Chapitre Cinquante

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"Il n'y a point d'accidents si malheureux dont les habiles gens ne tirent quelque avantage"

François de la Rochefoucauld 

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Point de vue de Jonathan  :

Analepse


Si j'étais contraint de capturer l'essence de l'atmosphère de cet instant, je me rends compte sincèrement que les mots me manqueraient, telle était l'étouffante tension qui pesait dans l'air. Les hurlements discordants et les bruits sourds de coups semblaient s'entremêler, saturant l'espace confiné de l'avion. À travers les allées étroites, un spectacle chaotique se déployait : chacun luttait pour préserver sa propre existence. C'était une bataille contre l'instinct de survie, une lutte exacerbée par l'angoisse.


Parmi le vacarme ambiant, les gestes désespérés semblaient orchestrer une chorégraphie de chaos. Les individus s'emparaient en masse des gilets de sauvetage, dans une frénésie que je trouvais profondément inégale. Les plus forts agissaient sans retenue, attrapant les gilets par poignées pour ensuite les distribuer selon leur bon vouloir. Malheureusement, cette distribution hâtive creusait une faille profonde entre les puissants et les vulnérables.


Le triste spectacle qui se déroulait devant mes yeux révélait une face sombre de l'humanité, une face qui laissait de côté la compassion et l'empathie au profit d'une quête effrénée de survie. Les plus faibles, ceux qui n'avaient ni la force ni la détermination de rivaliser avec les plus aguerris, étaient cruellement dépossédés. La perte de dignité dans leurs yeux exprimait une réalité dure à admettre : lorsque les ressources se raréfient, certains se tournent vers l'égoïsme au lieu de tendre la main à leurs semblables.


Dans ce chaos inouï, je me suis senti submergé par un sentiment de frustration et d'impuissance. Et pourtant, même au cœur de cette obscurité, des lueurs de solidarité émergèrent ici et là. Quelques individus, conscients de l'injustice qui se déroulait, choisirent de résister à la spirale de l'égoïsme. Ils se sont levés pour protéger les plus vulnérables, pour rétablir un semblant d'équilibre dans ce tableau dystopique.


C'était un rappel aigre-doux que même dans les moments les plus sombres, il reste un choix à faire : se laisser emporter par la tempête de la peur et de l'avidité, ou bien résister et redéfinir la signification de l'humanité en tendant la main à ceux qui en ont le plus besoin.


La scène m'a frappé en plein cœur, un tableau poignant de deux retraités dépouillés de leurs gilets par un homme imposant coiffé d'un chapeau, dont les hurlements déclaraient : « Votre temps est écoulé, le mien non, je n'ai que quarante ans ! » Une mixture d'indignation et d'incompréhension s'est emparée de moi. Cette situation ne pouvait être réelle, n'est-ce pas ? Dans quel abîme de valeurs sommes-nous en train de sombrer ?!


La colère bouillonnait en moi, alimentée par le contraste flagrant entre la vulnérabilité des retraités et le mépris affiché par l'homme au chapeau. Avait-il été privé de toute leçon de respect et d'empathie ? Comment pouvait-il ignorer la beauté de la solidarité qui tisse la trame de notre humanité ?Sans réfléchir davantage, une force nouvelle m'a animé. J'ai rassemblé mes forces pour me relever, bien que chancelant, et j'ai attrapé deux gilets qui attendaient négligemment dans un coin. Mon geste était une rébellion silencieuse contre le dédain et un acte de réparation envers ces retraités. Mes pas résonnaient avec détermination alors que je m'approchais d'eux, leur tendant les gilets avec un sourire doux et compatissant.

Changement de vie.Where stories live. Discover now