Chapitre 3

300 41 2
                                    

Seungmin et Hyunjin sont tous les deux posés à une table dans la bibliothèque, enveloppés dans un silence studieux et des équations un peu trop complexes qui fatiguent leurs yeux

Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.


Seungmin et Hyunjin sont tous les deux posés à une table dans la bibliothèque, enveloppés dans un silence studieux et des équations un peu trop complexes qui fatiguent leurs yeux. Felix et Jisung ont décrété qu'ils en avaient marre de travailler et ont préféré profiter de cette heure de pause pour aller acheter à manger - la solution de secours quand on ne sait pas quoi faire. 

Du coup, Hyunjin se retrouve seul avec Seungmin, ce qui est de plus en plus rare. Il aimerait lui parler, un flot de questions lui traverse l'esprit, mais il n'ose pas les laisser sortir. Parce qu'il n'a pas envie de s'attirer les foudres de la bibliothécaire, mais pas que.

Laisse le temps faire, ya que ça qui marche.

Alors Hyunjin essaye. De laisser couler, sans rien faire. Même si cette inactivité, cette situation qui reste au point mort commence un peu à lui peser sur le moral. Il se réconforte en s'auto-persuadant que sa présence récurrente aux côtés de Seungmin finira, dans une éventualité possiblement éventuelle, par lui accorder la confiance du châtain.

Il soupire. Décidément, impossible de se concentrer quand Seungmin est dans les parages. Il dégage trop d'assurance, comme s'il se suffisait à lui seul. C'est pas une assurance ostentatoire et orgueilleuse, juste une aura que Hyunjin est peut-être le seul à sentir - et qui le perturbe franchement. En fait, à chaque fois qu'ils sont tous les deux, Hyunjin ne peut pas empêcher les questions d'affluer dans sa tête, impossible de penser à autre chose. Il laisse échapper de nouveau un soupire - ironique, cette fois - parce qu'il se trouve un peu idiot, à s'acharner ainsi sur le châtain. Tous les mystères ne peuvent pas être résolus, mais ça, pour le moment, il a pas trop envie d'y croire. Il préfère s'accrocher à l'espoir qu'un jour il trouvera une faille dans cette carapace, il préfère ignorer cette petite voix qui lui chuchote qu'il est bien prétentieux, à vouloir ainsi décrypter un comportement humain, beaucoup trop complexe pour lui.

Comme ces réflexions lui apportent un peu de frustration, il tente de se changer les idées. De toute façon, c'est peine perdue pour ses devoirs, alors il se lève et va se dégourdir les pattes en errant dans les rayons. Curieux, il s'approche de l'étalage consacré à la littérature étrangère - après tout, il est bien placé pour en connaître un rayon, sans mauvais jeu de mot. 

Ses yeux parcourent rapidement l'arrête des livres. Pour la plupart, ce sont de grands classiques dont il a déjà entendu parler, bien qu'il ne les ait pas tous lu. L'un d'eux cependant attire son attention. Il se souvient qu'il en a lu un fragment ; il se souvient que ces mots-là avaient quelque chose de spécial, qui l'avaient intrigué. Malheureusement, à l'époque, il n'avait pas eu le temps d'approfondir, et il avait fini par laisser ce poème dans un coin replié et presque inaccessible de sa mémoire.

Il revient à sa place, le livre en main, et parcourt le sommaire des yeux. C'est tout de même un peu étrange, de lire ça en coréen. Ça change un peu les sonorités, les fluctuations et les inflexions des mots choisis. Malgré tout, ça reste spécial.

Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.

Assez !... Des erreurs qu'on me souffle, magies, parfums faux, musiques puériles.

Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre.

Ah çà ! l'horloge de la vie s'est arrêtée tout à l'heure. Je ne suis plus au monde. Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes. Ma vie ne fut que folies douces, c'est regrettable.

Ah ! l'enfance, l'herbe, la pluie, le lac, le clair de lune quand le clocher sonnait douze... le diable est au clocher, à cette heure. Horreur de ma bêtise.

Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice : j'ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection... Orgueil.

Hyunjin peut presque le voir, là, ce fou qui ne l'était pas. Il peut le voir écrire, rire amèrement face à la bêtise du monde. Ce fou qui était plus sensé que tous les autres, ce fou qui avait juste fait l'erreur d'aller un peu trop loin dans sa recherche d'authenticité. Il ne lit pas tout, juste ces quelques phrases qui attirent particulièrement son attention. C'est décousu, ça n'a pas de sens littéral, mais ça lui parle. Il ne comprend pas, mais il sent. Il ressent ces mots, quelque part dans son enveloppe charnelle. C'est perturbant, c'est intriguant. Alors Hyunjin continue de lire, dans l'espoir que, peut-être, la lumière se fasse au détour d'une page. Même s'il sait que les mots sont la lumière en elle-même, et qu'aucune illumination ne viendra le frapper.

Les hallucinations sont innombrables. C'est bien ce que j'ai toujours eu : plus de foi en l'histoire, l'oubli des principes. Je m'en tairais : poètes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.

Les mots, cette richesse dont il s'abreuvait ; cet or que Hyunjin ne pouvait qu'entrevoir.

Les soirs, les matins, les nuits, les jours... Suis-je las !

Décidemment, nous sommes hors du monde.

Et puis, cette phrase. Hyunjin reste bloqué dessus quelques minutes. Pourquoi est-ce qu'il la ressent un peu plus fort que toutes les autres ? Peut-être est-elle moins métaphorique. Pourtant, Hyunjin sent qu'il y a quelque chose de plus, que son sens ne s'arrête pas à ce qu'elle laisse entrevoir au premier abord.

Il referme le livre et se laisse reposer contre le dossier de sa chaise, les yeux fixant le vide, pensifs. Il éloigne un peu le livre, parce que soudain, ça lui fait un peu peur, tous ces mots, d'un coup, il sent qu'il pourrait s'y noyer. S'il y restait trop longtemps. 

Finalement, il finit par sortir de sa léthargie, et lève les yeux. En face, Seungmin le regarde. Ils se fixent quelques instants, Hyunjin est un peu désemparé. Trop de choses, d'un coup, il a le sentiment que ça lui échappe. Il peut voir une forme de curiosité dans les yeux de Seungmin, comme si celui-ci était sur le point de lui demander ce qui le perturbait ainsi. Puis le regard du châtain se baisse sur le livre de poésie, et il fronce les sourcils en déchiffrant un nom inconnu. Il relève le regard vers Hyunjin, et il y a une question muette dans ce regard. Hyunjin aimerait lui répondre, il aimerait partager ça avec Seungmin, parce qu'il sent que le châtain ne serait pas insensible à ces mots. Mais Seungmin hausse les épaules et se replonge dans son travail. Hyunjin le laisse faire, il laisse faire le temps. Ce n'est plus à lui d'aller vers le châtain ; il va se contenter d'attendre que celui-ci lui adresse la parole, et formule explicitement les questions qui remplissent ses pupilles.

Hyunjin se lève, rassemble ses affaires, et quitte la bibliothèque sans un mot. Fin de la parenthèse, fin de cet embryon d'échange qui n'en était même pas vraiment un. Hyunjin et Seungmin continueront à agir comme d'habitude, comme des inconnus pas très doués pour instaurer un dialogue.

*****

Poème : Nuit de l'enfer, Arthur Rimbaud.









l'art de l'errance ˢᵉᵘⁿᵍʲᶦⁿWhere stories live. Discover now