30. La planète mystérieuse

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J'osais à peine penser à ces interminables années que nous allions passer à bord de notre vaisseau, errant entre deux étoiles. Peut-être aurions-nous, à l'issue de notre voyage, l'occasion d'instaurer un nouveau calendrier en fonction de l'orbite du monde où nous nous installerions...

— Une planète, là juste devant nous! s'écria Luc en venant mettre fin à mes rêveries.

Cela n'était pas possible! À part la sixième, aucune d'entre elles n'était plus supposée se trouver sur notre trajectoire. Quel était donc cet astre, inconnu de toutes nos banques de données, que nous allions frôler dans notre course effrénée? Luc s'était-il trompé dans ses calculs concernant la position de la dernière planète de notre système?

Nos doutes furent rapidement écartés lorsqu'il nous rétorqua que celle-ci possédait un énorme satellite, ce qui n'était pas le cas pour le mystérieux objet que nous avions en face de nous. Ce satellite avait la particularité d'orbiter à la vitesse de rotation de sa propre planète, ce qui provoquait le phénomène exceptionnel de ces deux corps se présentant toujours la même face. Ils restaient fixes dans leur ciel respectif, comme s'ils avaient été unis par un lien invisible!

L'astre qui s'approchait de nous n'avait, quant à lui, pas de satellite. Il apparaissait de plus en plus précisément sur nos moniteurs. Nous nous aperçûmes, à notre plus grand étonnement, qu'il ne s'agissait pas d'une sphère complète. Il lui manquait à peu près les deux tiers de son volume.

Ce que nous avions initialement cru être un croissant, créé par un effet d'ombre et de lumière, n'était en fait qu'une forme inachevée, une gigantesque planète artificielle en pleine construction! Sa surface était composée de milliers de coupoles, semblables à celles que nous transportions. Il ne nous fallut guère plus de temps pour réaliser ce que nous venions de découvrir...

C'était donc ici, aux confins de notre système solaire, qu'aboutissait le périple des Indésirables. Les coupoles qui les abritaient étaient larguées en direction de cette mystérieuse planète par des vaisseaux identiques au nôtre! Tel était donc le sort que la Fédération avait choisi de réserver à ceux qui ne lui étaient plus d'aucune utilité. Elle les entassait ici, loin de ses colonies, exilés sur cet astre artificiel où ils seraient condamnés à disparaître, dans le plus grand secret.

D'immenses bras articulés assuraient l'assemblage de cette gigantesque construction. Quelques petits engins circulaires se déplaçaient à ses alentours. Ils me rappelaient vaguement ceux que j'avais aperçus lorsque nous avions frôlé la surface de notre lune lors de notre départ.

Des machines fixaient les coupoles les unes aux autres, les reliant à une structure complexe de tubes et d'éléments plus volumineux s'enfonçant vers le centre de l'édifice. Aucun appel radio ne nous arriva. Sans doute n'y avait-il personne en cet endroit perdu au fin fond de l'espace, hormis ces millions d'exilés, entassés ici... à des fins mystérieuses.

Notre vitesse vertigineuse fit rapidement disparaitre derrière nous cette dernière énigme que nous laissait le monde que nous étions en train d'abandonner. Elle nous propulsait vers notre lointaine destination qui éveillait encore bien plus de questions dans nos esprits.

En effet, Alpha qui, comme notre Maître nous l'apprit, s'appelait jadis « Alpha du Centaure », avait toujours fasciné les habitants de la Fédération. Non seulement parce qu'elle représentait le groupe stellaire le plus proche, situé à un peu plus de quatre années-lumière. Mais aussi parce que deux de ses trois étoiles étaient pratiquement semblables à la nôtre : possibles candidates à l'apparition de la vie sur l'une des quelques planètes qui furent récemment observées à leurs alentours.

Des télescopes géants, placés aux confins de notre système, avaient été à l'origine de leur découverte. Une sonde fut ainsi lancée vers «Alpha», en 2364 précisément, afin d'aller les étudier de plus près... Mais l'excitation provoquée par cette mission fut rapidement estompée par la trentaine d'années qui lui fut nécessaire à atteindre son but. Les événements, hautement médiatisés, de la vie quotidienne de la Fédération la firent lentement tomber dans l'oubli...

Cela faisait environ trente-cinq ans qu'elle avait été envoyée vers sa mystérieuse destination. Les quatre années que ses signaux allaient mettre pour nous revenir venaient donc d'arriver à leur terme. Mais aucune nouvelle n'avait encore fait mention de quelconques résultats... auxquels plus personne ne devait plus s'intéresser d'ailleurs! D'autres événements, comme la colonisation des géantes gazeuses, avaient progressivement éclipsé tout intérêt pour cette mission.

Ces réflexions me réconfortaient quelque peu quant à notre sort. Sans doute serions-nous également très vite oubliés, au fur et à mesure que nous nous éloignerions d'ici. Notre écho sur les écrans radars, de même que notre image à travers les puissants télescopes, dateraient du temps nécessaire à la lumière pour parcourir la distance, sans cesse croissante, qui nous séparerait.

Bien d'autres événements viendraient rapidement nous remplacer à l'agenda des informations. Et notre société n'avait certainement pas l'intention d'offrir trop de publicité à un acte d'indiscipline, risquant d'en inspirer d'autres du même genre!

Nos antennes n'entendaient plus les signaux désespérés qui émanaient de la Fédération. Nous avions déconnecté nos récepteurs dès que la flottille adverse s'était lancée à nos trousses. C'était comme si nous avions décidé de nous boucher les oreilles, afin de ne pas entendre les horribles conséquences que notre mutinerie allait entraîner...

Une frégate, accompagnée de ses croiseurs, venait de se désintégrer sous nos yeux. Les cadavres de centaines d'hommes et de femmes devaient à présent flotter dans le vide, parmi les débris de leurs vaisseaux. Ils marqueraient à jamais la surface lisse des anneaux telle une macabre cicatrice, témoignage sordide et indélébile de notre sanglante évasion!

Mon esprit, qui ne cessait de penser à notre avenir, sombrait dans la fatigue intense provoquée par ces dernières journées sans sommeil. Je n'aspirais plus qu'à me laisser emporter par notre long voyage. Les interminables années d'attente que nous nous étions infligées, comme pour nous punir d'avoir choisi de fuir notre société, allaient nous permettre de profiter de quelques heures d'un repos bien mérité...

J'allais enfin pouvoir rêver de cet endroit vers lequel nous nous dirigions. Un nouveau monde à inventer, à construire de toute pièce au fond de mon imagination féconde. Quel programme!

Aucun d'entre nous ne réalisa exactement combien de temps ou plutôt combien de milliers de kilomètres s'écoulèrent durant notre sommeil. Nous fûmes littéralement envoûtés par les illusions, remplies d'espoir, que faisaient surgir en nous les souvenirs exaltants de notre évasion mouvementée...

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Rêve ou réalité, difficile à dire... Mais nous avons un long voyage devant nous, il ne nous reste plus qu'à imaginer... un nouveau monde !

Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant