Chapitre 16

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-    Eh Joy !

Je me retourne. Je viens à peine d’arriver au lycée que je suis déjà fatiguée d’entendre cette voix. Celle de Sarah. Evidemment. Je me doutais après ma discussion d’hier avec Nathan que la journée allait être dure, mais de là à imaginer que Sarah déciderait d’aller me gâcher ma vie quinze secondes après que je sois descendue du bus…

-    Tu veux quoi ? lui demandé-je d’un ton glacial.
-    Viens, on va un peu parler toi et moi…

J’hésite. Je n’ai aucune confiance en elle et je ne vois pas pourquoi je devrais la suivre. Elle semble comprendre que je n’ai aucune envie de la rejoindre car elle s’approche de moi avec un sourire insupportable, et me chuchote à voix basse dans l’oreille :

-    Je sais tout. Tu veux peut-être qu’on en parle ici ? Non crois-moi, on sera mieux au calme…

Mon cœur s’arrête une demi-seconde. Que veut-elle dire par « Je sais tout » ? Parle-t-elle de Nathan et moi ? Mais elle n’a pas pu nous voir, nous n’avons…

-    Tu viens ?

La voix de Sarah me ramène à la réalité. Et je sens clairement que sa question n’en est pas vraiment une… Elle sait qu’elle a gagné, que je vais la suivre.

-    D’accord.

Je lui emboîte le pas en me demandant pourquoi elle se dirige hors de la cour du lycée. Les autres nous regardent un peu bizarrement. Ils doivent sans doute se demander ce que deux ennemies déclarées peuvent bien avoir à faire ensemble… Mais nous dépassons la grille du lycée, et bientôt ces regards ne sont plus qu’un souvenir. Nous marchons ainsi pendant plusieurs minutes en silence, jusqu’à ce que je m’arrête brusquement.

-    Tu m’emmènes où, là ?

Son sourire, qui n’a pas disparu jusque-là, s’élargit encore.

-    Tu verras. On est bientôt arrivées.

Elle se remet en marche mais je ne bouge pas. Au bout de quelques pas, elle se retourne et me lance d’un ton narquois :

-    Ben quoi, t’as peur ? Tu devrais plutôt avoir peur que je révèle tes secrets, non ?

Sa phrase m’achève et, malgré moi, je la rejoins sans dire un mot. Nous parcourons ainsi encore plusieurs rues jusqu’à ce que finalement, je me demande où je peux bien être. Je regarde l’heure sur mon portable. 7 h 40. Nous avons marché pendant bien dix minutes et le temps de revenir sur nos pas, nous n’allons pas pouvoir parler durant bien longtemps… Je m’aperçois que j’ai un sms d’Alex.

«  Où es-tu ? »

Je me prépare à lui répondre mais Sarah me dit soudain :

-    Ca y est, on est arrivées. Range ton portable, t’en auras pas besoin si on doit parler…

Comme pour me narguer, elle sort son propre téléphone et envoie un message. Mais la maudissant de savoir qu’elle a tellement de pouvoir sur moi, je m’exécute. En relevant la tête, je vois alors qu’elle est dangereusement proche. Je hausse un sourcil et lui demande :

-    Bon, tu voulais quoi en fait ? Je te signale qu’on a cours bientôt, et…
-    Ce que t’as fait hier, tu ne le fais plus jamais, c’est clair ?

Son sourire victorieux l’a quittée. Désormais, son regard est aussi glacial que le mien mais je ne détourne pas le regard. Cette fois, c’est moi qui lui souris, d’un petit sourire narquois qui, je le sais, a le don de la mettre en rogne.

-    De quoi, de t’avoir dit de la fermer une bonne fois pour toute ?
-    Fais gaffe à ce que tu dis. Tu pourrais le regretter.

Je continue de sourire.
-    Ah oui ? Et pourquoi ?
-    Je t’ai déjà dit, je sais tout.
-    Tout ?
-    Sur le prof et toi.

Alors que pour la deuxième fois, mon cœur s’arrête, j’essaye de faire en sorte que mon sourire ne faiblisse pas. Mais intérieurement, je suis nettement moins assurée que je tente de le paraître.

-    De quoi tu parles ? lui dis-je d’une voix qui, je suis contente de l’entendre, ne tremble pas.
-    J’ai vu les regards que vous vous lanciez, vos petites discussions après les cours, la façon dont il te traitait pas rapport aux autres… Fallait être idiot pour rien voir.

J’éclate de rire. Un rire que je sais totalement faux, mais qui sonne presque réel.

-    Et à cause de ça, t’en as déduit qu’il y avait quelque chose entre nous ? Mais dans quel monde tu vis, Sarah ? T’as un gros problème toi…

Elle sourit à son tour.

-    Eh bien… Même si ce n’est pas suffisant comme preuve, y’a déjà assez de monde qui se pose des questions pour te mettre dans la merde si j’en ai envie, tu sais ?
-    Tu rêves, ma pauvre. Personne te croira, tu sais ? Et personne te suivra non plus…
-    Ça, c’est toi qui le dis.

Elle se retourne alors et crie :

-    Vous pouvez venir !

Je fronce les sourcils. De quoi parle-t-elle ? Je ne comprends pas.

-    Qu’est-ce que…

Je ne parviens même pas à finir ma phrase. Au coin de la rue, je vois apparaître trois hommes, l’air dur et brutal. M’attendant à ce qu’ils continuent leur route, je vois alors Sarah se tourner vers eux et leur lancer un grand sourire :

-    Ah, bah vous arrivez enfin !

Ils ne répondent pas mais l’un d’eux me jette un mauvais regard et me lance :

-    C’est toi, Joy ?

Je ne réponds pas. J’ai comme l’impression que je viens de faire une grosse connerie. Le plus musclé –évidemment- s’approche de moi.

-    Tu réponds ouais ? C’est toi la pétasse qui a insulté ma sœur hier ?

J’ouvre la bouche et la referme, puis regarde Sarah. Elle sourit d’un air victorieux, sachant très bien qu’elle a gagné sur toute la ligne. Alors c’est ainsi. Furieuse d’avoir perdu la bataille hier, elle amène son frère et ce que je suppose être les amis de celui-ci pour me menacer. Au bout de quelques secondes et voyant que son frère attend toujours une réponse, je pose mes yeux sur celui-ci :

-    Elle est obligée de t’envoyer pour me faire peur ? Vraiment ? Trois mecs contre une fille ? Waouh, vous êtes courageux !

Il se rapproche dangereusement tandis que les deux autres viennent se placer à ses côtés. Je constate alors qu’ils me dépassent tous de deux têtes. Y’a pas de doute, je suis dans la merde. Derrière eux, Sarah lance :

-    Tony, te laisse pas faire !

Son frère, le dénommé Tony, m’attrape par le bras et me le serre si fort que la douleur me fait lâcher un petit cri. Je tente en vain de me dégager mais sa poigne se resserre.

-    Tu me parles pas comme ça, salope, ou je te fais la peau.
-    Lâche-moi.
-    Ferme-la !
-    Lâche-moi je te dis !

Mes cris n’affolent personne, et je comprends alors pourquoi Sarah voulait à tout prix m’éloigner du lycée.

-    Je te préviens, lance Tony avec un rictus, tu traites encore une seule fois ma sœur comme ça et je serai plus violent que je ne vais l’être aujourd’hui…
-    Mais je lui ai rien fait, à ta sœur ! C’est elle qui m’agresse et…
-    Ta gueule !

Il me retourne le bras jusqu’à ce que je hurle. Il va me le casser, ce taré ! La douleur s’infuse dans tout mon corps et je sens les larmes me venir aux yeux. Mais il est hors de question que je pleure devant eux.

-    Tu t’attaques à ma sœur, c’est à moi que tu t’attaques, chuchote Tony au creux de mon oreille. Et ce que tu lui fais, je te le rendrai en dix fois pire. Maintenant quand tu la verras, tu baisseras les yeux, c’est clair ?

Malgré les larmes qui me montent aux yeux, je parviens à les fixer sur lui.

-    Même pas en rêve.
Le coup de poing (ou la gifle ? Je ne sais plus, je ne comprends plus rien) qu’il m’inflige au visage m’envoie par terre et me coupe le souffle.

-    Tu baisses les yeux, c’est clair ?

Je ne réponds pas, trop occupée à tenter de reprendre mon souffle. Aussitôt je me prends un coup de pied dans le ventre qui me fait hurler.

-    J’ai dit, c’est clair ?

Incapable de prononcer un mot, je hoche la tête. Les trois éclatent de rire et j’aperçois, malgré les larmes dans mes yeux, le frère de Sarah s’agenouiller à côté de moi.

-    Tu parles de ça à une seule personne, t’es morte, ok ? Encore là, j’ai été gentil. Je le serai nettement moins la prochaine fois.

Je ne réponds pas, terrassée par la douleur qui s’échappe de mon ventre.

-    Ah et au fait… reprend Tony.

Je lève les yeux vers lui. Peut-il faire pire que ce qu’il m’a fait jusqu’à maintenant ?

-    Sarah m’a parlé de ta relation avec ton prof. C’est pas joli-joli, tout ça, hein ? On va te surveiller maintenant, et la prochaine fois que tu parles mal à ma sœur, non seulement je te fais la peau, mais en plus de ça je m’arrangerai pour que tout ton lycée soit au courant. Y compris le principal. Et là, tu perdras tout.
-    Vous ne savez rien…

La voix qui s’échappe de ma bouche n’est qu’un murmure, et je sens le goût du sang dans ma bouche, souvenir du coup qu’il m’a porté sur le visage tout à l’heure.

-    Ah, tu ne nous en crois pas capable ? On est capable de tout, n’est-ce-pas Sarah ?

Derrière eux résonne un rire qui me paraît si lointain. Celui de Sarah… Je la hais si fort. J’aimerais presque la voir morte à cet instant. J’ai si mal et je me sens si humiliée… Pourquoi m’avoir fait ça ? Je sais bien qu’elle ne m’aime pas mais de là à envoyer son frère et ses amis me tabasser…

-    Tu perdras tout, répète le frère de Sarah avec un léger sourire.

Il se relève et lance à ses amis :

-    Allez, on y va.
-    Attends ! s’exclame une voix que je reconnais comme étant celle de Sarah.

J’entends des pas s’approcher et cette fois, j’ai réellement peur. Que va-t-elle faire ? Que peut-elle faire d’autre ?

-    Regarde-moi, Joy.

Je ne bouge pas, mais un coup de pied d’un des amis de Tony m’oblige à lever les yeux vers Sarah. Aussitôt, je vois celle-ci prendre une photo avec son portable. Super, mon humiliation est désormais immortalisée.

-    Tu vois cette photo ? me demande Sarah. A chaque fois que tu seras méchante envers moi, je te la montrerai, ça te servira de rappel. Et puis c’est si bon d’avoir une preuve que tu vaux rien, face à moi… Pauvre petite Joy, effondrée au sol comme la merde qu’elle est… Tu vois, encore une fois, tu ne m’arrives pas à la cheville.

Les rires gras de Tony et ses amis me donnent envie de me cacher sous terre. De disparaître. Mais Sarah les stoppe en lançant :

-    Bon allez, on y va cette fois. Fais gaffe Joy, sois pas en retard, ça serait con que le prof de maths te foute dehors, non ?

Elle rigole brièvement, avant que son sourire ne disparaisse, pour faire place à de la haine pure et simple dans ses yeux.

-    Et ça, c’est pour hier.

Elle me donne alors un grand coup de pied dans le ventre qui me coupe à nouveau la respiration. Tony s’approche à son tour.

-    Ca, c’est pour te rappeler de baisser les yeux quand tu la vois.

Nouveau coup de pied. Nouvelle douleur qui me fait monter les larmes aux yeux. Nouvelle vague d’humiliation.
J’ai envie de mourir.   

Tony se tourne vers ses deux amis :

-    Ben quoi, vous avez pas envie d’essayer ?

Ils rigolent et je vois avec horreur l’un d’eux se placer juste à côté de moi. Pour la première fois, j’entends sa voix.

-    Sarah, c’est comme une petite sœur pour moi, alors fais très attention à ce que tu lui dis…

Coup de pied. Dans la cuisse cette fois. Etrangement, le deuxième ami de Tony ne vient pas me frapper à son tour.

-    On ferait mieux de se casser, dit-il d’une voix grave.
-    Ouais, t’as raison, répond Tony. Venez, on dégage. Et toi Joy, n’oublie pas. Pas un mot à quiconque.

Alors que je ne croyais plus ça possible, je les vois s’éloigner à grand pas, Sarah à leur côté. Pendant plusieurs secondes, je reste au sol, sonnée. Et soudain, l’horreur de la situation vient me frapper et je me mets à sangloter. De grosses larmes roulent sur mes joues mais je n’en ai rien à faire. Je veux juste oublier tout ce qu’il vient de se passer… Pourquoi ai-je suivi Sarah ? Qu’est-ce qui m’a pris…

Je parviens finalement à m’asseoir et sort mon portable, grimaçant à cause de la douleur qui me traverse tout le corps. Les larmes me brouillent les yeux et j’ai un mal fou à taper le numéro dont j’ai besoin. Finalement, je réussis à porter mon téléphone à l’oreille.

« Allô ? C’est Joy… Viens me chercher, je t’en supplie… »

Déchirure -Relation prof-élève-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant