Chapitre 6

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Je me suis réveillée aux aurores dans l'attente interminable de faire quelque chose. J'ai repassé en boucle chaque partie du plan dans mon esprit. J'ai imaginé des milliers de scénarios tous plus incongrus les uns que les autres.

À présent, je fais les cent pas dans le hall en attendant que mes amis se décident enfin à me rejoindre. J'entends quelqu'un descendre les marches et je me retourne vivement sur une Cali qui fronce les sourcils.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Elle remarque la panique dans ma voix et remue les mains dans un signe d'apaisement.

— Rien de grave... Hestia...

— Oui ?

— Je sais que les garçons sont déjà venus t'en parler... Mais c'est une mauvaise idée que tu y ailles.

— Quoi ?

— Tu es notre future dirigeante, on ne peut pas se permettre de risquer ta vie et celle d'Ignace en même temps.

Je fronce le nez en désaccord avec elle... J'entends ces mots et je les comprends, mais je me fiche de risquer ma vie.

— Je ne changerai pas d'avis, j'y vais. Si tu veux convaincre quelqu'un va voir Ignace.

— Il est encore plus têtu que toi...

Je fuis son regard parce que je ne veux pas voir ses grands yeux vert pâle tenter de me convaincre. J'ai fait un choix et je ne les laisserai pas se battre à ma place. C'est mon combat. J'ai fait une promesse, celle de tuer cet homme et rien ne m'en empêchera, même pas de grands yeux de chat.

— Tu t'adresses à la mauvaise personne, Cali.

Je jette à nouveau un coup d'œil vers elle et elle hoche résolument la tête en gardant les lèvres pincées.

— Ok, je vais chercher les garçons dans ce cas. Elle observe mon arsenal. Je suppose que tu es prête.

— Plus que jamais.

Elle rebrousse chemin et je l'observe grimper les marches. Je ne sais pas si c'est parce que c'est la femme dont je suis le plus proche dans ce château ou parce qu'elle est considérée comme la petite sœur des garçons, mais elle me fait penser à Lua sur certains points. Je suis persuadée qu'elles s'entendraient bien. Vivement que je ramène ma famille ici.


  ❋  


Ils sont tous là. Nous formons deux groupes distincts, ceux qui restent et ceux qui partent. Gaspard me regarde avec de grands yeux humides comme si je partais au bagne. Léandre nous prodigue des conseils évidents parce qu'il déteste se sentir inutile. C'est un exercice difficile que je lui demande. Je suis incapable de décrocher et c'est ce que je l'oblige à faire. Depuis hier, il a repris de la contenance. Il a dû se sentir obligé de se ressaisir et ça me rassure de le voir reprendre sa place. Il s'approche finalement et me prend dans ses bras, je profite de ce câlin.

— Ramène-les. Tous.

— C'est le but, je souffle dans son épaule.

Il recule enfin et lance un regard à ceux qui partent avec moi. Ignace hoche une fois la tête. Je suis surprise de voir Cali se pencher vers lui pour lui parler à voix basse. Je n'ai pas le temps d'observer leur échange qu'Eryk me sert contre son torse. Il vérifie une par une mes armes, mon épée, mes 3 poignards habituels et ma dague à rouelle avec laquelle je compte assassiner le roi de Nostraria. Il a l'air satisfait de constater que je ne suis pas sans défense et même si je l'étais j'ai perfectionné le maniement de mes aptitudes. Mélya s'approche à son tour et m'offre un léger sourire en hochant la tête, je l'imite et elle passe au suivant.

Je me tourne vers Ignace qui serre Eryk dans ses bras, ce n'est pas la première fois que je surprends l'un de ces moments de tendresse entre lui et l'un de ces enfants adoptifs, mais ça me fait toujours bizarre. Cali n'a finalement pas réussi à le faire changer d'avis. Quand les « adieux » se termine enfin je prends la parole :

— Vous surveillez Fëanáro et ne vous inquiétez pas. On rentre vite.

Ils hochent la tête. Je me retourne et me concentre pour créer le portail qui nous mènera à la grille d'entrée du palais. Je sens l'énergie crépiter autour de moi et j'imagine cette énergie former une boule que j'étire encore et encore pour créer le portail. Quand la taille me paraît convenable, je le bloque pour que nous puissions tous passer.

— Je passe en dernière.

C'est Ayden qui ouvre la marche, suivi de Cali et Ignace. Alex s'arrête à ma hauteur et m'offre un clin d'œil avant de passer la surface en mouvement. Léandre m'attrape le bras et je le regarde perplexe. Il me glisse quelques fioles dans la main.

— S'il vous arrive quelque chose.

Je reconnais les petites fioles que je tiens. Elles ressemblent à celles que ma mère nous préparait quand nous nous coupions. Mon frère restait souvent avec elle quand elle préparait des hydrolats. Le liquide orange tourne lentement dans son contenant, je repère un filet bleu tourbillonner paresseusement. Mon frère est devenu un guérisseur hors pair, mais je ne le pensais pas capable d'insérer un fragment de ses aptitudes dans un hydrolat. De ma main libre, j'exerce une pression sur la sienne en remerciement et je fourre les fioles dans ma poche avant de passer le portail.

J'ai appris à traverser les portails sans finir sur les fesses. La lumière m'éblouit d'abord une seconde et ma vision s'acclimate rapidement à l'extérieur. Les murs d'enceinte sont les mêmes que dans mon souvenir. La grille principale est ouverte comme si nous étions attendus. Je passe la délimitation entre la ville et l'enceinte du palais. Les autres sur mes talons, je n'ai pas pris le temps de les consulter. Un garde nous interpelle, mais je l'ignore et avance encore de quelques pas sur l'allée entourée d'arbres immenses. Comment cet endroit peut-il paraître aussi féérique et abriter un démon ? J'entends la voix d'Ayden retentir :

— Tu ne la touches pas !

C'est un ordre clair et précis. Je me retourne. Ayden tient le bras d'un garde qui s'apprêtait à m'attraper l'épaule. Mon ami lui lance un regard meurtrier qui ne donnerait à personne l'envie d'en être la cible. Quand le garde remarque qu'il a mon attention, il recule et arrache son bras de la prise du second d'Ignace.

— Vous devez décliner votre identité. Personne ne peut passer sans accord.

Je le regarde de haut en bas. Il a le cou d'un bœuf, il doit s'entraîner constamment pour être aussi musclé. Je sors la lettre tachée de sang que m'a confié Gaspard la veille et ouvre enfin la bouche :

— Nous sommes les invités que le roi Horos attend.

— Tu as en face de toi Hestia Le Gall et tu es en présence du roi d'Edryae, son second et de son sergent-chef. Ajoute Alex avec un mépris évident qui me fait sourire.

Je lui tends la lettre, mais il ne la prend pas. Il me dévisage et écarquille les yeux. Son regard vire vers mes camarades et je crois le voir devenir plus blanc d'un coup. Il fait une révérence rapide et maladroite à Ignace. Le roi lui sourit tendrement et sa gentillesse me frappe à nouveau. Savoir qu'ici la population le prend pour un monstre ne fait qu'attiser mon animosité sous-jacente.

— Je vais vous accompagner jusqu'au palais.

— Ce ne sera pas nécessaire, je connais le chemin.

Il m'offre un sourire gêné.

— Je ne peux pas vous laisser vous promener seuls dans la propriété.

— Comme tu veux.

Je ne le regarde déjà plus et j'ai entamé le périple qui nous mène au palais. J'aperçois dans mon champ de vision qu'Ignace marche juste à côté de moi. J'entends les pas des autres dans mon dos. Le garde ne s'attendait clairement pas à cette réaction, des pas précipités nous rejoignent comme s'il avait dû prendre un temps de pause pour assimiler les informations qu'ils venaient d'apprendre. Je l'ignore. 

Le Joyau de Nostraria, tome 3 : la naissance d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant