Chapitre 9

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Nous sommes restés longtemps dans cette salle, enlacés et plus heureux que jamais. J’aurais aimé que le temps s’arrête pour passer l’éternité dans ses bras, mais il faut bien retourner à la réalité. Au bout d’un trop court moment, M. Stevan, ou plutôt Nathan, me regarde et me dit :

- J’aimerais qu’on puisse être véritablement ensemble mais…
- Mais je sais, c’est contraire à la loi.
- Oui. Tu as le droit de m’en vouloir de t’entraîner là-dedans, tu sais ?

Je me prépare à rire, avant de m’apercevoir que son visage est grave. Je reprends aussitôt mon sérieux et lui murmure :

- Comment pourrais-je t’en vouloir alors que je rêve de ça depuis longtemps ?
- Parce que… Parce que comme tu l’as dit, tu rêvais. Et je ne suis pas sûr que tout cela puisse devenir réalité… Je veux dire, es-tu prête à te cacher ? A annoncer à tes parents que l’homme que tu aimes a treize ans de plus que toi et qu’en plus de cela, c’est ton prof ? A supporter les cours où nous serons si proches sans pouvoir être vraiment ensemble ?

Je l’attrape par le menton pour le forcer à me regarder droit dans les yeux.

- Oui, je suis prête à ça. A tout. J’ai attendu assez longtemps, j’ai eu le temps de réfléchir. Et si tu m’aimes vraiment, alors tu devrais être prêt aussi… Sinon, dis-le moi. Je ne veux pas me faire de faux espoirs. Je m’en suis assez fait.

Il retrouve son merveilleux sourire et me chuchote en enlevant une mèche de ma joue :

- Evidemment que je suis prêt. Je m’inquiète juste pour toi…
- Ca ira. Je suis un peu perdue je t’avoue, mais on s’en tirera. Pour le moment, il va surtout falloir qu’on sorte… J’aimerais rester ici durant des heures, mais ça serait bête de se faire surprendre dès le premier jour !

Il acquiesce et je commence à me détacher de lui, lorsqu’il me rattrape par le bras et m’embrasse.

- Désolé, mais je ne sais pas quand je referai ça ensuite, alors il fallait que j’en profite !
- Eh, tu te rends compte comme ça va être dur de quitter ce lycée si tu casses tous mes efforts pour partir ?
- Je savais que tu adorais le lycée de toute façon.
- Tu serais vraiment prêt à tout pour empêcher tes élèves de sécher les cours !
- Tu serais étonnée.

Il rigole et me laisse prendre mon sac. Alors que je me tourne vers lui, il m’attrape la main et me note dessus un numéro de téléphone au marqueur noir.

- C’est mon numéro de portable, ça peut servir non ?

Je lui souris.

- Merci. Euh, je sais pas trop quand j’ai un bus, je…
- Je te ramène.
- Mais…
- Mais je l’ai déjà fait quand nous n’étions pas ensemble, alors quoi ?
- Alors tu as vu comment ça s’est fini la dernière fois.

Nous nous fixons durant quelques secondes et il soupire.

- Joy… Je sais que tu as souffert ces derniers temps, et moi aussi. Mais pourquoi tu gardes ces erreurs du passé en tête ?

Je hausse les épaules. Ce n’est pas vraiment ce qui m’inquiète en fait. Ce n’est même pas le fait que l’on puisse nous voir. Non, c’est bien plus idiot que ça. J’ai juste peur qu’après le trajet en voiture, en arrivant devant chez moi, ce soit la fin de l’histoire. Ca l’a été une fois, pourquoi pas deux ?

« Ca n’était pas une fin, vous êtes ensemble aujourd’hui. » me souffle la petite voix bienveillante qui me sert de conscience.

Ce n’est pas faux. Je me rappelle juste toutes ces larmes versées, cette douleur infligée. Je ne veux plus la connaître. Ce ne sera pas la fin de l’histoire.
Je lève la tête et lui souris.

- Tu as raison. Excuse-moi.
- Chut… On fait comme la dernière fois, d’accord ?
- Essaye de ne pas arriver en retard ou de me poser un lapin cette fois !

Il rit, me reprend dans ses bras et après un dernier baiser, je franchis la porte après lui avoir jeté un dernier regard. En marchant jusqu’à la rue où nous avons rendez-vous, je ne parviens pas à penser à autre chose que tout ce qui vient de se passer, un sourire heureux plaqué au visage.

Il y a moins de deux heures, il me semblait que j’étais sur le point de mourir, incapable de supporter l’idée que M. Stevan connaisse mes sentiments sans qu’ils soient réciproques. J’aurais pu tuer Sarah, tant ma jalousie était forte. Je ne voulais qu’une seule chose, partir loin, à tout jamais.

Maintenant, j’ai le cœur plus léger qu’il ne l’a jamais été. Il m’aime. Il m’a toujours aimé. Peu importent les sacrifices que nous devrons faire, cela vaut le coup. Je sais que ça ne sera pas facile, j’en ai conscience. Devoir se cacher, mentir à tous, vivre dans l’ombre. Mais je m’en fiche, tant que j’ai son amour. Rien d’autre ne compte.

Nathan arrive en voiture au moment où je rejoins notre lieu de rendez-vous. J’observe les alentours, prudente, mais il n’y a personne.

- Quel timing, me dit-il au moment où je m’installe sur le siège passager.
- On s’améliore, on s’améliore.
- Enfin, je dis ça mais vu le temps qu’on a mis à s’avouer nos sentiments…
- Eh, t’aurais rien fait si j’avais pas fait le premier pas !
- Logique, je suis ton prof, je voulais pas t’influencer.
- Parce que tu penses être capable de m’influencer ?
- Tu me sous-estimes là !

Je lui tape gentiment sur le bras et il me jette un rapide regard avant de reporter son attention sur la route.

- Je suis étonné de ne pas t’avoir plus remarqué durant le voyage en Espagne.
- C’est parce que tu étais en couple.
- A propos de ça…

Je me tourne vers lui en fronçant les sourcils :

- Oui ?
- Je sais que ça peut te paraître récent tout ça… Je veux dire, j’étais en couple, elle me largue et me voilà avec toi. Mais ce n’est pas le cas du tout.

Je ne dis rien, car je sais qu’il n’a pas fini. Et effectivement, après quelques secondes de silence, il reprend :

- Elle m’a quittée durant les vacances pour un autre, après deux ans ensemble, et je t’avoue que je l’ai assez mal vécu. Je pensais que je ne m’en remettrais pas et je regrettais de n’avoir pas su la retenir. Et puis le jour de la rentrée, tu es arrivée avec ton naturel désarmant, et d’un coup, je me suis senti mieux. Comme si ton sourire avait su me guérir.
- Je…
- Attends. Quand on a commencé à parler le lendemain, pour cette fichue carte, je me suis aperçu que tout ce que je pensais aimer chez Isabelle était faux. J’aimais l’idée d’elle. J’aimais l’idée d’aimer, d’être aimé. Mais ce n’était rien comparé à ce que je ressentais en te voyant. Toi Joy, c’était bien plus fort. C’était réel. T’es arrivée et t’as tout chamboulé dans ma vie.
- Je suis désolée…
- Ne le sois pas. J’ai mis du temps à comprendre mes sentiments parce que je ne pensais pas que ça pouvait être possible. Et quand on était ensemble, dans cette même voiture, je ne savais plus quoi penser. Tu paraissais si proche et en même temps si distante…
- Je pensais que tu voulais sortir avec Mme Landsmann.
- Je me fichais d’elle. Je voulais juste te dire…

Il reprend sa respiration et me jette un nouveau regard.

- Je suis désolé pour toutes les fois où je t’ai blessée sans le vouloir. Je sais que c’est idiot de te le dire maintenant, mais je voulais que tu le saches. Je ne savais juste pas comment agir avec toi, et tu avais l’air de ne pas vouloir de moi. Maintenant que je sais que je me suis trompé, je me trouve totalement con.
Je suis touchée par ses confidences. Je n’avais pas réfléchi à la façon dont il voyait les choses, trop obnubilée par ma propre souffrance. C’était égoïste mais notre histoire paraissait tellement improbable. Aujourd’hui, elle est réelle et ses mots m’ont touchée au cœur.
- Je comprends. Je suis navrée pour Isabelle, je…
- Ne le sois pas. Je te l’ai dit, je t’ai aimé depuis le début. Elle, ce n’était rien face à ce que je ressens pour toi.
- D’accord… Et aussi, je suis désolée d’avoir agi comme ça ces derniers temps, je… Je voulais juste t’oublier je suppose. Ca a pas marché.
- Et heureusement.

Il me sourit et à nouveau, je ressens ce trouble au plus profond de moi-même. Je l’aime plus que moi-même, et tous ces moments que nous pouvons partager ne font que renforcer cette sensation. C’est sans doute ce qui me pousse à lui dire :

- Tu crois qu’on va y arriver ?
- Y arriver ?
- Nous deux, être ensemble…

Il ne répond pas et son silence me terrifie. Je le regarde mais ses yeux ne quittent pas la route. Il paraît si sérieux que je n’ose pas reposer ma question. Est-ce un non ? Je sais que notre relation est compliqué mais…

- Tu fais quoi là ? lui dis-je soudain.

Il s’arrête sur une petite place le long du bas-côté et se tourne vers moi.

- Je me gare pour qu’on puisse parler, j’ai pas envie que tu aies un accident à cause de moi. Du déjà-vu d’ailleurs. Et la réponse est oui, Joy. Je crois qu’on peut y arriver. Ca va être l’année la plus difficile du monde, mais si on continue à y croire, alors c’est possible oui.

Il me prend la main et je le regarde. Dans ses yeux bleu-gris, je ne vois que de la sincérité. Il pense réellement ce qu’il dit. Il considère notre histoire comme une certitude et cela me donne la force de lui sourire. Sourire qu’il me renvoie. Je dois cesser d’avoir peur, je dois cesser de craindre l’avenir, je dois cesser de penser que je vais le perdre.

- Au fait… Je crois que Sarah se doute de quelque chose, lui dis-je en changeant de sujet.
- Tu crois ?
- Oui. Déjà la dernière fois où elle a voulu nous espionner, et elle m’a jeté un drôle de regard aujourd’hui.
- Ce n’est qu’un regard Joy…
- Je la sens pas, c’est tout.

Il hoche la tête.

- On fera attention à elle. Et aux autres.
- D’accord.

Il m’embrasse sur le front et remet le contact. Tandis que le paysage défile, je me revois il y a plus d’un mois, dans cette même voiture. Tout a changé depuis. C’est bizarre de se replonger dans le passé, de tenter de retrouver les sensations qu’on avait, les pensées qui nous traversaient l’esprit. Qui étais-je à ce moment-là ? Etais-je vraiment sûre de ce que j’éprouvais pour M. Stevan ? Non, vraiment, c’est bizarre.

Nous nous rapprochons de plus en plus de ma maison, et je me rends compte soudainement compte de quelque chose.

- Ne me dépose pas directement devant chez moi, lancé-je à Nathan.
- Pourquoi ?
- Mes parents seront là et… Et…
- Et tu n’as pas envie qu’ils te voient avec moi.

Je le regarde mais son visage est impassible. M’en veut-il ? C’est difficile à deviner chez lui.

- Nathan, je…
- Ne t’inquiète pas, je comprends.
- J’aimerais pouvoir leur dire, tu sais. Mais aussi rapidement…
- Je sais.
- Je t’assure, je voudrais…
- Je sais, je t’ai dit.

Je me tais et baisse les yeux. Sa dernière phrase résonne comme une sentence. Sa main quitte le levier de vitesse pour se poser sur ma jambe, comme pour me rassurer et me faire comprendre qu’il ne m’en veut pas.

- Joy… Tu te rends compte que j’ai sans doute autant d’années de différence avec tes parents qu’avec toi ?

Je n’avais pas vu ça comme ça. C’est vrai que c’est bizarre, dit ainsi. Treize ans de différence, ce n’est pas rien. Mais il suffit que je le regarde pour que cette pensée s’efface. Je le connais, je l’aime pour ce qu’il est tout entier, et ce n’est pas la différence d’âge qui changera ça. Je sais depuis longtemps qu’il est bien plus vieux que moi et je suis quand même tombée amoureuse.

- Je m’en rends compte oui. Et je m’en fiche.
- T’as de la chance…
- Nathan… Je sais que tu dois culpabiliser de m’entraîner là-dedans, mais arrête de te voir comme un homme qui influence une ado ! On est un couple maintenant, j’ai pas envie que tu te vois plus comme mon père que comme mon copain !

Il soupire et je sais que j’ai touché un point sensible. Après plusieurs minutes, nous finissons par arriver dans mon village et il ralentit dans une rue non loin de la mienne avant de se garer, tandis que je détache ma ceinture.

- Je suis désolé pour tout à l’heure, me dit-il. Tu as raison. Dire qu’avant j’étais un prof à qui on reprochait de faire trop ami-ami, maintenant je suis un petit ami à qui on reproche de faire trop prof !

Je ris et la tension qui régnait depuis plusieurs instants se dissipe.

- Tu te rappelles en début d’année ? Tu m’avais demandé si étais un bon prof, et je t’avais dit que je te répondrai le lendemain, quand je t’aurai en cours…
- Je me souviens oui.
- Je ne te l’ai jamais dit, mais tu es un bon prof.

Il me sourit à son tour.

- Tu dis ça seulement parce que tu m’aimes, avoue.
- Pas loin. Uniquement parce que je veux une bonne note au contrôle, mercredi.

Son sourire vacille un peu.

- Ecoute… Je sais qu’on est ensemble, mais je veux rester juste envers les autres et te noter comme une élève normale…
- T’inquiète pas, c’est logique. Je ne veux pas que notre histoire puisse changer quoique ce soit au niveau de mes notes, sinon je vais jamais savoir ce que je vaux.
- Au niveau du contrôle, je ne peux pas encore te dire ce que tu vaux, mais pour tout le reste…

Il se penche vers moi et me murmure à l’oreille :

- Tu vaux bien plus que tu ne l’imagines.

Son souffle sur mon cou me fait frissonner et nous nous embrassons une nouvelle fois, mais nous sommes interrompus par son téléphone qui se met à vibrer. Il a une grimace désolée mais ne décroche pas.

- C’est qui ? questionné-je.
- Je ne sais pas et je m’en fiche.
- C’est peut-être important.
- Y’a rien de plus important que toi, Joy.

Je me contente de lui lancer un sourire incertain et le téléphone finit par arrêter de vibrer.

- Tu devrais peut-être y aller, me dit-il.
- Déjà ?
- Je n’ai pas envie d’aller trop vite avec toi.
- Tu veux te débarrasser de moi, c’est ça ? répliqué-je avec une sorte de petit rire qui sonne faux.
- Bien sûr que non…

J’acquiesce et sort de la voiture.

- A demain alors. Enfin, peut-être.

Nathan (que c’est dur de ne pas dire « M. Stevan » !) sort aussi et me prend dans ses bras.

- A demain. Et arrête de penser que je ne veux pas de toi, je ne veux juste pas que tes parents s’inquiètent.
- D’accord…
- Je t’aime Joy, essaye de ne pas l’oublier.

Il m’embrasse une dernière fois et je finis par m’éloigner, regrettant de ne pas pouvoir rester un peu plus avec lui. En me retournant, je m’aperçois qu’il n’a pas bougé et me sourit. Je lui envoie un baiser de la main et son sourire s’élargit, reflet du mien.

Toutefois, en arrivant chez moi, je ne peux m’empêcher de me rendre compte que quelque chose me trouble, mais il me faut plusieurs minutes pour comprendre de quoi il s’agit.
Qui est cette personne qui a téléphoné ?

Déchirure -Relation prof-élève-Where stories live. Discover now