Chapitre 12

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Chapitre 12.

Non, ce n’est pas possible. Je ne veux pas y croire. Ça ne peut pas être vrai.
Et pourtant si.

Si près du but d’être heureuse, tout s’effondre une fois encore.

Isabelle portait bien son nom. Elle était vraiment belle. Magnifique même. Pas d’une beauté douce, non. Elle était froide, fatale, sublime. Ses lèvres rouges contrastaient avec son visage pâle et délicat que venait encadrer une éblouissante crinière blonde. Elle était réellement magnifique et je ne faisais pas le poids. Surtout face au regard de profonde haine qu’elle me lançait.

C’est ce regard qui me confirma que j’étais en train de faire une véritable erreur. D’un seul coup d’œil, elle me confirmait ce que j’avais toujours su sans vouloir me l’avouer : Nathan ne serait jamais à moi, il était beaucoup trop bien. Il méritait une fille comme elle, séduisante et captivante.

Sa seule présence m’écrasait et je n’avais plus qu’une envie : fuir. Fuir loin, plus loin que je n’avais jamais été. Cesser d’exister pour elle, pour lui, pour tout le monde. Juste disparaître, n’être plus qu’un vague souvenir dans l’esprit des gens qui m’avaient connue. Ou croyaient me connaître.

Avez-vous déjà ressenti cette impression de trahison ? Comme si tout s’effondrait autour de soi. Comme si plus rien n’avait de sens en ce monde. Comme si la seule chose à faire, c’était d’admettre qu’on n’était rien et d’abandonner. C’était exactement ce que je ressentais.

Je n’osais plus regarder Nathan. Sa faiblesse face à Isabelle était tout simplement insupportable.

« Assume ! avais-je envie de lui hurler. Tu m’as menti, tu m’as manipulée, tu as fait de moi ton jouet ! Et maintenant qu’on te rappelle à l’ordre, tu te sens idiot hein ? Mais pas autant que moi Nathan, alors assume ! »

Dire que je l’avais cru. Lorsqu’il m’avait dit qu’il m’avait toujours aimée, je l’avais cru. Lorsqu’il m’avait dit que j’étais la seule qu’il avait aimée à ce point, je l’avais cru. Je l’avais toujours cru, et maintenant je m’apercevais qu’il disait visiblement la même chose à toutes les filles avec qui il était sorti. Il m’avait bien prise pour une conne, et aveuglée par mon amour pour lui, je n’y avais vu que du feu.

- Eh bien, ça aura été un plaisir sans pareil de te revoir Nathan, jette Isabelle. Au passage, elle n’est pas un peu jeune pour toi ? Ne me dis quand même pas que c’est une de tes élèves… Ca serait bête que je te dénonce, n’est-ce-pas ? C’est sûr que c’est plus facile de manipuler une gamine, tu as plutôt pas mal choisi sur ce coup. C’est crédule à cet âge-là, tu peux encore profiter d’elle. Et moi qui pensais que j’étais la seule à qui tu avais servi ce petit discours larmoyant…

Nathan fait un pas vers elle.

- Isabelle, ne…
- Occupe-toi de ta « petite » amie, elle a l’air d’en avoir plus besoin que moi. Et crois-moi, elle en aura encore plus besoin bientôt… Sur ce, je vous laisse à vos… amours, si je puis dire.
- S’il te plaît Isabelle, je…
- Bon après-midi.

Elle monte dans la voiture que, perdus dans notre monde, nous n’avions pas vue en arrivant, et démarre. En quelques secondes, elle est loin.

Nathan semble égaré. Il se tourne vers moi et fixe ses merveilleux yeux bleus sur moi.

- Joy, je ne sais…
- Ta gueule.

Les mots étaient sortis tout seul, sans que je puisse les arrêter, et il semble les recevoir aussi violemment que s’il s’était pris une claque.

- S’il te plaît, murmure-t-il, je te jure que…
- Arrête ! Je t’en supplie, arrête de jouer avec moi comme ça. J’en ai assez. C’en est trop là, j’en peux plus. Tu m’as prise pour une conne, Isabelle vient de le prouver. Au passage, joli choix.
- Ne sois pas jalouse, je…
- Bien sûr que si, je suis jalouse ! Mais crois-moi, ça ne durera pas. J’abandonne avec toi, Nathan. C’était idiot de croire qu’un mec comme toi allait s’intéresser à… à une fille comme moi. Je suppose que ça devait bien te faire rire, de te dire que t’allais te taper une de tes élèves, hein ?
- Non ! C’est pas du tout…
- J’avoue que j’y ai cru, à tes mensonges. Je pense que tu t’es bien foutu de ma gueule, alors arrête ça. Tu… T’as juste joué avec moi. Ca avait pas marché avec elle, alors il a fallu que tu te contentes de moi, hein ? Ben ouais, cette petite stratégie du « t’es la femme de ma vie » marchait pas avec les femmes de ton âge, donc t’as dû te rabattre sur une gamine.

J’avais envie de pleurer, mais je tentais de conserver ma dignité.

- Et c’est moi qui ait cédé le plus vite. Ca aurait été qui sinon ? Sarah ? Céline ? Ah mais non, tu avais Isabelle qui était prête à se jeter dans ton lit. Tu vois, finalement elle marche avec tout le monde, cette stratégie.
- Je n’ai jamais voulu me remettre avec e…
- J’en ai eu assez. J’en ai vu assez. C’est fini pour moi Nathan. Je sais pas pourquoi j’ai pu penser que toi et moi, ça allait marcher. On est trop différents. Toi, t’es là avec tes dizaines de conquêtes, et moi je te voulais toi. Juste toi. T’étais le seul qui aurait pu faire mon bonheur, et là tu m’as juste brisé le cœur.

Les larmes commençaient à couler sur mes joues. Je tentais de les essuyer d’un geste rageur, mais elles venaient contre-attaquer par dizaines. Nathan s’approche de moi, sans doute pour tenter de me calmer en me prenant dans ses bras, mais je recule précipitamment.

- Joy, souffle-t-il, ne fais pas ça. Je ne voulais pas d’Isabelle, et je n’ai jamais décroché à ses appels. Je ne sais pas pourquoi elle était là aujourd’hui, je… Je me fiche d’elle. C’est toi que j’aime. Oui, je lui ai dit que je l’aimais plus que tout, et alors ? Je me suis trompé, c’est tout. J’ai jamais voulu te blesser en te disant ça, c’était juste… juste ce que je ressentais. Il faut que tu me croies, Joy. J’ai besoin de toi, tu peux pas partir comme ça.

J’hésite. Il est si proche de me faire revenir sur ma décision… Mais les paroles d’Isabelle me reviennent en tête, et les larmes redoublent.

« Dis-moi, lui as-tu sorti le même discours qu’à moi ? »
« C’est sûr que c’est plus facile de manipuler une gamine »
« C’est crédule à cet âge-là, tu peux encore profiter d’elle. »

- Je… Je dois partir, murmuré-je.
- Laisse-moi au moins te ramener chez toi…

Il tente de refaire un pas vers moi, mais je recule à nouveau.

- Ne t’approche pas de moi, lui craché-je à la figure. Dégage ! Dégage, je veux plus te voir ! Laisse-moi m’en aller, c’est la seule chose que je te demande…
- Non ! Je veux pas te laisser partir, je veux pas que ça se finisse entre nous à cause d’une pauvre connerie ! Je t’aime, Joy. Je t’aime vraiment.

Mais je hoche la tête de gauche à droite en m’essuyant les yeux.
- Non, Nathan. Non, tu ne m’aimes pas. Parce que tu sais ce qui est le plus triste là-dedans ? C’est que, si tu m’avais vraiment aimée, c’est vers moi que tu serais allé en premier, pas vers elle. Et c’est ça qui, plus que le reste, est en train de me briser.

***

J’ai fait la seule chose dont j’étais encore capable sur le moment. Je me suis enfuie. Après lui avoir balancé cette dernière phrase au visage, je me suis retournée et j’ai couru. J’entends encore sa voix derrière moi.

« Joy ! Joy ! »

Mais je ne me suis pas arrêtée. Au contraire, quand j’ai compris qu’il me poursuivait, j’ai accéléré. Les quelques secondes qu’il avait mises à réagir m’ont sauvée. J’ai traversé la route principale de son village sans regarder, obligeant la voiture qui a failli me percuter à faire un écart. Mais Nathan a dû attendre plusieurs secondes avant de traverser et lorsque j’ai jeté un dernier regard derrière moi, je l’avais bien trop distancé pour qu’il puisse imaginer me rattraper. Dans le doute, j’avais tourné pour rentrer dans le jardin d’une maison et me cacher derrière le muret, priant pour ne pas qu’il me voit.

Et j’avais continué à entendre ses cris.

« Joy ! Joy, reviens ! »

Mais je n’étais pas revenue. J’étais restée de longues minutes, sans doute près d’une heure, cachée derrière ce muret à sangloter. Et lorsque j’avais entendu une voiture rentrer dans l’allée qui menait au jardin, j’avais sauté par-dessus le muret pour m’éloigner. Cette fuite était ridicule, mais j’étais incapable d’aller affronter Nathan. Je ne voulais plus le revoir. Plus jamais.

Je n’avais pas osé retourner près de la route principale. Trop peur de le croiser. Et pourtant, j’aurais dû m’y rendre pour prendre un bus et rentrer chez moi. Mais la perspective qu’il puisse m’attendre me terrifiait.

Je décide de sortir mon portable pour regarder les horaires de bus en ligne et constate que Nathan m’a appelée 12 fois et m’a envoyé 17 messages, que je ne lis pas. Je dois me concentrer. Il faut que je rentre chez moi... Si par chance j’arrivais à l’arrêt en même temps que le bus, Nathan n’aurait pas le temps de me parler, si jamais il était là. Il était presque 15h00, et j’avais bon espoir qu’il y ait un bus qui passe à cette heure-là. Les horaires de bus me le confirment. Dans moins de cinq minutes, le bus passerait et je n’aurais qu’à monter dedans pour rentrer chez moi. Encore fallait-il arriver à l’arrêt sans encombre…

Je ne sais pas comment je parvenais à tenir, à ne pas m’effondrer sur la route en attendant qu’une voiture passe pour m’écraser. Ou un camion. J’ai moins de chance de m’en tirer, avec un camion.
Je me sentais juste vide. Comme si toutes les larmes qui avaient coulé en avaient profité pour voler le peu de vie qu’il me restait. Je regardais autour de moi sans avoir réellement conscience de ce qui m’entourait. Pire que tout, j’avais un peu de mal à savoir qui j’étais.

A 14h58, je quitte la rue où je me cache depuis un bout de temps maintenant. Si j’ai bien calculé, il me faudra deux minutes en courant pour atteindre l’arrêt de bus. J’ai plus qu’à prier pour qu’il ne soit ni en avance, ni en retard.

Mes foulées résonnent sur le macadam, aussi vite que mon cœur. Cœur brisé. Brisé par un connard qui m’a transformé en jouet pendu à ses pieds. C’est fou ce que j’ai pu être idiote… Il me manque, c’est atroce. Il s’est foutu de moi et pourtant il me manque. Ca a beau être un connard, je l’aime. Et pourtant, c’est cette seule souffrance qui me détruit de l’intérieur qui me rappelle que je suis encore vivante. Car en le quittant lui, j’ai un peu l’impression de lui avoir laissé une part de moi-même.

J’arrive sur la route principale. 14h59. L’arrêt est à moins de 100 mètres. Si proche…
Trop proche.
A l’arrêt, il y a quelqu’un.
Quelqu’un que je reconnaîtrais entre mille.

Nathan.

***

- Joy ! lance-t-il en me voyant, visiblement soulagé.

Je ralentis en le voyant. Qui aurait pu croire qu’il aurait patienté une heure ici pour espérer me retrouver ? Son beau visage exprime encore une panique telle que je n’en ai jamais vue, et les larmes reviennent me piquer les yeux. Mais je ne dois pas pleurer, non. Il faut simplement que j’agisse comme si tout m’était indifférent. Comme s’il ne m’avait pas brisé le cœur.

Il marche vers moi alors que je cesse totalement de courir. 15h00. Le bus devrait arriver.

- Joy, ne refais plus jamais ça… Tu aurais pu te faire enlever, violer, je ne sais pas moi !

Il n’est plus qu’à trois mètres de moi. Deux mètres. Un mètre.
Je passe à côté de lui comme si je ne l’avais pas vu et sers les dents en voyant l’air blessé qui se peint sur son visage.

- Eh, regarde-moi au moins, murmure-t-il…

Je baisse les yeux sans répondre. Foutu bus, tu ne voudrais pas te dépêcher ?

- Joy, je t’en supplie, ne pars pas… Me quitte pas. Je t’aime, vraiment. Je t’ai toujours aimée et… et je t’aimerai toujours. J’ai jamais aimé quelqu’un comme cela, je te l’ai déjà dit.
- Et tu l’as déjà dit à Isabelle, aussi.

Je n’ai pas pu m’en empêcher. Je sais que j’avais dit que je resterai indifférente mais j’en suis tout simplement incapable. Savoir qu’il est si proche, qu’il veut toujours de moi et que nous pourrions être ensemble me tue. Parce que je sais que ce n’est pas possible. Je sais que plus je resterai à ses côtés, plus j’aurai mal.

Il n’est pas que la clé de mon bonheur, il est surtout celle de mes souffrances.

- Oui, je le lui ai dit, c’est vrai, dit-il d’une voix très calme. Je n’ai jamais cherché à te mentir là-dessus. Seulement, ce n’était rien comparé à toi. J’ai aimé Isabelle, mais…
- Je m’en fiche ! Je m’en fiche, tu entends ? Je m’en fiche que tu l’aies aimé, que t’aies voulu te marier avec, lui faire un gosse ! Je m’en fiche que tu te la sois tapé un bon milliard de fois, je m’en fiche totalement ! Je ne veux pas en entendre parler, c’est clair ? Et je ne veux plus entendre parler de toi, tout simplement. Plus jamais.
- Arrête…
- Non, je ne vais pas arrêter ! Je vais pas te mentir, je vais pas te dire que je t’aime pas, parce que si, je t’aime ! Je t’aime et c’est bien ça le problème. J’essaye de m’en moquer de tout ça, et j’y arrive pas. A chaque fois que je te vois maintenant, je te vois lui disant les mêmes choses. Je te vois être à côté de moi et aller vers elle pour la retenir. Je te vois te foutre de ma gueule en me mentant.
- C’est pas…

Il faut qu’il arrête de nier. J’en peux plus, qu’il l’admette au moins… Une nouvelle larme coule.

- Oh et puis, j’en ai assez de pleurer à cause de toi, dis-je presque en hurlant. Je déteste ça pleurer, je pleurais pas avant toi. Mais qu’est-ce que tu veux, c’est ça de rencontrer un mec comme toi.
- Je n’ai…
- Mais tu sais quoi ? Tu me fais pitié ! T’es qu’un pauvre mec qui tente de voir s’il a encore du charme auprès des gamines de 17 ans, t’es pathétique ! J’aurais préféré jamais te rencontrer, c’est clair ?

Cette fois, Nathan ne tente pas de m’interrompre. Il me regarde longuement et finit par lâcher :

- C’est vraiment ce que tu penses, Joy ?
- Ouais. Ouais, c’est ce que je pense. T’es qu’un pauvre type, Nathan, et j’ai honte pour toi. T’es à vomir.

Je relève la tête vers lui et plante mes yeux dans les siens. La panique que j’y avais lue tout à l’heure a disparu. Son regard est glacial mais je refuse de baisser les yeux. Nous restons ainsi plusieurs secondes, à nous dévisager en silence, jusqu’à ce que j’entende le bus arriver.

Je me détourne de lui pour entrer dans le bus et montre ma carte au chauffeur. Celui-ci semble étonné des traces de larmes sur mon visage et de mes yeux rouges, mais il ne fait aucun commentaire. En me laissant tomber sur un siège, je l’entends demander :

- Vous ne montez pas, Monsieur ?
- Non, répond froidement la voix de Nathan. Non, je n’ai aucune raison de monter dans ce bus. Vous pouvez partir.

Déchirure -Relation prof-élève-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant