13. L'alvéole

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Une petite alvéole me fut assignée dans l'une des zones résidentielles du dôme. Elle n'était pas très grande, mais nettement plus intime que le dortoir que je partageais avec mes camarades de promotion durant les six interminables années de ma formation au sein de la pyramide !

Cet endroit m'offrait enfin le luxe d'un espace privé. Il n'avait pourtant rien à voir avec l'environnement spacieux de la ferme dans laquelle j'avais grandi. Il s'agissait d'un tube de section hexagonale de dix mètres de long sur à peine quatre de large. Tout y était ingénieusement escamotable et transformable à souhait. Le lit, les sanitaires de même qu'une petite cuisine pouvaient soit devenir apparents, soit faire place à une table de travail, une salle de sport ou bien encore à une sphère de réalité virtuelle.

L'une de ses extrémités donnait accès, par l'entremise d'une porte coulissante, à la cage d'ascenseur destinée à descendre la cinquantaine d'étages qui séparaient mon habitation du niveau zéro. L'autre se terminait par une immense baie vitrée, surplombant l'une des principales artères de la cité. Elle permettait d'assister au spectacle impressionnant offert par l'activité nocturne de ses millions d'habitants, emportés dans le trafic intense de la métropole. Le matériel qui la formait pouvait, en quelques secondes, devenir complètement opaque ou juste s'assombrir afin de tamiser la lumière extérieure. Il avait également la capacité de se transformer en un écran tactile tridimensionnel, capable de projeter les informations que me contenait le réseau « Ethernet ».

Ce système ingénieux, ainsi que la plupart des autres services que me délivrait ma nouvelle demeure étaient, bien évidemment, contrôlés par l'Intelligence Artificielle de l'alvéole. Je pouvais m'adresser à elle, soit de vive voix, soit directement par la pensée, via mes implants. Une relation amicale s'installa très rapidement entre nous grâce au réalisme des réparties de l'IA, parfois même teintées d'un humour auquel je n'avais encore jamais été confronté.

Je pouvais, par exemple, moyennant paiement, lui demander de me réapprovisionner en nourriture. Celle-ci arrivait alors quelques minutes plus tard, comme par enchantement, via l'un des monte-charges de l'immeuble. Les menus proposés étaient assez variés ; il s'agissait principalement de plats déshydratés auxquels il suffisait d'ajouter un peu d'eau chaude pour qu'ils reprennent leur consistance. Ces derniers étaient censés procurer la totalité des vitamines et protéines nécessaires à me maintenir dans une forme optimale !

Mes boissons, quant à elles, se présentaient sous forme de poudre qui, une fois réhydratée, devenait café, thé, lait, soupe ou encore jus aux saveurs multiples. Un peu d'eau chaude ou froide me suffisait ainsi à préparer tous mes repas. Les déchets étaient recyclés ou réduits à néant par l'incinérateur collectif vers lequel menait le conduit du vide-ordures.

De petits haut-parleurs diffusaient sans cesse une musique ambiante, entrecoupée des usuels flashs d'information et spots propagandistes vantant l'héroïsme des colons ainsi que la merveilleuse organisation de la Fédération. Certains d'entre eux étaient, de temps à autre, projetés automatiquement sur l'écran de mon alvéole. Je pouvais en contrôler le volume, mais il m'était impossible de changer de programme. Il n'y en avait qu'un seul et unique : celui du tout puissant et omniprésent Conseil Suprême !

Mon petit espace vital s'imbriquait dans une multitude d'autres alvéoles, identiques à la mienne, formant un véritable mur d'habitations qui s'étendait sur une distance et une hauteur phénoménales. Ainsi s'entassaient les travailleurs de l'énorme ruche dont je faisais partie.

Mais l'impression de ne pas vouloir appartenir à une telle société attisait le malaise qui ne cessait de croître en moi... Les grands terrains de jeux, les prairies et les forêts de mon enfance me manquaient terriblement. Cette gigantesque métropole ne nous accordait plus qu'un seul véritable moyen de détente et d'évasion : les séances de réalité virtuelle. Leur technologie avait énormément évolué durant ces dix dernières années. Elles nous permettaient de vivre une panoplie, quasi infinie, d'aventures exaltantes, dans des univers plus fantastiques les uns que les autres.

De minuscules billes de cristal, contenant toutes les informations nécessaires à leurs représentations holographiques, nous permettaient d'y accéder en restant bien confortablement installés dans les magnétosphères qui équipaient chacune de nos demeures. Nous y étions isolés du monde extérieur dans une confortable position assise ou allongée. Ces véritables capsules virtuelles, capables d'accueillir deux personnes, nous procuraient des sensations extrêmement réalistes. Nous pouvions, grâce à elles, visualiser, entendre et ressentir toutes les simulations contenues dans ces petites boules de verre dont la lecture interactive était contrôlée par notre simple volonté.

D'autres séances, plus sophistiquées, utilisaient l'infosphère du réseau Ethernet reliant les différentes planètes entre elles. Celles-ci nous permettaient de partager ces expériences fantastiques avec des individus, se trouvant n'importe où au sein des colonies. Nous ne connaissions pas ces éphémères partenaires ou adversaires de jeu. Mais cela importait peu car il ne s'agissait, pour la plupart du temps, que de s'entretuer ou de se mesurer les uns aux autres durant des épreuves d'adresse ou d'intelligence.

Tous en raffolaient, malgré les nausées et les vomissements que celles-ci pouvaient parfois provoquer lorsqu'on en abusait. Les multiples écrans et hologrammes qui décoraient les allées de notre dôme venaient, sans cesse, nous illustrer les divers paysages et animaux fantastiques que l'on pouvait y rencontrer.

Elles procuraient cette sensation de liberté et d'espace qui manquait tellement aux habitants de notre monde, clos et inhospitalier. Mais je ne voulais pas tomber dans le piège que ce monde artificiel nous tendait. Malgré leur réalisme impressionnant, toutes ces aventures ne représentaient pour moi que du rêve... du vent !

Les fonctions informatiques de mon implant palmaire avaient, elles aussi, été activées dès ma sortie de la pyramide. Ce dernier servait principalement à m'identifier et à me permettre de me rendre là où mon code d'accès m'y autorisait. Il contrôlait également, de façon constante, l'ensemble de mes fonctions vitales, venant m'informer des possibles déficiences de mon métabolisme tout en me prescrivant les remèdes nécessaires. Enfin, grâce à lui, j'étais en mesure d'effectuer mes paiements afin d'assurer ma subsistance et d'assouvir mes besoins.

Les crédits dont je bénéficiais ne me donnaient pas la possibilité d'acheter grand-chose, mais ils me procuraient la certitude de ne jamais manquer de rien ! Chaque semaine ils étaient ramenés au quota auquel j'avais droit pour la prochaine période de sept jours. Il ne m'était donc pas possible de me ruiner ni de faire d'économies en épargnant une somme qui serait de toute façon perdue une fois ce délai écoulé.

Les jours passèrent ; j'appris lentement à me sentir à l'aise dans mon nouvel environnement. L'une des plus grandes surprises que me réservait ma nouvelle demeure se révéla être un objet tout à fait anodin qui surplombait l'évier de la salle de bain : un miroir ! J'en avais pratiquement oublié l'usage, car il n'y en avait nulle part dans la pyramide. Nous avions appris à nous laver et même à nous raser sans eux.

La Fédération, comme à son habitude, ne souhaitait pas que nous développions une quelconque personnalité. En m'empêchant de voir mon propre visage, elle m'avait poussé à m'identifier au groupe dont je faisais partie, plutôt qu'à l'individu que j'étais.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je vis se refléter en face de moi, non plus l'enfant que ces deux hommes emmenèrent loin de son village, mais un adolescent qui ressemblait, comme deux gouttes d'eau... à mon père ! J'avais la même flamme au fond des yeux, cette énergie qui semblait jaillir du plus profond de son âme. Je me mis inconsciemment à observer mes mains, laissant les souvenirs qui m'unissaient encore à cet homme qui me manquait tellement, remonter à la surface.

En me regardant plus attentivement, je me rendis compte que mon apparence avait bien changé depuis mon arrivée dans la pyramide. Elle était devenue celle d'un jeune homme, sportif et élancé. Mes cheveux blonds, désormais plus foncés, et la coupe en brosse que nous imposait la Fédération rendaient mon visage plus carré, mettant encore plus en évidence le menton volontaire que j'avais hérité de mon patriarche. Mes yeux, par contre, hormis cette étincelle qui les habitait, venaient de toute évidence de ma mère. Leur mélange de brun et de vert, ainsi que leur forme allongée me rappelèrent son regard doux et serein.

Mon passé me manquait ! L'absence de ces êtres qui faisaient partie de ma vie avant mon insertion au sein du Système Préparatoire m'était cruelle. Je me retrouvais enfin libre... mais seul. Et cette solitude me remplissait d'amertume et d'une certaine tristesse, m'empêchant de jouir pleinement de ma nouvelle situation.


Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Where stories live. Discover now