Chapitre 7

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« Joy,
Je ne sais pas à quoi cela sert de t’envoyer ce message car tu ne répondras probablement pas. Je tenais simplement à m’excuser pour tout à l’heure, c’était idiot de m’imposer alors que tu n’avais visiblement pas envie de parler. Je veux quand même que tu saches que je suis là si tu as besoin, et que rien ne me ferait plus plaisir que de t’aider si je le peux. Je n’oublie pas que je t’ai proposé de lire tes textes si tu le voulais… Ma porte te restera toujours ouverte.
Je voulais aussi te dire que peu importent les raisons pourquoi tu as pleuré tout l’heure, cela ne peut qu’aller mieux. Il faut juste continuer à y croire, et je te parle d’expérience personnelle. Ne perds pas espoir, ça s’arrangera. Je l’espère de tout mon cœur.
Bonne soirée,
M. Stevan »

Je vois ce message en rentrant chez moi, et je reste pendant plusieurs minutes à le contempler. A chaque nouvelle lecture, mon cœur se brise un peu plus. Pourquoi s’acharne-t-il ? Je ne veux plus le voir. Enfin, si, mais je ne dois plus… Je sais que Facebook me trahit en mettant le « Vu : 19h37 », mais je suis incapable de lui répondre. Et c’est mieux comme ça.
Au même moment, mon portable vibre. Décidément, tout le monde a décidé de me parler ce soir. Comme si j’avais la tête à ça… J’ouvre le sms. C’est Alex.

« Salut. J’ai vu que tu n’allais pas super bien aujourd’hui, est-ce que ça va mieux ? On n’a pas eu l’occasion de parler depuis que tu as été virée de maths… Je suis désolé d’ailleurs »

Je tapote sur mon portable, hésitant à lui dire ce qui ne va pas. Finalement, après une minute, je finis par lui répondre.

- Coucou. Oui, j’ai quelques soucis en ce moment mais rien d’important, t’inquiète. Et ne t’excuse pas pour les maths, ce n’est pas ta faute. Ce prof ne m’aime pas, c’est tout !
- Des soucis ? Si tu veux en parler, je pense que je pourrais comprendre. Et le prof de maths, c’est carrément de la haine qu’il a envers toi !
- C’est comme ça, on ne le changera pas.
- Ouais… Mais tu évites le sujet. Qu’est-ce qui ne va pas ?
- Rien de spécial, j’ai quelques soucis avec un prof mais ça s’arrangera.
- Quel prof ?
- M. Stevan.
- Qu’est-ce qui se passe… ?
- … Je me suis beaucoup rapprochée de lui. Un peu trop d’ailleurs, et maintenant il faut que je m’en éloigne, parce que c’est mon prof et que je ne peux pas l’apprécier autant.
- L’apprécier autant… Tu l’aimes ?
- …
- Je prends ça pour un oui.

Je pose mon portable sans répondre. Qu’est-ce qui m’a pris de lui dire ça ? Il n’avait pas à savoir. Et s’il le répétait à tout le monde ? Et M. Stevan l’apprenait ? J’ai fait une connerie je crois. Je n’ai plus qu’à espérer est digne de confiance, ce qu’il paraît être. Céline m’a souvent demandé ce qui n’allait pas en ce moment, et je ne lui ai pas répondu. Pourquoi l’avoir dit à Alex, que je connais depuis moins longtemps ? C’est stupide.

Le message de M. Stevan est toujours affiché sur mon écran, comme pour me narguer. Je le relis, des dizaines de fois. Il me dit d’y croire, de garder espoir, mais à quoi bon ? Je vis un amour impossible, et seuls ceux qui l’ont vécu peuvent comprendre, ce qui ne semble pas être le cas de ce prof… Et pourtant, il dit qu’il s’agit d’expérience personnelle. Tu parles.

Lorsque je vais manger, ma mère me dit que je parais fatiguée. Oui Maman, je suis fatiguée de cette vie qui a perdu son sens quand je l’ai perdu lui. Je suis fatiguée de le regarder vivre en sachant que tout cet amour qu’il semble posséder en lui ne me sera jamais destiné. Je suis fatiguée de pleurer en pensant qu’il m’oubliera. Je suis fatiguée de l’aimer, Maman.

Mais je ne dis rien de tout cela. Je prétexte que ce sont les cours, les réveils à 6h du matin. Mensonge. Encore.

***

Les cours deviennent de plus en plus difficiles à supporter. Je m’en aperçois encore plus que d’habitude un jeudi. Cela fait pile six semaines que M. Stevan m’a ramenée chez moi. Six longues semaines… Un nouveau contrôle est prévu pour la semaine prochaine. Je ne me fais pas d’illusions, je sais très bien qu’avoir la moyenne sera dur. Le prof demande justement si certains ont des difficultés avec le programme et pensent ne pas réussir. Certains lèvent la main.
Je n’en fais pas partie.
Pas envie d’attirer l’attention sur moi.

En vain visiblement, puisqu’Alex, à côté de moi, me souffle :

- C’est pas toi qui disais que tu aurais probablement 6 ?
- Si, mais…
- Mais lève la main.
- Je peux pas faire ça !

Nous n’avons jamais réellement reparlé de notre discussion par sms, mais les regards inquiets qu’Alex me lance en cours montrent clairement qu’il n’a pas oublié.

- Si, tu peux. Lève la main ou je le fais pour toi.
- Alex…
- Tu vas pas rester comme ça jusqu’à la fin de l’année ! Et gâche pas ta scolarité pour lui. Allez !

Je finis par lever mollement le doigt, au moment où Sarah s’exclame :

- Monsieur, moi j’ai un peu de mal avec le cours sur le Moyen-Orient… Vous pourriez me donner des livres sur le sujet, pour que je puisse… approfondir ? Voire me donner des cours particuliers ?
- Des cours particuliers, je ne peux pas, non. Mais reste après le cours, on parlera de ce que tu ne comprends pas. Et je dois avoir quelques livres chez moi qui pourraient te plaire, je te les passerai.

Je baisse aussitôt la main, et Alex me donne un coup de coude.

- Tu nous fais quoi là ?! chuchote-t-il.
- Je peux pas, regarde-le avec Sarah…
- Et alors ?
- Des cours particuliers ! Elle est folle ? Et il a pas dit non…
- Si, il a dit non. Et ça n’a aucun rapport avec toi. Sois pas si jalouse…

Au moment où je m’apprête à lui répondre brutalement, le prof se tourne vers moi et me dit :

- Joy, qu’est-ce qui te pose problème ?

« Vous », ai-je envie de lui dire, mais je le ne fais pas. Il m’a donc vue lever la main… Toujours aussi attentif.

- Un peu tout en fait…
- Je vois. Tu resteras après le cours aussi. En attendant, vous allez former plusieurs petits groupes pour que vous puissiez réviser ensemble les différents points du cours et vous expliquer si vous ne comprenez pas. Vous échangerez au fur et à mesure du cours si vous voulez.

Céline, Alex et moi formons un groupe de trois. Céline me regarde et murmure :

- Joy, il se passe quoi avec ce prof ? On dirait que t’essayes
de disparaître à chaque fois qu’on est dans son cours…
- Alex t’expliquera, dis-je en soupirant.

Mais celui-ci hausse les épaules.

- J’en sais pas assez moi-même pour expliquer…
- Bon, très bien.

Je leur raconte à voix très basse le gros de l’histoire, en omettant à quel point ça me fait mal de ne pas pouvoir être avec lui. Je garde pour moi les larmes, la douleur et le manque qui me bouffent de l’intérieur. Ils n’ont pas à savoir. Mais Céline semble choquée.

- Tu veux dire que… Tu l’aimes ?
- Chut ! Mais… Ouais.
- Eh ben… Et lui ?
- C’est mon prof Céline, comment veux-tu qu’il m’aime ? Il a treize ans de plus que moi !
- Et alors ? Toi tu l’aimes, et pourtant t’es son élève… Et vu comment il a réagi quand tu lui as parlé d’Alex, et quand tu as pleuré devant lui…

Je soupire. Il ne faut pas commencer comme ça, ou je vais me faire des films et ça ne sera pas bon du tout… Il ne m’aime pas, c’est ainsi. Il a juste été attentif avec son élève. Alex, quant à lui, a un léger sourire, et je lui demande pourquoi.

- Ce prof est jaloux de moi ! C’est super pour mon égo ça !

***

A la fin du cours, Sarah et moi restons avec M. Stevan. Celui-ci commence à lui parler tandis que je reste un peu en arrière. Je n’ai pas envie de la voir jeter des regards langoureux au prof en se dandinant. Par contre, elle glousse à chacune de ses phrases, même s’il ne lui propose qu’un simple livre. Une vraie dinde, cette fille. Ils discutent pendant bien trop longtemps à mon goût. Plusieurs fois, je les entends rire ensemble alors que j’essaye de ne pas porter attention à leur discussion. Sérieusement, que peut-il trouver à cette fille ? Je la déteste, moi ! De temps en temps, il me jette un regard, mais trop rapidement pour qu’il ait véritablement l’air de se soucier de moi.

Enfin, après de longues, trop longues minutes, Sarah finit par partir, après de nombreux « Au revoir Monsieur, à bientôt, passez un bon après-midi, à demain, profitez bien de votre temps libre » blablabla. Il ne manque qu’un « je fantasme sur vous Monsieur, je vous donne mon adresse et vous passez chez moi cet aprem ». M. Stevan se tourne vers moi :

- Bon, à nous maintenant.
- Super…
- Tu as des problèmes en cours alors ? Pourtant, j’ai vu tes bulletins de l’an dernier, tu avais d’excellentes notes dans cette matière…
- Eh bien, ça a changé.

Le prof soupire. Je peux le comprendre. Je n’ai absolument pas envie de lui parler et il doit le sentir. Néanmoins, il persiste :

- Est-ce que tu ne comprends vraiment pas le cours, ou tu n’as juste pas la tête à ça ?
- Je suppose que… Que je ne suis pas assez concentrée, oui.
- Et pourquoi ça ?

Toujours ce même genre de questions. Finira-t-il par abandonner un jour ? Je lui souris.

- Vous êtes têtu.
- Moins que toi je pense, me répond-t-il en me retournant mon sourire.
- Oh, j’en doute.
- Pas moi. – Son visage se fait plus grave – Tu n’as pas répondu à mon message de l’autre soir.
- Je sais. Je… Je ne savais pas quoi vous dire.

Il hoche la tête, et nous restons ainsi durant plusieurs secondes, silencieux et pensifs. Un bruit nous fait soudain sursauter. Je m’approche de la porte de la salle, et vois une ombre disparaître au loin, de longs cheveux châtains flottant derrière elle. Sarah.
Mon dieu, que va-t-elle penser ? Avons-nous dit quoique ce soit qui pourrait être mal interprété ? Je ne crois pas, mais je n’en suis pas certaine. Et puis avec elle, on ne sait jamais… M. Stevan fronce les sourcils :

- Qu’est-ce que c’était ?
- Sarah. Elle écoutait je crois.
- Hmm… J’espère qu’elle n’en profitera pas pour te causer des ennuis.
- Ah, vous l’en croyez capable ? Moi qui pensais que c’était votre élève préférée…

Il me regarde, l’air amusé.

- Tu pensais que c’était mon élève préférée ?
- Ben, vu comment vous êtes avec, oui…
- Ce n’est pas elle, Joy.
- Oh. Tant mieux alors.
- Je ne suis pas censé avoir d’élève préféré, tu sais ? Mais si je devais en choisir un, ça serait toi.

Je reste bouche-bée durant un instant. Je suis son élève préférée ? Sérieusement ? Je lui souris, touchée, mais il ne me laisse pas le temps de répondre.

- Pourquoi, tu es jalouse ?
- Pourquoi le serais-je ?
- Ca ne répond pas à la question.

Je le regarde dans les yeux. Il a cessé de sourire et son visage est grave. Je ne me sens plus du tout capable de lui mentir.

- Oui, je le suis.
- Pourquoi ? me demande-t-il.

Son regard est aussi doux que sa voix, mais pourtant j’ai l’impression qu’il me brûle. Il lit à travers moi comme un livre ouvert. Et ça me fait atrocement peur parce que je sens qu’il devine tout ce que je retiens en moi depuis trop longtemps.
Je recule légèrement et lui tourne le dos. Je ne peux pas le regarder. Je serai incapable de voir sa réaction quand je lui répondrai.

- Parce que votre complicité me blesse. Parce que vous voir rire avec elle me déchire. Parce que chaque fois que vous lui parlez, ça me donne envie de tout quitter.

Je reprends ma respiration et termine :

- Parce que je ne supporte pas l’idée que vous l’aimiez plus que moi.

Il y a un silence, et je ferme les yeux en serrant les poings.

- Je ne l’aime pas plus que toi, Joy. Au contraire.

La voix de M. Stevan ne parvient pas à calmer la peur qui s’est infiltrée en moi, et je n’ai même pas la force de chercher à comprendre ses paroles. Je n’aurais jamais dû… Pourquoi ai-je dit ça ? Qu’est-ce qui m’a pris ? C’était idiot. J’ai tout gâché.

- Je dois partir, m’entends-je dire d’une voix faible. Au revoir.

Je prends mon sac et sors en courant. J’entends M. Stevan m’appeler, mais sa voix, loin de me faire ralentir, me fait sursauter et j’accélère. En quelques secondes, je suis loin de lui. Je m’écroule dans les escaliers et me mets à pleurer, une main devant la bouche pour éviter qu’on m’entende. Je n’imagine même pas ce qu’il doit penser maintenant… Comment vais-je oser retourner dans son cours demain ?

Je suis ridicule. Pathétique.

Il est temps d’arrêter de jouer, il faut abandonner.
Dans ce jeu, c’est lui le roi, et j’ai perdu.
Echec et mat.

Déchirure -Relation prof-élève-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant