Prologue

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Roxane


Il pleut.

J'appuie ma tête contre le mur froid et ouvre lentement les yeux.

Elle est là.

Une énorme araignée noire, campée sur la cloison blanche en face de moi. Je la regarde, elle me fascine. Ses longues pattes étendues et son corps agile forment une arabesque sombre et gigantesque sur la paroi de ma cellule.

Elle est là. Comme pour me rappeler ma solitude moribonde et mon ennui. Ténébreuse créature délaissée. Je m'avance vers elle et viens poser mon visage contre le béton, à ses côtés.

— Bonjour toi. Petite bestiole... Tu es toute seule toi aussi ? Tu veux bien être mon amie ?

Les vibrations de ma voix effraient soudainement ma compagne d'infortune. L'araignée commence alors à agiter ses longues pattes et s'empresse de continuer son chemin à l'opposé de moi. Je la regarde s'enfuir, ahurie. Un frisson me parcourt le dos. Mes yeux se brouillent de larmes une fois de plus, tandis que j'essaie d'articuler :

— Même toi, tu me laisses toute seule. Même toi, tu m'abandonnes. Même toi !

Mon cri résonne dans ma cellule, suivi de près par le grondement du tonnerre, comme un rappel à l'ordre. Je me retourne et frappe violemment l'arrière de mon crâne contre le mur blanc à plusieurs reprises, en tentant désespérément de retenir mes larmes. La douleur n'est pas réelle. Ou peut-être que si. Je ne sais plus ce qui est réel ou non depuis bien longtemps.

Je tourne la tête en direction de l'araignée, laquelle s'est nettement déplacée vers l'unique petite lucarne de la pièce et s'apprête à prendre la fuite vers l'extérieur. Je me lève précipitamment, mon épaule racle contre la paroi ; mes bras sont emprisonnés dans une camisole de force. Sans la lâcher des yeux, je me hâte vers l'arachnide, haletant d'un espoir ridicule.

— Emmène-moi... S'il te plaît ! Emmène-moi avec toi petite bestiole. Sors-moi d'ici !

Ma vision se brouille, mon esprit est confus. J'ai la tête qui tourne, envie de vomir. Ils disent que je suis folle, que mon cerveau ne sait plus qui je suis, que j'ai tout oublié.

L'araignée me paraît de plus en plus floue et lointaine à présent.

— Emmène-moi ! Emmène-moi ! Je t'en supplie ! Sors-moi de là. S'il te plaît ! S'il te plaît... S'il te plaît... S'il te plaît...

J'ai tout oublié.

Je m'effondre peu à peu contre le mur froid jusqu'à me retrouver à terre. Je gigote un peu, tentant vainement de me libérer de ma camisole. Ils ont dit que c'était pour mon bien, que cela m'empêcherait de m'arracher les cheveux, de me griffer le visage...

Les larmes coulent à flots sur mes joues sans que j'en sois vraiment consciente. Je reste tapie dans un coin de ma cellule. Je sanglote, comme une petite fille à qui l'on aurait brutalement repris son jouet préféré, son seul réconfort, son repère. Son attache à la vie.

Je sais qu'il pleut.

Je ferme de nouveau les paupières et tente de faire le vide dans ma tête, de chasser les démons qui ont refait surface en moi. Un petit vent frais s'engouffre dans la pièce et me caresse innocemment le cou. Un frisson me parcourt, tandis que des fragments de souvenirs me reviennent brusquement en mémoire. L'odeur d'un parfum vient me chatouiller les narines. Je ferme les yeux un peu plus fort.

Souviens-toi... Allez, souviens-toi...

Un flash. La sensation d'un toucher qui apparaît de nouveau sur mon bras, sur mon cou, sur mon corps entier. Une douce chaleur qui m'envahit imperceptiblement. Je souris. Mon cœur bat en moi plus intensément que d'habitude. Je sens mes joues s'enflammer et rougir, en même temps que la sensation agréable d'un baiser apparaît sur mes lèvres. Mes larmes s'estompent peu à peu, je suis bien.

Je sais. Je me souviens.

Je le sens.

— Allez debout.

La voix de l'homme qui retentit dans ma prison me ramène promptement à la réalité. Je ne l'ai pas entendu entrer. La chaleur s'est évaporée, laissant de nouveau place au froid, à l'humidité et à l'obscurité. Si le Roi Désespoir avait un palais, il ressemblerait à cet endroit lugubre. J'ouvre délicatement les yeux et les larmes qui avaient déserté mes globes oculaires reviennent aussi vite qu'elles avaient disparu.

— T'entends ce que je te dis ? Lève-toi !

Alors que l'homme s'approche de moi, une boule se forme dans mon ventre et un gémissement de peur s'échappe de ma gorge. Je tente de m'enfuir sur le côté en rampant tant bien que mal. Il me saisit brutalement par la camisole et commence à me traîner de force jusqu'à la porte de ma cellule. J'essaie de me débattre, je crie. Je ne veux pas. Je ne veux plus. Je veux que l'on me laisse en paix. Je veux qu'on me laisse comprendre ma vie, ce que j'ai fait. Comprendre pourquoi je l'ai fait.

— Lâche-moi !

— Ton audience est dans une heure.

— Je m'en fous ! Laisse-moi ! Je veux pas y aller !

— Bien sûr que si, t'iras. Le tribunal va rendre son jugement, tu voudrais quand même pas rater ça ?

Il rit, mon visage est noyé de larmes. Je m'époumone. L'homme me redresse de force et me gifle.

— Mais tu vas la fermer oui ?! Espèce de pauvre hystérique !

Je le supplie du regard, mais il n'a aucune pitié. Il m'attrape de nouveau par les cheveux et me traîne sans ménagement dans le couloir, pour me mener jusqu'à un fourgon blindé. Ce fourgon sinistre, aux allures de cercueil ambulant, qui doit me conduire tout droit au tribunal où sera prononcé mon jugement.

Le dernier.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEWhere stories live. Discover now