Chapitre 8 - Partie II

755 97 230
                                    


Shane


Robin enflamme l'extrémité d'une sèche grâce à l'allume-cigare de son Audi, puis entrouvre légèrement la vitre teintée du côté conducteur pour laisser s'échapper le délicat nuage de fumée. Assis du côté passager, j'observe patiemment les quelques promeneurs qui vont et viennent sur Park Avenue.

L'astre de jour a quitté le ciel clair depuis déjà quelques heures. Les lumières de la ville qui ne dort jamais s'illuminent les unes après les autres et font scintiller les tours d'acier, leur conférant un sublime aura féérique. Dans les rues de Midtown, les fêtards en route pour Soho remplacent peu à peu les derniers hommes et femmes d'affaires, qui s'empressent de regagner leur domicile après leur journée de travail. Robin prend une longue bouffée sur sa cigarette avant de cendrer par la fenêtre. Il épie sans relâche le parvis de l'immeuble 432.

Bien qu'il n'ait que six ou sept ans de plus que moi, je remarque aujourd'hui à quel point la haine et la folie ont vieilli prématurément ses traits. L'ensemble de son visage semble s'être figé dans un masque de cruauté inexorable. Au fur et à mesure que les années s'égrènent, ses joues se creusent, des cernes violets entourent ses yeux aux iris glacials et ses cheveux bruns perdent de leur éclat. Seule la fine barbe de trois jours qu'il arbore depuis toujours reste parfaitement dessinée, comme un solide vestige du passé. Attisé par son affection pour le crime, Robin perd chaque jour un peu plus de sa superbe, relayant son physique très séducteur d'autrefois au rang de triste spectre blafard, dévoré par la rage et l'aliénation. Tous ces détails ne font qu'ajouter à son aura de prédateur redoutable et à sa dangerosité mortelle. Après tout, le charisme d'un assassin n'est-il pas finalement sa plus belle arme ?

— Au fait Shane, Tony a récupéré deux kilos de pure chez un des fournisseurs de Reese. Ils sont dans le coffre. Tu donneras un kilo à Desmond. Je veux qu'il la recoupe et qu'il se débrouille pour la revendre. Je garde cinq cents grammes pour Zara et moi. Le reste, c'est pour toi.

Sa voix est posée, avec cet habituel soupçon de nonchalance qui rend toutes ses allocutions si théâtrales. Cette voix, cette manière d'être, cette prestance... C'est tout ce qui fait de lui le puissant chef de gang qu'il est aujourd'hui.

J'appuie ma tête contre mon siège et pousse un petit soupir de fatigue :

— Tu ne préfères pas donner ma part à Desmond pour qu'il...

— Non.

Je reste silencieux. Dans l'absolu, mieux vaut éviter de contrarier un tueur en série psychopathe. Surtout quand ce dernier vous a déjà menacé deux fois de vous envoyer dans un broyeur de voiture avec un joli trou dans le crâne.

— Où en est le plan Shane ?

Je m'éclaircis la voix. Voilà la question que je redoutais tant.

— Lequel ? J'ai pas mal de trucs sur le feu en ce moment.

— Tu sais très bien de quoi je parle.

Je m'enfonce un peu plus dans le fauteuil avant de lui répondre :

— La bonne nouvelle c'est qu'elle s'ennuie dans sa vie. Il faut croire que même quand on a tout, on s'ennuie autant que quand on a rien. Elle cherche de la nouveauté, des sensations... Je crois que c'est quelque chose que je peux lui apporter.

Il ricane sans quitter la rue des yeux.

— Tu m'étonnes, Roméo.

Je déteste ce surnom niaiseux. Mes mains replacent mes cheveux en arrière et je reprends, en tentant vainement de cacher mon aigreur :

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEWhere stories live. Discover now