Chapitre 13 - Partie II

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Roxane


Les cours n'ont pas encore commencé lorsque les bâtiments de Columbia se dessinent enfin devant moi. Les étudiants sont éparpillés un peu partout sur le campus universitaire. Certains profitent des doux rayons du soleil matinal, allongés dans les carrés d'herbe tendre. D'autres bouquinent sur les bancs des allées qui jalonnent les espaces verts. Quelques-uns encore discutent au milieu des chemins pavés et sur les parvis des halls historiques.

Essoufflée après mon périple dans les transports en commun pour traverser la ville, je rehausse mon sac à main sur mon épaule et m'avance lentement en direction du Dodge Hall. J'évite habilement le regard de Joanna et Eddy, qui gloussent grassement à quelques pas de moi. À quoi bon donner de l'importance à des idiots, si ce n'est pour les aider à se complaire dans leur intelligence illusoire ?

Une fois l'obstacle contourné, je ralentis l'allure et m'arrête à quelques mètres de l'imposante bâtisse, en poussant un profond soupir, tête basse. Jordan est assis sur les marches de pierre, près d'une des immenses colonnes qui ornent le parvis, les yeux plongés dans un livre sur le courant du Romantisme. Après un court instant d'hésitation, je me résigne à aller à sa rencontre. Sans un bruit, je gravis les escaliers et m'assois lentement à ses côtés. Bien qu'ayant détecté ma présence, il ne lève pas la tête, feignant l'ignorance en réponse à mon orgueil. Un malaise pesant s'installe entre nous et, comme pour abréger une angoisse ridicule, je décide alors de briser la glace :

— Salut...

Naturellement, pas de réponse. Je pince les lèvres et coince nerveusement mes mains entre mes genoux. Ce n'est pas le moment de laisser de scabreux principes égocentriques prendre le dessus sur la compassion que l'affection et le respect imposent. Voyant que Jordan ne réagit toujours pas — et en vaine tentative de diversion —, je jette un bref coup d'œil dans le contenu de son livre :

— Je savais pas qu'on avait un devoir sur le Romantisme. Tu lis une analyse de quelle œuvre ?

— "Le Cauchemar". Cette toile m'inspire beaucoup aujourd'hui.

Le ton froid de Jordan me glace le sang d'autant plus qu'il ne laisse transparaître aucune autre émotion que la déception. Je déglutis, faisant mine de ne pas comprendre le sens de sa dernière phrase, puis reprends, un peu plus joviale :

— Oui, c'est une œuvre magnifique. Le clair-obscur, le diable, le cheval, cette femme dans cette robe blanche... Tous ces détails qui font que cette toile peut avoir tellement de sens contradictoires.

— Tu es vraiment venue là juste pour me parler d'une peinture ?

Son regard sur moi me fait taire dans la seconde. Ses traits sont tirés et de larges cernes violets ornent le dessous de ses yeux. Un monstre de culpabilité se forme en moi et commence à dévorer chaque petite parcelle de ma conscience. Que dire à quelqu'un qu'on a blessé, quand on sait que tous les torts nous reviennent ? Mes joues rougissent. Je reste un instant immobile, muette comme une carpe. Incapable d'assumer quoi que ce soit face à son air désabusé.

— Écoute, Jordan. Je suis vraiment, vraiment désolée... J'ai vu tous tes messages seulement ce matin. Quand tu es parti hier, je ne me sentais vraiment pas bien. Je suis rentrée chez moi et je me suis endormie tout de suite. J'ai complètement oublié de te prévenir et je suis...

— Oh, arrête. Tu ne sais pas mentir, Roxane.

Soudain, mon visage s'enflamme, des picotements de honte me parcourent l'intégralité du corps. Comment peut-il se douter que je lui mens ? Il referme son livre et le replonge dans son sac à dos sans ajouter quoi que ce soit. Je fixe le néant devant moi et, presque dans un murmure, j'articule les seuls mots qui me viennent encore à l'esprit :

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEWhere stories live. Discover now