12. Fureur vengeresse

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Duart Castle, deux mois plus tard.

Depuis qu'elle avait découvert qu'elle attendait un enfant, Jamesina était en proie à une angoisse sourde. Sa mère avait accepté de garder le secret, mais au fil des semaines, la jeune femme percevait avec de plus en plus d'acuité les transformations de son corps et elle savait que ses habits ne pourraient plus dissimuler sa grossesse très longtemps. Bien qu'elle ait minci, car elle peinait à s'alimenter, sa poitrine avait pris de l'ampleur. Suffisamment pour qu'elle gonfle de manière inhabituelle ses tuniques et corsages. Elle avait dû se résoudre à se bander les seins pour que cela soit moins visible. La compression était douloureuse et oppressante, au point qu'il lui arrivait parfois d'être la proie de vertiges. Mais la sensation d'étouffement qui l'étreignait régulièrement n'était pas uniquement due aux bandes qui enserraient sa poitrine : la tristesse et la culpabilité l'écrasaient.

Elle ne cessait de penser à ceux qu'elle avait laissés derrière elle à Tioram. Elle imaginait sans peine la déception des enfants MacDonald et en particulier celle du petit Roderick qui s'était attaché si vite et si fort à elle. Et surtout, elle ne pouvait s'empêcher de penser à Cailean. Elle se remémorait leur nuit d'amour, le serment d'engagement qu'il avait ébauché et qu'elle s'était empressée d'interrompre. À n'en pas douter, il était sincère quand il affirmait vouloir s'unir à elle. Et qu'avait-elle fait ? Elle l'avait abandonné sans un mot d'explication alors même qu'ils venaient de se donner l'un à l'autre. Sa disparition avait un goût de trahison et elle souffrait à l'idée que Cailean devait la haïr de s'être enfuie en son absence. Ses pensées moroses ne lui laissaient aucun répit et son mal-être était tel qu'elle se sentait comme prisonnière. Elle ne trouvait un peu d'apaisement que lorsqu'elle fuyait les murs du château.

Elle avait pris l'habitude de faire chaque jour une promenade avec Étoile. Refusant de faire courir le moindre risque au bébé qui grandissait dans son ventre, elle avait renoncé aux longues chevauchées au galop et se contentait de parcourir la lande au rythme plus lent du trot et du pas de sa monture, puis avant de revenir à Duart, elle faisait toujours une pause pour faire reposer la bête, mais aussi pour lui permettre de se libérer de sa peine. Elle s'asseyait face à la mer, soit en haut d'une falaise soit à l'abri d'une crique. Son regard commençait par se perdre dans l'écume qui moutonnait sur les vagues puis survolait le Sound of Mull pour aller se fixer sur la ligne d'horizon, vers le nord... vers le territoire des MacDonald de Clanranald. Elle laissait ses souvenirs doux-amers revenir la hanter. Immanquablement, elle finissait par pleurer sur son amour perdu. Ce n'est qu'une fois son cœur allégé de son trop-plein de tristesse qu'elle se relevait et respirait à plein poumon l'air marin. Apaisée et revigorée, elle pouvait regagner le château et retrouver sa famille.

Ce matin-là, Jamesina n'avait pas pris le temps de rompre son jeûne. La nuit avait été mauvaise, elle avait fait des cauchemars qui l'avaient grandement perturbée. Ce qui avait commencé par des réminiscences du massacre de son escorte s'était terminé par une vision macabre d'une bataille entre son clan et celui des MacDonald. Bataille au cours de laquelle son père et Gavin affrontaient Cailean sous les encouragements d'Ewen MacGregor et Murray MacKinnon. Un combat à mort. Elle s'était réveillée en larmes et le cœur brisé par la vision de leurs corps ensanglantés. Le besoin de fuir l'avait submergée, et sans réfléchir, elle s'était aussitôt rendue aux écuries pour seller Étoile.

Quand elle revint à Duart Castle, le repas de la mi-journée n'avait pas encore été servi et la cour grouillait d'activité. Une fois la herse passée, elle guida sa monture vers les écuries tout en répondant aux salutations des hommes et femmes qui vaquaient à leurs occupations dans l'enceinte du château. Alors qu'elle s'apprêtait à démonter, Gavin et cinq autres guerriers firent irruption dans la cour. Ils venaient visiblement de faire une longue chevauchée à bride abattue, car les flancs de leurs chevaux étaient écumants de sueur. L'un d'eux s'approcha trop près et bouscula violemment Étoile. La jument protesta avec virulence et envoya un coup de sabot au perturbateur, manquant de peu de désarçonner sa cavalière. Jamesina dut se montrer ferme pour la calmer.

L'épouse de la réconciliationWhere stories live. Discover now