Chapitre 5

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Lentement, Jules prit le bras d'Ariana et l'entraîna avec lui dans le couloir serpentant entre les œuvres d'art.

— C'est toi qui lui as dit de venir, demanda-t-il tout bas en serrant les dents pour ne pas que les autres visiteurs ne remarquent pas son énervement.
— Je te jure que non, je n'aurais jamais fait une chose pareille ! répondit-elle adressant un faux sourire plaqué sur son visage aux personnes qu'ils croisaient.
— Alors comment il a eu une invitation, je croyais que c'était un truc ultra-privé ? souffla-t-il en s'arrêtant face aux angéliques ailes bleutées de Colette Miller.
— Moi aussi, je sais pas, il connaît peut-être quelqu'un... D'un autre côté, ça veut dire qu'il aime le street art, donc ça vous fait un point commun... dit-elle un large sourire aux lèvres.
— Ariana ! fit-il en lui lançant un regard noir.
— Désolée, lança-t-elle. Oh, il nous a vus, il vient dans notre direction, reprit-elle tout bas.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Comment je le saurais, je suis pas voyante ! Tu veux que je fasse intervenir la sécurité ?
— Non ! Je lui ai déjà assez fait mauvaise impression en lui faisant renverser tous ses verres l'autre fois !

Le bel indien s'approcha le pas décidé, un grand sourire dessiné sur ses lèvres et ses longs noirs relâchés autour de son visage.

— Salut, lança-t-il ne sachant pas comment démarrer la conversation.
— Euh, salut, répondit Jules gêné, faisant mine de ne pas le reconnaître.
— Je voulais m'excuser encore pour l'autre jour, au bar quand j'ai renversé mon plateau, recontextualisa-t-il.
— Oh non, tu n'as pas à faire ça, c'était de ma faute je t'ai foncé dessus sans regarder où j'allais. Je m'appelle Jules et voici Ariana.
— Enchantée, le salua-t-elle.
— Vous n'avez pas besoin de vous présenter, je vous connais comme tout le monde, dit-il les joues rougissantes. Moi c'est Sanjay, comme l'indique mon prénom, mon père est indien.
— C'est un beau prénom, souffla Jules, tentant de se cacher derrière ses lunettes. 

Son regard détailla le jeune homme de la tête aux pieds. Il était vêtu d'une veste sans col bleu nuit en velours, parée de boutons dorés scintillants lui arrivant sous les genoux, d'un pull noir classique et d'un pantalon fuselé au motif pieds-de-poule.

— Et donc tu aimes le street art ? lança Ariana face au mutisme de son ami.
— Oui, j'aime beaucoup. J'avais un peu un a priori avant, mais mon ex petit ami qui m'a fait découvrir et je n'ai jamais perdu cette passion, même après notre séparation.

Discrètement, Ariana tourna son visage vers le jeune prince et lui adressa un clin d'œil.

— Comment as-tu réussi à avoir une invitation, même moi j'ai eu beaucoup de mal à en trouver, continua la jeune femme.
— Eh bien, mes parents tiennent une librairie rue Vélone, la plus ancienne de la ville vous devriez venir nous voir d'ailleurs. Mais bref, l'un des rares clients de mon père, un fortuné collectionneur de livre rare, avait une invitation, mais ne pouvait pas venir. Comme il connaissait mon goût pour cet art il me l'a offert.
— C'est très généreux à lui, fit Jules tout bas.
— Je ne vous dérange pas plus longtemps, bonne visite.
— Merci Sanjay, à toi aussi, lança le prince les joues rougissantes.

Le jeune homme disparaissait des beaux yeux verts de Jules. Il se retourna vers Ariana, un large sourire aux lèvres faisant apparaître ses fossettes aux creux de ses joues.

— Il a l'air si parfait... souffla Ariana. Il est beau, intelligent, il l'air gentil et en plus il aime les garçons.
— Je ne sais plus quoi dire, ni quoi faire... souffla Jules, tout à coup prit d'une grande angoisse. Tout ça va si vite, ça paraît tellement irréel.
— Ça c'est l'amour mon petit chat,
— Qu'est-ce que tu me conseilles de faire ?
— Je te dirais d'aller le voir à sa boutique demain matin, de parler un peu avec lui et si ça se passe bien de lui proposer un rendez-vous ! lui fit-elle en souriant.
— Je n'arrive pas à croire que je vais faire ça...

***

Les cloches de l'immense tour de l'horloge de pierres blanches se dressant sur le côté Ouest de la grande de la ville retentirent pour annoncer dix heures en cette froide matinée d'hiver. Le prince Jules terminait tout juste de se préparer. Il avait passé la nuit entière à imaginer chacun des scénarios possibles à cette journée et c'était levé aux aurores pour choisir sa tenue et dompter sa chevelure.

Fin près, il quitta discrètement sa chambre. Il ne voulait pas être repéré par les employés de maison ou les membres de sa famille, alors qu'il s'apprêtait à quitter le château sans garde du corps. Son frère Andrew lui avait montré un passage que personne ne surveillait quelques années plus tôt et le jeune homme s'en était déjà servi à de nombreuses reprises par le passé pour rejoindre ses amis sans avoir le service d'ordre sur le dos.

La porte dérobée de cette ancienne entrée de service oubliée de tous, débouchait sur une petite ruelle donnant sur la grande place. Jules enfonça une casquette noire sur sa tête, couvrit son regard sous de grandes lunettes de soleil et enfouit son menton dans la douce laine d'une écharpe aux carreaux noirs et blancs. Il se mêla alors à la foule de touriste déambulant sur la grande esplanade. Le pas rapide, il rejoignit la rue Vélone, l'une des plus anciennes rues de la ville, à quelques minutes de marche de la place. Dans ce décor médiéval au sol pavé et aux bâtiments de pierres sombres, se succédaient de petites boutiques d'artisanats d'art, d'antiquités ou encore d'herboristeries. Mais son regard ne se soucia pas de toutes ses échoppes historiques, il ne voyait que la librairie à la façade de bois noir percés de larges fenêtres au-dessus de laquelle était écrit en lettres d'or « LIVRES ANCIENS ».

Jules resta figé devant la porte. Il avait si peur de la réaction de Sanjay, il avait si peur qu'il ne soit pas là, ou même qu'il le rejette. Ces pensées contradictoires se bousculaient dans son esprit et paralysaient ses membres. Il finit par prendre une grande inspiration et poussa la porte sous le tintement cristallin de la clochette de l'entrée. Il s'avança dans la boutique peu éclairé où s'amoncelaient des centaines, des milliers de livres même dans de vielles étagères poussiéreuses. De prime abord, la boutique lui sembla vide de tout autre humain, mais une voix retentit d'un coin sombre de la pièce.

— Bonjour, je peux vous aider, fit la voix que Jules reconnu comme étant celle de Sanjay, sans pour autant le voir.

Le regard du jeune prince balaya les allers serpentants entre les présentoirs, jusqu'à découvrir le jeune homme qu'il recherchait perché sur une échelle donnant accès aux parties hautes des étagères couvrant toutes la hauteur des murs de la bibliothèque.

— Oui, souffla Jules en retirant sa casquette, ses lunettes et son écharpe qui masquait son visage d'ange.
— Prince Jules ! s'exclama Sanjay en descendant de l'échelle. Je ne m'attendais pas à ce que tu viennes vraiment, reprit-il en s'avançant vers lui.
— Une librairie de livre ancien, avoue que c'était tentant... commença-t-il avant de se s'arrêter.
— Je suis bien d'accord avec toi, mais il faut dire que les jeunes d'aujourd'hui ne lisent plus ou préfèrent commander sur Amazon.

Jules voulait répondre, mais son regard était happé par les yeux en amande du beau libraire, son esprit enivré par le parfum du jeune homme. Il resta figé face à Sanjay sans pouvoir dire un mot. Son seul désir était de déposer lèvres sur les siennes, de se serrer dans ses bras et de s'y abandonner pour l'éternité.

The Gay PrinceWhere stories live. Discover now