Chapitre 17 - Partie II

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Shane


Les battements de mon cœur résonnent longuement dans ma poitrine. Seul le bruit de mes pas qui frappent le pavé accompagne son rythme, tributaire de mon angoisse. Une boule se forme dans ma gorge au fur et à mesure que je m'approche de ce lieu que je m'étais juré d'oublier.

À cette heure avancée de la nuit, les rues du nord de Brooklyn sont pratiquement désertes. Dans moins d'une heure, les clubs fermeront leurs portes et les premières lueurs du jour éclaireront l'horizon de leur pâle éclat d'opaline. Mon corps entier se crispe, comme si la moindre parcelle de mon être refusait de s'aventurer plus loin dans les sombres souvenirs enfouis dans les tréfonds de ma conscience. Mon sang fuse dans mes tempes, j'ai mal au ventre. Par instinct, je resserre un peu plus mes doigts autour des lanières du sac de sport que je tiens dans ma main droite.

La devanture monochrome du Nest se dessine peu à peu dans mon champ de vision, parée de son éternel masque de bienveillance insidieux que lui confère la petite ampoule blanche qui illumine l'entrée. Comme une ultime aura de pureté souillée aux portes de l'enfer, elle éblouit les hommes et femmes qui se placent sous son faisceau avant de les faire basculer dans le vice et la noirceur du sas qu'elle garde.

Je prends une profonde inspiration, puis fais un pas dans la lumière. La perfide lueur blanche caresse mon visage tandis que je me tiens à découvert, face à la large porte noire marquée d'une fente d'observation à hauteur de mes yeux. Je lève alors un poing vacillant et frappe quatre fois contre le battant. L'écho des coups résonne dans mes oreilles et je me tiens droit, comme un condamné dans l'attente de son jugement après neuf longues années de sursis.

À peine quelques secondes plus tard, la porte s'ouvre sur Tony, qui me toise sans dissimuler une certaine surprise dans son regard. Un flot de musique sensuelle se déverse sur le trottoir et me provoque une légère vague de frissons.

— Tu es quand même venu.

— J'avais pas le choix.

— Tu l'as retrouvée ?

— Oui. Je l'ai ramenée chez moi, elle dort. Il faut que je parle au boss.

Tony hoche la tête, puis se décale sur le côté pour me laisser entrer. Je m'engouffre alors dans la pénombre du sas qu'il referme aussitôt derrière moi. Mon cœur rate un battement, je déglutis avec difficultés ; me voilà de nouveau prisonnier de la fosse aux serpents...

Mon acolyte se recule et prend appui contre le mur noir dans son dos avant de poursuivre, sur un ton calme :

— Il ne veut voir personne, c'est ce qu'il a demandé tout à l'heure.

Bien entendu. Mais je connais trop bien Robin pour savoir qu'il cèdera si je le contente d'une bonne recette de travail. Je me retourne et ouvre alors le sac que je tiens dans ma main avant d'en désigner le contenu d'un geste de la tête :

— Même si je lui livre sa came en express ?

Tony jette un rapide coup d'œil à l'intérieur du bagage, puis dodeline du chef et finit par acquiescer en m'indiquant le lourd rideau noir qui masque l'accès à la salle principale. Je tire la fermeture éclair et prends une profonde inspiration avant de m'avancer dans la direction qu'il pointe.

— Bonne chance pour ton retour ici, Shane.

Je ne réponds pas. D'une main tremblante, j'écarte la belle étoffe de velours noir avant de pénétrer lentement dans l'antre du démon.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant