Chapitre 15 : Impossibilités.

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Chapitre 15.1 : Impossibilités.

           Julia souffla d'exaspération avant de porter un coup de pied à sa table de chevet. L'heure tardive ne faisait que souligner l'épuisement qui pesait sur ses épaules après avoir quitté récemment la chambre de la Duchesse de Chantilly. Près de deux mois s'étaient écoulés depuis le départ de Pauline Lambert, et en ce début d'année 1847, Julia était à bout. Marianne De Villiers avait transformé sa vie en un véritable enfer, et ce qui était encore plus frustrant, c'est qu'elles savaient toutes les deux pourquoi. Cependant, elles n'abordaient jamais le sujet de manière constructive. La Duchesse ne cessait de lui adresser des remarques désobligeantes, sapant habilement son estime de soi avec une subtilité déconcertante.

Mais le pire n'était pas là. Le pire, c'était le traitement que lui infligeait la Duchesse De Villiers, la forçant à travailler comme une vulgaire servante. Les demandes se succédaient sans répit : un savon échappé dans la baignoire, un livre tombé du lit, un autre ouvrage réclamé à la bibliothèque pour finalement être délaissé, une coiffure à refaire et refaire encore... C'était une torture sans fin. À tel point qu'Henri et Julia n'avaient pas eu un seul instant de liberté ensemble pour solliciter l'autorisation du Duc de Chantilly afin de se marier et de continuer à travailler au domaine. C'était un véritable cauchemar.

Julia était bien consciente du malheur qui rongeait la Duchesse depuis bien avant son arrivée, mais il était difficile de ressentir la moindre compassion envers elle à cet instant. La jalousie de Marianne De Villiers à l'égard de sa relation avec Henri était manifeste, mais Julia n'y était pour rien. Si la Duchesse avait des griefs à exprimer, elle aurait dû les adresser au majordome, plutôt que de les projeter sur Julia en la surchargeant de travail, alors que ses responsabilités de gouvernante étaient déjà accablantes.

À travers ce comportement tyrannique, la Duchesse semblait vouloir empêcher Julia de passer du temps avec Henri. Mais il était évident qu'Henri ne se contentait pas de la journée pour la voir. Julia et lui avaient partagé de nombreuses nuits ensemble, apprenant à se connaître davantage, échangeant des mots, des rires, mais surtout, se découvrant et s'aimant mutuellement. Ces moments étaient précieux à ses yeux, devenus sa raison de vivre, et elle attendait avec impatience qu'Edouard De Villiers reconnaisse enfin la hiérarchie qu'Henri lui avait fait parvenir depuis bien longtemps. Une fois libérée de son rôle de dame de compagnie attitrée de la Duchesse, elle pourrait enfin respirer et surtout, être disponible en même temps qu'Henri pour annoncer leur mariage au Duc.

Cependant, il semblait que la question de la hiérarchie des domestiques n'était pas la priorité du moment, loin de là. Des rumeurs de difficultés financières au sein de la famille circulaient, en lien avec les émeutes grandissantes à Paris. Bien que les problèmes n'étaient pas encore graves, Edouard De Villiers était un homme avisé, conscient que quelque chose de plus grave se tramait. Les émeutes à Paris semblaient n'être que le prélude à des bouleversements plus profonds. Certains des investissements des De Villiers connaissaient des revers, des banques faisaient faillite, des commerces de luxe étaient vandalisés et contraints de fermer leurs portes.

Enfin de compte, Julia avait manqué le dîner, en raison des exigences sans fin de la grande Duchesse, et cette dernière en était parfaitement consciente. Julia s'assit lourdement sur son lit, observant la place vide en face d'elle. Depuis le départ de Pauline Lambert, personne n'avait rejoint sa chambre. Le couloir réservé aux femmes était en cours de rénovation et bientôt, elle retournerait dans une chambre flambant neuve.

Son estomac émit un grognement audible, et elle soupira en s'allongeant sur le lit, toujours vêtue de ses habits. Son regard s'égara vers le plafond, empreint d'ennui. Soudain, le grincement de sa porte la tira de sa léthargie. Surprise, elle se redressa, mais un sourire éclaira son visage en voyant Henri apparaître dans l'embrasure.

Révérences et Révoltes : Amour PartagéWhere stories live. Discover now