La morsure

1.5K 110 11
                                    




Il fallait que je sorte. J'allais prendre des risques énormes pour de simples livres. Je savais que cela paraissait idiot, dit comme ça. Prendre des risques pour des livres. Mais les livres savaient chasser la solitude. Et lors de l'Apocalypse, la solitude est la pire chose qui puisse m'arriver. Pire que la faim, pire que la soif. Car cette solitude était écrasante, étouffante, et je sentais qu'il n'y avait qu'un pas pour que je sombre dans la folie. Et étrangement, ce qui m'avait empêché de sombrer jusqu'ici était la peur. La peur est un moteur incroyable. La peur vous rend plus fort, plus rapide, plus malin. Et surtout  la peur vous empêche de sombrer. Mais mes moments de faiblesse était toujours là, lors des jours les plus sombres, lors des heures perdues, lorsque je me mettais à réfléchir à tout ça. Et le problème quand on devient fou dans un monde comme le mien, c'est qu'il est impossible de s'en sortir vivant. Les livres me permettaient souvent de m'évader quelques heures, pour échapper à cette horreur, à ces cris qui résonnaient là dehors, comme un signal annonçant une fin plus que proche. J'avais besoin de ces livres, pour ne pas devenir folle, pour ne pas abandonner.  Mes parents étaient partis voir mon frère à New York pendant les vacances : ce fut une des premières villes touchées. Ils ne revinrent jamais. Je ne m'était pas créé de faux espoirs, comprenant tout de suite que la chance pour qu'ils soient encore vivants était plus qu'infime.

Ma ville, Paris, fut totalement infectée en une semaine. L'épidémie se répandait extrêmement vite. En quelques mois seulement, le monde entier fut contaminé. Il y eu beaucoup de morts. Mais le pire dans tous ça, c'est qu'il ne restait personne pour les enterrer, car la quasi totalité des  hommes avaient perdu toute leur humanité. Ils n'avaient plus de conscience, plus de sentiments. Il n'y avait plus que l'instinct de survie. Il n'y avait plus que la faim. Il n'y avait plus que la chasse.

Et moi, je restais cachée dans la cave de ma maison, contenant plus de boites de conserve qu'un supermarché. Sauf que la nourriture, ce n'était pas assez. J'avais tout ce qu'il fallait pour survivre : de la nourriture, de l'eau courante, et même la possibilité de garder une hygiène de vie correcte, quoique légèrement douteuse. J'avais tout ce qu'il fallait pour survivre. Mais pas tout ce qu'il fallait pour vivre. J'étais épuisée, je dormais mal, réveillée toutes les nuits par les hurlements inhumains, par le froid, par la peur. Je savais que c'était enfantin, mais le réconfort de ma famille me manquait cruellement. C'est pourquoi, après des semaines d'ennuie, de peur et de constatations morbides, je me décidais à sortir. La batterie de mon téléphone était morte depuis bien longtemps, ayant fait l'erreur fatale d'oublier mon chargeur dans ma chambre, qui avait été visitée probablement des dizaines de fois par des Infectés. Je les avais déjà entendu plusieurs fois, entrer dans ma maison, fouiller partout, probablement à la recherche de viande, ou pire, d'un corps.

La librairie était vraiment proche de chez moi, à quelques rues à peine, mais je savais que c'était la sortie la plus dangereuse de toute ma vie. Je sortis lentement, et fermais la porte de la cave à clé. J'enjambais les débris de verre et les cadavres de meubles. La maison ne ressemblait plus à rien, les Infectés avaient tout détruit. Je sortais lentement, faisant grincer le plancher guettant le moindre bruit suspect. Mais rien. C'était presque trop paisible. Je n'avais jamais vu Paris aussi silencieux. Je traversais la rue en rasant les murs, avançant silencieusement et prudemment. Je n'avais jamais eu aussi peur. Je me sentais comme dans un film d'horreur, sachant pertinemment que j'étais en train d'imiter le protagoniste qui descend dans sa cave en entendant du bruit, le soir d'Halloween. Ce furent les minutes les plus longues de toute ma vie. J'arrivais devant la librairie. Elle avait été saccagé, comme à peu près toute les boutiques de la ville. Je rentrais lentement par ce qu'il restait d'une vitre, enjambant les morceaux de verre brisé. Je marchais entre les rayons, et trouvais enfin mon bonheur. Le rayon "Roman Policier". Je prenais le temps de regarder les couvertures et les résumés, faisant attention à ne pas faire tomber de livre. Je choisissais plusieurs ouvrages, et sortais pas la porte d'entrée. Grossière erreur. La clochette de la librairie retentit doucement, laissant échapper un léger son cristallin. Mais dans le silence oppressant de la ville, ce bruit valait bien un feu d'artifice. 

Je vis une ombre passer. Puis un hurlement retentit. J'étais fichue. Je reculais le plus discrètement possible. Il fallait  que je trouve une cachette, et vite. Mais le problème dans une librairie, c'est qu'à part les rayons de livres, il n'y a rien. Pas de toilettes avec verrous, pas de vestiaire, pas de cuisine, rien. Alors je me cachait derrière le rayon le plus éloigné, celui des voyages dans le monde, et je prenais la première arme qui me venait. C'est-à-dire un livre sur le Maroc. Je n'étais pas sûre que cela me serve vraiment, mais c'était plutôt rassurant de pouvoir se défendre un minimum. J'entendis la clochette retentir une nouvelle fois. Et merde. Je tenais fermement mon livre contre moi, les sens aux aguets, mon pouls s'accélérant. Une sorte de reniflement se fit entendre : l'Infecté se rapprochait. Et apparemment, il me cherchait à l'odeur. Génial. Je le vis arriver, sa silhouette se détachant derrière mon rayon. Il était juste devant moi, et seul un rayonnage de guides de voyage nous séparait. Il se déplaçait lentement, et le contournait. Il n'y avait aucune issue possible. Je prenais donc un autre livre dans ma main, et me tenait prête à viser. L'Infecté grogna, et me regarda droit dans les yeux. Son regard était effrayant : il n'était plus humain. Je ne voulais pas finir comme lui. Oh non, surtout pas, je préférais mille fois mourir. Il se jeta sur moi. J'eus à peine le temps de lui jeter un livre dessus que je sentis son corps imposant m'écraser. Il me hurla au visage, et je me débattis comme je pouvais. Je le frappais de toutes mes forces avec mon arme improvisée. J'espérais pouvoir l'assommer. Mais apparement, il n'était pas de cet avis. Je donnais coups de pied et coups de poing, tandis qu'il essayait de me mordre. Je hurlais de toutes mes forces à sa figure, et le frappa violemment à la gorge. Je sentis son larynx s'enfoncer. L'Infecté se releva, s'étouffant. Il recula puis trébucha sur mon ancien projectile improvisé. Je ramassais mon livre, m'approchais de lui et le frappa violemment à la tête. Son cou émit un craquement répugnant et il tomba au sol, sans vie.

Je m'assis au sol et poussa un gémissement. Il fallait que je parte, et vite. D'autres Infectés, alertés par les cris, allait sûrement débarquer. Je me levais à l'aide d'une main, et geignis doucement : mon bras me faisait énormément souffrir. Je jetais un coup d'oeil à ma manche, qui avait été arrachée. J'avais été mordue.

InfectéeWhere stories live. Discover now