Chapitre 12 - Partie III

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Roxane


Les derniers rayons de soleil de la journée se fraient un chemin à travers les nuages noirs et font scintiller le bitume humide. La pluie s'est enfin arrêtée, mais mon cœur, lui, ne cesse de battre la chamade, entraîné par les quelques traces d'adrénaline qui s'attardent encore dans mes veines. Contre ma poitrine, je tiens le précieux sachet de bonbons qui m'a fait renaître. Cela paraît peut-être ridicule, mais il représente tellement pour moi.

Shane me guide à travers les rues de Brooklyn. Ne pouvant décemment pas expliquer à mon père le détail des péripéties qui m'ont conduites à finir trempée jusqu'aux os, je préfère éviter de passer par la case maison. Il me fallait donc trouver un endroit où me sécher, pour après rejoindre Jordan directement au cinéma.

À l'approche d'une immense usine d'apparence désaffectée, mon compagnon ralentit sa course et me libère de son emprise. Il s'engouffre ensuite dans le vieux bâtiment et commence à gravir les escaliers quatre à quatre. Je le suis dans un petit couloir sombre, recouvert de graffitis en tous genres, et où sont alignées d'austères portes en métal. Je réalise alors que ces anciens étages administratifs, reliés à l'usine, ont été transformés en logements de fortunes bien dissimulés aux yeux des autorités. Je déglutis lentement, tout à coup mal à l'aise. J'ai toujours pensé que ce genre d'endroit était une légende urbaine à New York, mais la réalité est telle que tous ceux dont les rêves sont tombés en poussière échouent ici. Dans ces endroits tristes et insalubres, où règnent les lois des plus dangereux gangs de la ville.

Shane s'arrête devant une des portes qu'il déverrouille avant de m'ouvrir la voie. Une fois à l'intérieur, je détaille la pièce en silence. Cela ressemble à une petite chambre de bonne, somme toute assez lumineuse, mais très modeste. Les peintures sur les murs sont à moitié effacées et couvertes, par endroit, de photographies d'œuvres d'art. Des vêtements sont éparpillés sur le sol et sur le lit défait, qui englobe à lui seul une bonne partie de l'espace. Quelques livres sont empilés pêle-mêle sur une petite table basse, disposée dans l'angle d'en face, à côté d'un gros fauteuil en cuir usé. La lumière orangée du crépuscule se projette faiblement dans la chambre. À l'étage du dessus, un guitariste s'évertue à reprendre des titres célèbres, et le son mélodieux qui s'échappe de son instrument résonne doucement dans le petit espace.

Après avoir déposé au sol la bouteille de whisky récupérée un peu plus tôt, Shane se place au milieu de la pièce. Il regarde autour de lui avant de porter ses iris verts sur moi. Je croise les bras sur ma poitrine ; mes vêtements imbibés d'eau me font frissonner.

— Bon. C'est sûr que c'est pas aussi grand que ton palace, mais c'est pas si mal.

Je me contente de sourire et avance pas à pas vers le centre de la pièce tout en frictionnant mon épaule. Il retire son manteau noir puis le pose sur le fauteuil, près du radiateur. Shane passe ensuite les mains dans ses cheveux mouillés et les secoue énergiquement avant de m'indiquer une petite porte blanche.

— Si tu as froid, tu peux prendre une douche et faire sécher tes vêtements.

Sans me laisser le temps de rétorquer sur une évidence, il attrape un sweat gris échoué sur son lit et me le lance.

— Et tu peux enfiler ça en attendant.

Je réceptionne le pull, acquiesce d'un signe de tête, et ai juste le temps d'apercevoir son petit sourire en coin, avant de disparaître dans la minuscule salle de douche.

Après quelques longues minutes sous le jet brûlant, je retire maladroitement les dernières traces de maquillage noir sous mes yeux et secoue mes cheveux, maintenant presque bouclés. Face à mon reflet dans le miroir, je pousse un profond soupir ; qu'est-ce que Jordan va bien pouvoir penser de ma dégaine, ce soir ? Peut-être qu'en fin de compte, un détour par chez moi se révèle être relativement indispensable. D'autant plus que je n'ai pas à coeur d'éveiller le moindre de ses soupçons, et encore moins de lui rendre compte.

Le Dernier Vol des Oiseaux de Sang | TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant