Chapitre 6 : Dénigrement.

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Chapitre 6.2 : Dénigrement.

             Julia s'immobilisa brusquement, le son des graviers s'estompant sous le poids de ses pas. La nuit obscure l'enveloppait depuis un certain temps déjà, mais elle discernait une lueur éclairant la porte d'entrée réservée au personnel, dans la cour arrière.

— C'est exaspérant... murmura-t-elle pour elle même.

Rassemblant son courage, Julia reprit sa route, avançant fièrement vers la cour. Elle resserra son manteau autour d'elle, le vent glacial pénétrant jusqu'au bout de ses pieds.

— Vous êtes une irresponsable. Vous en êtes consciente, n'est-ce pas ? intervint une voix accusatrice.

Julia s'arrêta, fixant le regard de Monsieur Deveau sans laisser transparaître la moindre émotion. Au loin, elle avait discerné une silhouette se dessiner, une carrure bien définie, les bras croisés contre le mur de pierre à proximité de la porte d'entrée. Elle avait immédiatement deviné de qui il s'agissait. Qui d'autre aurait pu l'attendre ainsi, prêt à la réprimander ? Il la cherchait sans relâche. Elle avait naïvement pensé que leur interaction dans la cour, il y a un mois et demi de cela, aurait pu apaiser les tensions. Bien qu'elle eût honte, profondément honte, qu'il l'ait trouvée ainsi, vulnérable, pleurant comme une jeune fille, elle avait esquissé l'espoir qu'il aurait compris. Qu'il aurait réfléchi à son comportement envers elle. Elle lui avait montré sa fragilité, après tout.

Elle n'avait jamais été particulièrement proche de quiconque chez les Jenkins, mais ici, dans cette grande demeure, elle avait espéré trouver des amis ou au moins des personnes avec qui s'entendre. Rien de tout cela. Seule une profonde mélancolie l'habitait après quatre mois de service au domaine de Chantilly.

Le seul être bienveillant était le fils de la famille, Monsieur Charles, bien qu'elle n'eût pas totalement compris l'origine de son intérêt.

— Une irresponsable ? répéta Julia, relevant la tête avec fierté, cherchant à toiser Henri Deveau de toute la dignité dont elle était capable.

— Oui, Mademoiselle Leclaircie. Une irresponsable. Il est presque deux heures du matin, et les aide-cuisinières vont bientôt commencer leur journée.

— Je ne vois pas le rapport.

Le majordome ricana faussement, évitant soigneusement le contact visuel avec la jeune femme, qui, elle, soutenait son regard, une colère bouillonnant à l'intérieur d'elle. Julia songeait que c'était à ce moment précis qu'elle avait décidé de ne plus se laisser marcher sur les pieds, prête à adopter une attitude plus incisive. Si tout le monde la méprisait, pourquoi ne ferait-elle pas de même ? Elle qui avait toujours été si douce, si polie.

— La porte des femmes n'est pas fermée à clé, Mademoiselle, insista Henri Deveau avec véhémence.

— C'est normal, je ne suis pas dans ma chambre.

— Et que ferez-vous si l'une des femmes s'en rend compte ? Si elle décide de jouer les filles volages, tout comme vous ?

Julia baissa la tête, un silence s'installant entre eux, l'air frais de la nuit n'atténuant en rien la tension palpable. Une colère sourde monta en elle, et elle crut un instant qu'elle serait capable de frapper le visage si parfait de ce jeune homme si parfait.

— Monsieur Deveau, en quinze ans de métier, aucun homme vivant ne m'a jamais dominée ni insultée. Et ce n'est pas près d'arriver. J'ai toujours été hautement respectée pour mon travail. Certes, je n'ai jamais travaillé dans une grande demeure comme celle-ci, mais je pense avoir fait mes preuves jusqu'à maintenant. Monsieur le Duc semble...

Révérences et Révoltes : Amour PartagéWhere stories live. Discover now