un de bien. Anita avait fini par cerner ce vieux tout déglinguer qui n'arrêtait jamais de proclamer son époque et sa gloire.