Chapitre 27 : Grillés

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Aussi fragile qu'un verre, une fumée, un plaisir éphémère.

Harry

Je me passe une main nerveuse sur le visage puis soupire bruyamment pour laisser échapper toute la pression contenue dans mes poumons. J'ai pourtant l'impression que tout le CO2 y reste coincé et que je ne pourrai rien y faire. Une semaine. Une longue, très longue semaine. Une semaine abominable, l'enfer. Ça fait une semaine que Michelle a disparu et toujours aucun signe de vie. Ça fait une semaine qu'Abdou est parti... et plus jamais de signe de vie.

— Toujours pas de nouvelles ?

Je pose mon regard rébarbatif sur Cyril qui se tient debout en face de moi, de l'autre côté du bureau. Mes yeux sont atrocement cernés puisque je ne trouve plus le sommeil depuis plusieurs nuits. J'ai l'impression d'avoir dépéri. Je le savais. Je savais que tout s'effondrait tôt ou tard, je savais que c'était bien trop beau pour être éternel.

— Non.

Chaque mot qui traverse ma gorge y creuse un trou profond puis bouscule ma luette qui tremble dans ma gorge, je la sens presque se décrocher pour rouler le long de mon œsophage. C'est ça la douleur, et elle ne change pas au fil du temps. Elle reste, solide, brûlante, pénétrante, tonitruante, silencieusement agitée... douloureuse.

— Je suis désolé, mais je t'ai prévenu. Je t'ai dit de ne pas lui faire ça, de ne pas l'introduire dans les affaires de cette entreprise et dans ta vie.

J'aimerais me lever et lui foutre mon poing dans la face pour le faire taire. Je n'ai étrangement plus aucune force — ou pas assez pour lui tenir tête. Je me contente de l'observer sans laisser passer aucune émotion sur mon visage — retour à la case départ. La police avait réussi à capturer l'un des hommes qui ont cambriolé la banque, mais ce dernier a refusé de parler. Ils m'interdisent de le voir, si seulement ils pouvaient me laisser faire, j'obligerai cet idiot à parler, par tous les moyens. Les perquisitions ont permis de découvrir que c'est un des hommes du trafic de livres contrebandes. Les pièces du puzzle se sont donc parfaitement assemblées. La fameuse taupe d'Homel a parlé et Michelle court un grand danger. Je suis impuissant et elle est là quelque part seule dans la nature.

— Maintenant il faut te remettre au boulot Harry, il ne faudrait pas...

— Il ne faudrait pas quoi ? Éveiller les soupçons ? le coupé-je sèchement, le poids des derniers événements pesant de plus en plus sur moi.

Il pose sur moi un regard désapprobateur, mais je ne m'arrête pas.

— Mon meilleur ami est mort et l'un de mes auteurs a été kidnappé par ma faute, hurlé-je à bout de nerfs. Alors au diable les soupçons !

Je préfère croire, espérer qu'elle est encore en vie et que je ne l'ai pas perdue. Je sors en trombe du bureau pour aller me réfugier dans les toilettes. Je m'arrête en face du miroir dans lequel je m'observe, les mains tenant les rebords du lavabo. J'observe l'être maudit en face de moi qui pensait avoir enfin sa chance, avoir enfin la chance de se reconstruire. La vie m'a bien montré que cette chance ne sera jamais mienne. Mon Dieu, Michelle qu'en est-il de toi ? Je presse fortement mes paupières pour couper court à ma vue, je contemple le néant, le néant qui ressemble étrangement à mon âme depuis une semaine.

Michelle

Mes yeux se ferment puis s'ouvrent puis se ferment puis s'ouvrent sans que je ne les contrôle. Mon cœur me fait mal, mon âme me brûle et je me meurs. Je me meurs dans ce désert interminable qui me donne incessamment des coups de chaleur pour m'empêcher de me relever. Je me meurs dans ce puits ignoblement profond dont les vagues me tirent de plus en plus fort vers les tréfonds de ma perdition. Ça fait longtemps, très longtemps que je suis ici, combien de temps exactement ? Je n'en ai aucune idée. Je sais juste que j'ai mal, que je saigne et que je sens mes forces me lâcher lentement. Ils sont revenus chaque jour pour me donner de l'eau, rien de plus. Ils disent qu'ils ne me veulent pas morte ainsi, qu'ils ont de meilleurs projets pour moi. J'aimerais me battre, espérer, mais à quoi bon ? J'ai espéré toute ma vie sans ne vraiment rien obtenir. Ce n'est pas aujourd'hui que ça changera. J'ai passé ma vie à fuir les problèmes, aujourd'hui ils me retiennent fermement par les poignets. Toute ma vie j'ai vu des personnes me quitter et m'abandonner. Ironie du sort : aujourd'hui, je m'abandonne. J'ai fait le vide dans ma tête, tourner et retourner le problème dans tous les sens. Comment j'ai terminé dans cette position, à quel point mon karma est chargé. L'on dit que c'est dans ses derniers moments qu'on remet toute sa vie en cause, au moment où cela ne sert plus à rien et qu'aucune marche arrière n'est possible. J'aurais aimé dire à mon père combien je l'aime et combien je le respecte pour nous avoir élevés avec tout ce qui s'est passé, d'avoir tenu son chagrin pour lui, d'avoir été fort. J'aurais aimé dire à Luc et Charly combien je les aime, j'aurais aimé faire la paix avec Ashley et dire à Audrey combien je la respecte. J'aurais aimé dire pardon à Abdou, remercier le coach. J'aurais aimé dire à Harry combien je l'aime, combien il me rend folle. Le regret mérite son nom puisqu'on ne peut pas faire marche arrière, parce qu'il est trop tard. Tous les cycles de mon organisme alternent entre une hyperactivité et une hypoactivité vertigineuses, chacun de mes tissus se font et défont anormalement, tout mon corps approche une apoptose certaine. Le grincement de porte me fait revenir à la réalité. Mes yeux n'arrivent pas à s'ouvrir assez, ils restent mi-clos. J'arrive pourtant à discerner les deux hommes avec des bouteilles en main, sourires machiavéliques aux lèvres.

Tentation en éditionWhere stories live. Discover now