Chapitre 34 : Will

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Je suis réveillé depuis deux heures maintenant, et la seule chose que je peux faire, c'est lire. Je n'ai pas eu ni les cours, ni les devoirs. Les cours vont bientôt se terminer.

J'ai mal aux côtes. D'après l'infirmière, j'aurai deux côtes fêlées. Heureusement, c'est le seul dégât "interne". Pour le reste, l'infirmière m'a demandé de garder de la glace sur mon visage pendant un quart d'heure, pour éviter de gonfler davantage, même si c'est déjà bien gonflé. Puis elle a tout désinfecté. 

J'ai mal partout sur le visage. Je me suis vu dans le miroir, je ne me reconnais pas.

L'infirmière m'a raconté qu'elle a vu Peter et Lucas débarquer. Peter m'a déposé sur le lit et a voulu rester jusqu'à que je me réveille, mais Lucas a insisté pour qu'ils aillent manger. Après, ils n'avaient pas le temps de revenir.

Quelques minutes plus tard, Peter débarque avec Lucas. Je dépose le livre sur la table de chevet. Je me force à sourire.

- Salut !

Peter paraît rassuré. Il m'attrape la main et s'assoit à côté de moi.

Lucas a prit les cours et les pose à côté, sur la table de chevet.

Après avoir discuté de banalités, Lucas annonce qu'il part prendre une douche.

- Je reviens après, promet-il.

Il disparaît après. Peter lâche ma main.

- Je vais les tuer. Les défoncer. Ces. Sales. Connards. De. Merde.

- Ça ne sert à rien. L'infirmière a prévenu le directeur, ils sont virés et partent demain matin. T'imagine le rêve ? On sera enfin tranquille !

Mais Peter demeure silencieux. Puis :

- Ce ne sont que des sales merdes. Comme mon père. Ces gens-là, ils n'ont pas le droit d'exister. Je les défoncerai...

- Si tu devais tous les tabasser uniquement parce que ce sont des cons, alors il y aurait beaucoup de personnes à frapper, je remarque d'une voix douce, même si je sais que Peter ne peut pas l'entendre.

- Ils n'ont pas le droit de te faire ça ! Ils ne s'en sortiront pas comme ça, pas aussi facilement, alors qu'ils mériteraient pire... Tellement pire.

- Peter... S'il te plaît on peut parler d'autre chose ? Je commence à avoir mal à la tête...

C'est vrai. Une migraine pointe le bout de son nez, et je n'ai vraiment pas envie de parler de ça.

- Raconte-moi une chose que j'ignore sur toi, Peter Skolffin.

J'attends et il semble réfléchir. En soit, je ne connais presque rien de lui.

- Tu mérites de savoir... Tu t'es déjà demandé ce qui s'était passé avec mes parents, hein ?

Je ne réponds pas. Il déglutit, inspire un coup et commence son récit.

- Le fait que je sois sourd n'a jamais posé problème, commence t-il. Mes parents ont appris la langue des signes, tout s'est toujours bien passé. Je vivais heureux avec mes parents, bref la vie normale. Puis, quand j'ai eu sept ans, la sœur de ma mère est morte. Elle a toujours été super proche d'elle, toujours à prendre soin d'elle. C'était un énorme choc et elle ne s'est jamais remise. Elle s'est mit à voir un psy, et elle a été déclaré "dépressive". Jour après jour, elle devenait un robot, ne parlant plus, mangeant peu, restant seule et allongée dans sa chambre. Moi qui ai toujours été proche d'elle, beaucoup plus que de mon père, je me sentais impuissant.

Il marque une pause, me regarde, inspire un coup et continue.

- Je suis entré au collège. Tout était nouveau, et par chance, je suis devenu ami avec Lucas, Rayan et Simon. J'évitais de passer du temps à la maison, c'était trop déprimant. Puis, un jour, j'étais en seconde et je me suis rendu compte que je recevais des sentiments pour Lucas. C'était out nouveau, et ça ne me dérangeait pas vraiment d'être gay, mais je n'avais pas envie de faire mon coming-out. Un soir, je l'avais vu embrasser une fille et j'ai su qu'il était hétéro. Je suis rentré en pleurant, je me suis enfermé dans ma chambre. Ma mère est rentrée, au début elle n'a rien dit, puis elle m'a demandé ce qu'il n'allait pas. J'avais vraiment besoin de me confier, alors je lui ai raconté. À la fin, je lui ai demandé de ne surtout pas le dire à mon père. Il faisait souvent des remarques homophobes, et je préférais ne pas imaginer ce qu'il me ferait si il l'apprenait. C'était la plus grosse erreur de ma vie.

Avec tout ce qu'il m'avait déjà dit, je devinais la suite. Ça fait comme un coup de poignard dans le dos.

- Le lendemain soir, quand je suis rentré, mon père m'attendait, la ceinture à la main. Ma mère m'avait dénoncé. Il m'a frappé plusieurs fois, disant que c'était "pour mon bien". Je sentais la douleur me transpercer les os, je hurlais. Après cela, je suis allé chez Lucas et je lui ai tout dis. Je suis resté dormir chez lui. Tous les soirs, mon père m'attendait pour me frapper. J'étais terrifié à l'idée de rentrer, il y avait des moments où je restais plusieurs jours chez Lucas. Je voyais bien que ses parents commençaient à se poser des questions. Alors, je finissais toujours par retourner à la maison. Tu sais le pire ? C'est pas le fait que ma mère m'avait trahi, non, c'est quand elle voyait mon père me battre et qu'elle ne faisait rien. Les yeux vides et inexpressifs. Comme un robot. Elle ne bougeait pas, ne disait rien, sa présence physique était là, mais son esprit était loin.

J'ai mal pour lui. Je vois bien qu'il fuit mon regard. Ce qu'il a subit est horrible. J'attrape alors sa main, pour lui signifier que je serai toujours là pour lui, quoi qu'il arrive, et que son père ne remettra plus jamais la main sur lui.


Une once de tristesse dans ses yeux (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant