Chapitre 10

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Duart Castle, 3 semaines plus tard

Jamesina n'eut que le temps de se précipiter vers la cuvette en étain dont elle se servait pour sa toilette avant de rendre le peu de nourriture qu'elle avait réussi à avaler pour rompre le jeûne. Cela faisait près de deux semaines qu'elle subissait les caprices de son estomac. Elle avait d'abord mis son manque d'appétit sur le compte de la tristesse, mais l'épuisement qui l'accompagnait s'était révélé plus préoccupant au fil des jours.

Lorsque les nausées étaient devenues de plus en plus nombreuses et que son estomac n'avait plus supporté la nourriture, elle avait commencé à avoir des doutes. Elle avait tout d'abord prié ardemment pour que ses soupçons ne soient pas fondés, mais elle avait dû se rendre à l'évidence quand ses seins étaient devenus très sensibles et que ses menstrues n'étaient pas revenues : elle attendait un enfant.

Cette découverte l'avait tout d'abord plongée dans un profond désarroi, puis une joie sauvage l'avait envahie à l'idée de conserver un souvenir vivace de son amour perdu. Ce bébé en devenir était une infime partie de Cailean, un mélange d'elle et lui. Le fruit de leur amour. Mais sa joie avait vite été ternie quand elle avait pris conscience des implications de cette grossesse. Elle n'était pas mariée et dès que son état serait visible elle serait considérée comme une fille perdue. Sa famille voudrait connaître l'identité du père de son bébé, mais elle ne pouvait la révéler. Si elle avouait la vérité, ce serait un motif de plus de provoquer un bain de sang entre son clan et celui de Cailean.

Dès lors, son angoisse n'avait fait qu'aggraver la situation, ne lui laissant aucun répit. Elle avait réussi tant bien que mal à cacher à son entourage ses vomissements à répétition, mais elle savait que les changements de son corps n'allaient pas tarder à devenir visibles. Ses corsages commençaient à comprimer sa poitrine alors qu'elle avait maigri. Sa mère avait déjà remarqué ses joues creuses, son teint blafard et les cernes qui ombraient son regard et s'en était inquiétée à plusieurs reprises. Heureusement, elle n'avait pas insisté. Depuis l'interrogatoire que son père lui avait fait subir, sa famille respectait sa demande et évitait d'évoquer ce qu'il s'était passé lors de son enlèvement et de sa captivité. Soucieuse de ne pas bouleverser davantage sa fille, lady Iseabail avait renoncé à la questionner, bien qu'elle continuât à s'inquiéter pour elle.

La dame MacLean était sur le point de toquer à la porte de la chambre de sa fille quand elle entendit des bruits qu'elle identifia aisément. Sans tergiverser, elle poussa le panneau de bois et se précipita dans la pièce. Elle y trouva Jamesina en proie à de violents haut-le-cœur.

— Jamie ! Que se passe-t-il ?

D'un geste de la main, la jeune femme maintint sa mère à distance tandis qu'elle reprenait son souffle puis se rinçait la bouche et s'essuyait les lèvres avec un linge propre. Ayant repris ses esprits, elle empoigna la cuvette avec l'intention d'aller la vider dans les latrines toutes proches, mais sa mère l'arrêta et la lui enleva des mains pour y aller à sa place. Quand elle revint dans la chambre, lady Iseabail trouva Jamesina debout devant la croisée, les épaules basses, les mains crispées sur son ventre et le regard perdu au loin. Toute l'attitude de la jeune femme transpirait la tristesse et l'angoisse. La dame s'avança vers sa fille et la prit par le bras pour l'éloigner de la fenêtre. Arrivée à un pas du lit, elle se mit face à sa fille pour l'interroger avec douceur :

— Jamie, dis-moi ce qu'il y a.

Jamesina balaya le visage anxieux de sa mère d'un regard et baissa la tête pour répondre d'une voix incertaine :

— Ce n'est rien mère. J'ai dû manger quelque chose que mon estomac n'arrive pas à digérer.

— Jamie, regarde-moi !

L'épouse de la réconciliationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant