Chapitre 17

5.3K 297 25
                                    

Chapitre 17.

Je suis seule. Seule dans ce monde qui ne m’apporte que désespoir à cet instant. Le nom du monde est solitude.
Et j’ai froid.   
J’ai vraiment très froid.   
La morsure du sol glacé contre mes jambes est une douleur qui se fait de plus en plus insupportable à chaque seconde.

-    Joy !

J’ai mal.   
J’ai vraiment très mal.   
Les coups qu’ils m’ont infligés laissent des séquelles, je le sens. Visibles ? Non. Ce sont des séquelles à l’âme. Celles qu’on n’oublie jamais réellement.

-    Je suis là, j’arrive…

Pire que tout, j’ai peur.   
J’ai vraiment très peur.       
Et s’ils revenaient ? S’ils décidaient de continuer leur œuvre de torture, ou de m’achever ?

-    Joy… Ne pleure pas… Raconte-moi, raconte-moi tout.

Je ne suis plus seule.
Alex me prend dans ses bras au moment où je m’effondre pour de bon sur le sol.

***

Je ne sais pas comment je suis parvenue à rentrer au lycée. Alex m’a-t-il portée jusque-là ? Je ne sais pas. Je ne me souviens plus. Je sais juste qu’après mon appel au secours au téléphone, je me suis sentie vidée. Comme si plus rien n’existait autour de moi. Excepté la douleur. L’humiliation. Et pire que ça, la haine.

Je ne saurais dire pourquoi c’est Alex que j’ai appelé à l’aide. Pourquoi lui et pas Céline ? Ou même Nathan ? Je ne sais pas. La certitude qu’il était le seul à pouvoir m’aider s’est imposée sur le moment et je ne doute pas que cet instinct m’a sauvée.

Nous sommes maintenant assis devant le lycée. Il n’y a personne, heureusement. Je n’aurais pas supporté que quelqu’un me voit dans cet état. Alex n’a pas lâché ma main.

-    Dis-moi… Dis-moi qui t’a fait ça, Joy, souffle-t-il.

Je lève les yeux vers lui et hoche la tête de droite à gauche. Mon silence semble l’inquiéter encore plus qu’avant, si c’est possible. Il serre ma main un peu plus fort.

-    N’aie pas peur… Je veux juste t’aider.
-    Personne ne peut m’aider.

Il soupire.

-    Ne dis pas ça. Je suis là maintenant. Plus personne ne s’approchera de toi, d’accord ? Mais il faut que tu me dises qui a fait ça. Tu ne peux pas laisser leur crime impuni, tu comprends ? Il faut en parler…

Je baisse les yeux et contemple le sol pendant si longtemps que durant quelques secondes, je me demande si Alex ne va pas abandonner et s’en aller. Mais en constatant sa présence rassurante à ses côtés, je finis par murmurer :

-    Promets-moi que tu ne diras rien à personne.
-    Joy…
-    Promets-le !

Il semble sur le point de s’agacer mais finit par lâcher :

-    D’accord. D’accord, je te le promets.

J’avale ma salive. Avant même d’avoir commencé à parler, je sens les larmes me monter aux yeux et les essuie d’un geste rageur.

-    Il s’appelait Tony… C’était le frère de Sarah…

***

J’ai terminé mon histoire en pleurant. Durant tout ce temps, Alex n’a pas lâché un mot. Il s’est contenté de serrer ma main plus fort à chaque fois qu’il sentait que je n’arrivais plus à aligner mes mots. Et étrangement, ce contact m’a rassurée. Comme si pour une fois, je savais que je pouvais compter sur quelqu’un. Sur un ami.

-    Je vais les tuer, dit-il d’une voix sourde. A commencer par Sarah. Je te le promets, je vais la tuer.

Je le regarde et fais « non » de la tête.

-    Tu ne peux pas faire ça… Oublie pas, si quelqu’un sait quelque chose, je suis morte.
-    Je les laisserai pas te faire du mal, je…
-    Arrête !

Mon éclat semble l’étonner et le sortir un peu de sa rage.

-    Arrête, répété-je. Ne fais pas comme s’ils n’en étaient pas capables, car ce serait sous-estimer ce qu’ils m’ont fait.
-    Non, ce n’est pas…
-    Je n’en parlerai à personne, et je veux que tu fasses de même. Tu m’as promis. Je t’en prie, ne dis rien…

Mais il semble rester sourd à mes supplications car il serre les poings.

-    Tu ne peux pas les laisser s’en sortir comme ça, Joy.
-    Si. Si, je le peux et je le ferai. Et pour commencer, je vais retourner en cours.
-    Il est 8 h 32, le prof ne t’acceptera jamais…
-    Je m’en fous, je veux essayer. Je veux voir la réaction de Sarah. J’en ai besoin, tu comprends ?

Il soupire et semble se débattre contre lui-même durant plusieurs secondes. Puis, au bout d’un moment, il finit par acquiescer.

-    D’accord. Mais tu ne peux pas y aller comme ça.
-    Ah ouais ? Et pourquoi ?
-    Crois-moi Joy, vu ta tête actuelle, il vaut mieux que tu passes aux toilettes…

***

Alex avait raison, j’étais dans un état lamentable. Les cheveux en broussailles, du sang au coin des lèvres, de la terre sur mes vêtements… Tony avait bien calculé son coup. Sa gifle était suffisamment forte pour continuer à me faire mal pendant un bon bout de temps, mais la marque sur ma joue ne se voyait pas beaucoup.
Du moins le pensais-je…

En sortant, la grimace d’Alex me prouve que je me suis trompée.

-    T’aurais dû mettre du fond de teint sur ta joue…

Je lui adresse un regard agacé.

-    J’en ai mis.
-    Ah… Tu aurais dû en mettre plus alors.
-    Alex…
-    Bon bon, j’ai rien dit.

Je lui adresse un sourire triste et marche vers la salle de cours. Vérifiant qu’Alex est bien à mes côtés, j’inspire longuement et frappe à la porte. Un vague « Quoi ? » me parvient aux oreilles, et nous entrons.

Comme prévu, mon prof de maths me lance un regard glacial, haineux même. Mais ce n’est pas cela qui m’inquiète. Ce sont plutôt les chuchotements des gens de ma classe concernant mon apparence. C’est vrai que je fais un peu pitié à voir et que les traces de mon agression sont encore visibles. Mais parmi tous ces murmures, une seule élève reste impassible. Sarah. Elle me dévisage longuement et finit par m’adresser un petit sourire, allant même jusqu’à me faire un signe de la main. A côté de moi, je sens Alex se raidir, mais ce n’est rien face à toute la haine qui m’envahit.

Je parviens toutefois à reporter mon regard sur le prof qui m’observe de bas en haut. Visiblement, il semble se demander s’il devrait me proposer de l’aide ou se comporter comme le parfait connard qu’il est et me renvoyer de cours. Pas de chance, deuxième solution.

-    Mademoiselle Carmaux… Cela faisait longtemps ! Pas assez malheureusement. En retard de quarante-cinq minutes maintenant, nouveau record.

Je tente de garder mon calme.

-    Oui, excusez-moi, j’ai eu un petit problème… Personnel.

Au fond de la classe, j’entends Sarah élever la voix.

-    Ouais, un petit problème comme se taper un mec dans la rue… Fais gaffe Joy, t’as encore un peu de terre sur ton jean !

Certains se mettent à rire. Mon prof en fait partie. Je me tourne vers Sarah pour lui adresser un regard de dégoût et me prépare à lui lancer une réplique cinglante, quand elle sort son téléphone juste assez pour que je puisse le voir. Aussitôt, sa phrase me revient en tête. Un rappel. Ca me servira de rappel. Je détourne le regard et pose mes yeux sur le prof de maths. Celui-ci m’adresse un sourire narquois.

-    Eh bien, qu’attendez-vous ? Dehors ! Vous ne croyez quand même pas que je vais vous laisser rentrer ! Vous allez chez le CPE. Tous les deux, dit-il en lançant un regard rapide à Alex.

Je hausse les épaules et tourne les talons. A peine la porte refermée, Alex s’exclame :

-    Putain mais je te jure, je vais la tuer.
-    Alex…
-    Non, n’essaye pas de me calmer ! T’as vu comment elle t’a parlé ! Je ne peux pas accepter que…

Je lui attrape le poignet pour qu’il s’arrête. Il se tourne vers moi et se tait aussitôt. Je plante mon regard dans le sien.

-    Souviens-toi de ta promesse…
-    J’essaye. Je te jure que j’essaye. Je n’y arrive pas.
-    Pour moi. S’il te plaît.

Il semble sur le point de dire quelque chose, mais se ravise et retire son bras brusquement. Il s’éloigne à pas rageurs vers le bureau du CPE et je suis presque obligée de courir pour le suivre.

Evidemment, le CPE nous engueule. Rien d’anormal. Mais il ne cesse de nous demander pourquoi nous sommes en retard. Je vois son regard glisser sur moi en tentant de comprendre ce que je traverse, mais je le rassure d’un sourire que je sais totalement faux.

-    Il y a vraiment besoin de répondre à cette question ? dis-je avec ce fameux sourire. Nous étions à deux, ensemble, et nous n’avons pas… Vu l’heure.
-    Ensemble, dites-vous ?
-    Il n’y a pas besoin de vous faire un dessin, si ?

Le CPE hausse les épaules et soupire.

-    Je commence à en avoir assez de ces élèves qui arrivent en retard à cause de… De ça. J’irai en parler à votre professeur principal, soyez-en sûrs.

Aussitôt, en comprenant ses paroles, je commence à avoir peur. S’il raconte notre entrevue à M. Stevan, celui-ci pensera que j’étais réellement avec Alex et que nous… Merde ! Alex prend la parole pour la première fois depuis que nous sommes arrivés chez le CPE.

-    Il voulait nous voir de toute façon…

Je le regarde en fronçant les sourcils. Quoi ? Le CPE nous observe à son tour puis finit par lâcher :

-    Très bien. Dans ce cas je me contenterai de lui rédiger un mot que vous lui montrerez à dix heures, quand vous irez le voir. Mais soyons clairs, si vous ne lui avez pas parlé de cette incartade, je le saurai.

Je comprends brusquement la stratégie d’Alex. Au moins, le CPE ne nous accompagnera pas et nous pourrons parler tranquillement à M. Stevan. La seule pensée de voir celui-ci me fait me sentir mieux. Avec tout ce qu’il s’est passé, il était presque sorti de mes pensées. Mais rien à faire, une simple image de lui dans ma tête suffit à me faire retrouver le sourire.

Nous sortons du bureau du CPE et nous dirigeons sans un mot vers la salle de cours de M. Stevan. Encore une heure avant que celui-ci ne sorte de cours. Je ne comprends pas pourquoi Alex refuse de décrocher un mot, mais je suis incapable d’engager la conversation. Je revis en boucle dans ma tête les images de la matinée, assise à côté de lui contre le mur de la salle de Nathan.

Près d’une heure se passe avant qu’Alex ne se décide à ouvrir la bouche. Je compte les minutes qui me séparent de M. Stevan lorsqu’il finit par murmurer :

-    Comment tu fais ?

Je me tourne vers lui en fronçant les sourcils.

-    Comment je fais quoi ?
-    Pour rester aussi forte après tout ce que tu traverses. Il pourrait y avoir tous les malheurs du monde qui te tombent dessus, tu parviendrais toujours à te relever. Et je t’admire pour ça. Comment tu fais ?

Je reste sans-voix. L’aveu d’Alex m’a totalement prise au dépourvu. J’ouvre la bouche puis la referme, incapable de répondre.

-    Je… Je ne suis pas si forte que ça, tu sais, finis-je par lâcher avec un sourire triste. Je passe mon temps à pleurer, à m’effondrer. Et puis au bout d’un moment, il faut bien s’en sortir alors… J’improvise.

Je m’aperçois soudain qu’il est proche. Très proche. Trop proche.

-    Tu m’impressionneras toujours, Joy, dit-il dans un murmure.

Il se penche vers moi au moment où la cloche sonne, et avant même que j’ai pu reculer, ses lèvres se posent contre les miennes. Pétrifiée, je reste ainsi durant une seconde, incapable de faire un geste. A côté de nous, la porte s’ouvre et une flopée d’élèves sort de la salle.

Non. Pas que d’élèves.

Je parviens enfin à me reculer et à m’éloigner d’Alex en lui adressant un regard d’incompréhension totale.

-    Alex, qu’est-ce que…

Mais je remarque soudain que ses yeux ne se posent pas sur moi, mais derrière moi, au-dessus de mon épaule. Pétrifiée, je me retourne, et tombe nez-à-nez avec la personne que je voulais pourtant tellement voir avant.

Nathan.

On se croirait dans un mauvais film de série B. Mais ce n’est pas une comédie. Et je n’ai absolument pas envie de rire.

-    Joy, Alex… Qu’est-ce que vous faites là ? lâche-t-il d’un ton glacial.
-    On… On a été renvoyés de cours, parvient à balbutier Alex en lui tendant le mot du CPE.

Je tente d’arrêter son geste mais trop tard. M. Stevan intercepte le papier et je vois ses yeux parcourir rapidement les lignes, son visage se fermant un peu plus à chaque seconde.

-    Entrez, dit-il sans nous regarder en nous désignant la porte de la salle.

Alex s’exécute et, toujours sous le choc, je le suis. M. Stevan ferme la porte derrière nous et regarde le sol d’un air furieux.

-    Monsieur, commence Alex, je…
-    Je te croyais digne de confiance, Alex.

Le prof pose les yeux sur lui et je vois dedans une rage telle que je n’en ai jamais vue.

-    Je croyais, reprend-il, que tu avais abandonné. Tu la savais heureuse avec moi. Tu m’avais promis de t’effacer tant que je ferai son bonheur…

Je les regarde tous les deux sans comprendre. De quoi parlent-ils ? Qu’est-ce qu’il veut dire par là ? Je ne comprends rien à leur discussion.

-    En ce moment, elle ne l’est pas tellement, heureuse, répond Alex sans baisser les yeux. Je vous avais juré de ne rien tenter tant qu’elle serait bien avec vous, mais ça ne semble plus être tellement le cas…

Les yeux de Nathan se plissent tellement fort que j’ai presque du mal à apercevoir cette lueur de rage qui anime son regard.

-    Comment oses-tu ? siffle-t-il. Comment…
-    Arrêtez !

Cette fois, c’est moi qui ai haussé le ton. Les deux se tournent vers moi.

-    Je ne comprends pas… De quoi parlez-vous ? Qu’est-ce que tu as promis, Alex ? Qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ? dis-je en me tournant vers Nathan.

Celui-ci m’observe durant quelques secondes.

-    Rien, finit-il par lâcher. Ça ne veut rien dire. Ça ne veut plus rien dire.

Il reprend sa sacoche qu’il avait posée à côté de lui et la remet sur son épaule.

-    Je vous souhaite beaucoup de bonheur, tous les deux, dit-il sans nous regarder.
-    Non, c’est pas…

Mais mes protestations sont inutiles. Il se prépare à ouvrir la porte mais paraît se raviser et se tourne vers moi pour planter son regard dans le mien. Ses yeux bleu-gris semblent me transpercer l’âme et la souffrance qui perce dedans me donne envie de disparaître. Je l’ai blessé, je le sais, mais je n’ai jamais voulu que…

-    Au passage, Joy, quand tu promets à quelqu’un de te battre pour lui, évite de le trahir dès le lendemain. Au revoir.

Et avant même que je n’ai pu dire quoique ce soit, il sort en fermant la porte derrière lui, me laissant seule avec Alex.

Déchirure -Relation prof-élève-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant