Chapitre 19

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Le vent fouette mon visage. Pour la première fois depuis des jours, je me sens bien. La sensation de vitesse qui m'envahit efface en moi doute et tristesse. Pour laisser place à une certitude : je suis là où je dois être. Je fais ce qui est juste.

Alex, devant moi, se dit-il la même chose ? Il a beau porter une veste, je peux sentir sous mes mains son coeur qui bat. La route défile derrière nous, et je me demande comment il sait où nous allons. Comment il connaît l'adresse de M. Stevan. Mais il n'hésite pas, pas une seule fois.

Nous roulons en silence, le vent nous empêchant de communiquer. Mais ce n'est pas plus mal. Qu'aurions-nous pu dire ? J'ai l'horrible impression que c'est la dernière fois que je vois Alex comme ça. La dernière fois que je serais aussi proche de lui. Et cela me fait atrocement peur. Je ne suis pas amoureuse de lui, non. Mais je l'apprécie vraiment. C'est mon meilleur ami, et je sais que ce qu'il fait maintenant pour me sauver est en train de le détruire.

Peu à peu, je reconnais le village de Nathan. Il y a à peine quelques jours, je me suis enfuie d'ici. Je revois la route où j'ai couru pour m'éloigner de lui. Je revois les jardins que j'ai traversé pour me cacher. Et je revois l'arrêt de bus. L'arrêt de bus où j'ai balancé à Nathan toutes ces horreurs. Ma propre voix résonne dans ma tête.

« Tu me fais pitié ! T’es qu’un pauvre mec qui tente de voir s’il a encore du charme auprès des gamines de 17 ans, t’es pathétique ! J’aurais préféré jamais te rencontrer, c’est clair ? »

Je me déteste pour avoir osé dire ça. Mais il n'est pas encore trop tard pour réparer ce qui peut l'être. Pour sauver le « nous » qui a existé durant si peu de temps. Trop peu de temps.

Nous tournons dans une petite rue que je reconnais pour l'avoir prise avec mon professeur, le jour où il a voulu m'emmener chez lui. Je sais ce que je trouverai au bout de cette rue. Mais suis-je assez forte pour l'affronter ?

Alex finit par ralentir et s'arrête en pleine rue. Heureusement qu'il n'y a personne derrière nous, nous nous serions fait écraser. Je retire mes mains de son torse et me rends brusquement compte de la façon dont je devais l'enlacer pour ne pas tomber. Ok, c'est gênant. Vraiment gênant. Visiblement, Alex se dit la même chose puisqu'il s'éloigne violemment de moi et enlève son casque. Je veux faire de même, mais le casque reste coincé. Ok, doublement gênant.

- Un problème ? me demande Alex.
- Non pas du tout, ne t'inquiète pas.
- Tu es sûre ? Tu as besoin d'aide pour…
- Non !

J'ai pratiquement crié mais je veux absolument éviter la scène de mauvais films à l'eau de rose où le garçon amoureux aide la fille à retirer son casque et l'embrasse après. En tirant violemment dessus, la fermeture du casque finit par s'ouvrir et je le retire d'un geste brusque. En soupirant de soulagement, je regarde Alex. Qui ne me regarde pas. Je l'observe durant plusieurs secondes mais il ne semble pas décider à lever les yeux vers moi. Je n'arrive pas à savoir s'il est simplement perdu dans ses pensées ou s'il veut juste éviter mon regard. Probablement les deux.

- Bon, eh bien… Merci, finis-je par dire avec un pauvre sourire.

Il lève enfin ses yeux vers moi et je reçois un coup au coeur. La lueur pétillante que j'y voyais autrefois a disparu. Elle a laissé place à une souffrance insoutenable. Inadmissible.
Avant qu'il n'ait pu prononcer un mot, je m'approche de lui et le sers dans mes bras.

- Je suis désolée, murmuré-je. Je suis vraiment désolée. J'aurais aimé que ce soit toi.

Au bout de longues secondes, son corps que je sens tendu contre le mien finit par se décontracter et il me rend mon étreinte.

- On ne choisit pas. Je ne t'en veux pas Joy, je ne t'en voudrai jamais. Mais je ne peux plus continuer comme ça.

J'aimerais le consoler, lui dire que tout ira bien, le rassurer. Je ne parviens qu'à le garder dans mes bras pendant encore quelques secondes avant qu'il ne s'écarte. Trop courtes secondes. Je suis en train de le perdre et je ne peux rien faire pour l'en empêcher. Il a besoin de guérir, et il ne pourra le faire que loin de moi. Mais j'ai encore des questions, trop de questions.

Déchirure -Relation prof-élève-Where stories live. Discover now