28. Évasion

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Nous fûmes alors emportés par un carrousel infernal... Le spectacle auquel nous assistâmes était d'une beauté féerique. Les différentes couleurs, qui donnaient un aspect si particulier à cet astre énorme, dépendaient de la profondeur de ses nuages. Ces derniers prenaient à présent du relief dans la troisième dimension, à cause de notre faible altitude.

Les gaz chauds, remontant des entrailles de la planète, laissaient apparaître les nuages blancs de la couche moyenne et les gaz plus froids replongeant vers l'intérieur. Les tourbillons qu'ils provoquaient révélaient des substances brunâtres qui procuraient à la surface sa teinte ambrée.

Une gigantesque tache ovale se déplaçait, telle une cicatrice, sur ces élégants dégradés de couleur. Il s'agissait d'un énorme ouraganrésultant de la libération de l'énergie engendrée par la formation initiale de cet astre. La taille de la cinquième planète était assez grande pour qu'elle devienne un jour une véritable petite étoile, tel un volcan éteint, mais toujours en activité!

Des éclairs émanant de ses sombres profondeurs vinrent entourer notre vaisseau comme autant de langues de dragons tentant d'agripper leur proie, bien téméraire de s'être aventurée ici-bas. L'accélération centrifuge provoquée par notre trajectoire nous colla à nos sièges. Nous n'avions pourtant pas encore enclenché nos réacteurs. Cela ne se passerait qu'à la dernière seconde, car cette manœuvre dénoncerait irrémédiablement nos intentions...

Et c'était à moi qu'incombait la lourde responsabilité de l'exécuter! Pas question de succomber au voile noir, provoqué par la diminution de la quantité de sang arrivant à mon cerveau, il me fallait rester lucide et conscient.

Judas, quant à lui, n'eut pas le temps d'admirer le spectacle magnifique auquel nous assistions à travers nos hublots. C'était lui, en tant que responsable du système informatique, qui allait devoir neutraliser notre ordinateur... Il se dirigea vers le cœur du réacteur principal qui abritait le cortex cybernétique de notre intelligence artificielle. Il allait tenter de l'assoupir en ne laissant que quelques-uns de ses circuits automatisés, essentiels au bon fonctionnement du vaisseau, en état de marche.

Sa mission n'était pas sans danger. Il n'aurait que quelques minutes pour revenir de l'autre côté du miroir protecteur, avant que je n'enclenche la pleine puissance. Cela devrait se passer, au moment précis où nous cesserions d'accélérer uniquement grâce à la force centrifuge générée par notre trajectoire orbitale.

L'effet de surprise que nous recherchions était d'une importance primordiale. La fermeture d'une partie des fonctions de l'ordinateur, ainsi que l'allumage de nos réacteurs, allait certainement éveiller les soupçons du Centre de Contrôle et provoquer l'intervention immédiate des forces de sécurité...

Il fallait donc que ces deux manœuvres aient lieu au tout dernier moment, et de façon quasi simultanée... Tout cela, en laissant à Judas le temps de se mettre à l'abri, avant notre accélération, qui allait pratiquement décupler notre poids!

Nous le vîmes s'éloigner dans la pénombre lorsqu'il entama sa descente vers le réacteur principal. Il se retourna pour nous regarder, à travers la demi-magnétosphère qui surmontait son encombrante combinaison, comme s'il avait eu le pressentiment qu'il pourrait bien ne plus jamais nous revoir.

De longues minutes s'écoulèrent sans que nous n'ayons plus aucune nouvelle de lui... Ses communications radio avaient sans doute été dégradées par la tempête électromagnétique que nous traversions. Ou peut-être avait-il déjà atteint le réacteur?

Soudain, une énorme secousse fit vibrer le vaisseau, comme si quelque chose venait de nous heurter violemment. Était-ce le signe que l'ordinateur avait bien été débranché? Aucun d'entre nous n'en avait la moindre idée. Cette manœuvre n'avait, bien évidemment, jamais été simulée durant nos séances d'entraînement virtuel.

Ce fut alors qu'un terrible cri remonta vers nous. Il était semblable à une vague de terreur qui résonna dans nos coursives... Nous nous regardâmes sans trop savoir qu'en penser. Ce cri aurait-il pu provenir de Judas? Peut-être était-ce une exclamation de joie? Mais notre compagnon ne répondait toujours pas à nos appels.

Le moment était néanmoins venu pour moi d'enclencher la pleine puissance. Mon compte à rebours prit l'allure d'une sentence qui ne tarderait pas à être mise à exécution ; comme si à la fin de celui-ci des centaines de missiles allaient subitement être tirés vers nous pour nous punir de notre indiscipline. Il nous fallait pourtant agir... vite!

— Dix secondes, cinq, quatre, trois, deux, une... accrochez-vous, nous voici embarqués dans l'ascenseur des étoiles!

À l'instant précis où ces paroles résonnèrent dans ma gorge asséchée, j'enclenchai les quatre manettes de nos réacteurs à plein régime. Elles ne pouvaient être mises dans cette position que durant une trentaine de minutes, et cela uniquement en cas de nécessité absolue... Nous nous retrouvâmes écrasés au fond de nos sièges.

Nous pesions à présent près de huit fois notre poids normal! Cette poussée phénoménale allait nous faire atteindre notre vitesse maximale. Nous espérions qu'elle nous permette de générer une distance suffisante entre nous et nos éventuels poursuivants.

Les transmissions radio, émanant du Centre de Contrôle, étaient devenues incompréhensibles. Notre vision, de même que tous nos autres sens étaient dégradés par l'accélération à laquelle nous étions soumis. Nous pouvions néanmoins vaguement distinguer, sur nos écrans de contrôle et dans nos écouteurs, l'excitation provoquée par notre manœuvre inattendue. Ce fut alors que Luc eut la force de nous avertir de ce que chacun d'entre nous redoutait...

— Des missiles, ils viennent de lancer des missiles à nos trousses! Ils accélèrent à plus de deux cents G's... Nous sommes encore à leur portée.

Il appliqua aussitôt, au prix d'un effort surhumain, les procédures d'interception d'astéroïdes convergents par secteur arrière. Nos mines antimétéorites, flottèrent à la rencontre des fusées se dirigeant vers nous à grande vitesse. L'explosion de ces dernières provoqua la déflagration des ogives nucléaires que la planète géante venait de tirer. Pour un bref instant, qui nous sembla durer une éternité, une nouvelle étoile se mit à briller derrière nous!

Il était étonnant que la Fédération ait donné son accord de façon si rapide à l'emploi de telles armes... Avait-elle déjà eu de sérieux soupçons à notre égard? Ou bien notre ordinateur de bord les avait-il avertis, à notre insu, des actes que nous allions commettre? Ce ne fut qu'après le sursis, provoqué par cette explosion salvatrice, que nous eûmes le temps de nous inquiéter du sort de Judas. Nous n'avions plus eu aucune nouvelle de lui depuis son départ.

Mes appels radio restèrent sans réponse... L'accélération que nous étions en train de subir ne devait plus lui permettre de se déplacer vers l'avant du vaisseau. Il avait en tout cas réussi à mener à bien sa mission. Nous avions acquis le contrôle manuel du TXL1138, sans que l'ordinateur vienne nous en empêcher.

Une situation que nous n'avions pas pris le temps d'analyser en détail se présenta soudain à nous... La trajectoire que nous avions prise pour nous lancer vers Alpha du Centaure nous dirigeait à nouveau vers la sixième planète. Nous nous approchions d'elle à une vitesse phénoménale, sans avoir la possibilité de corriger notre course. Il nous fallait impérativement maintenir notre cap vers notre lointaine destination. Une manœuvre d'évitement nous aurait ralentis de façon trop importante.

Les anneaux, que nous avions frôlés, si peu de temps auparavant en admirant leur fascinante beauté, se présentaient cette fois-ci sous un tout autre aspect... Nous allions devoir les traverser sous un angle d'environ vingt degrés. Cela les transformerait en un véritable mur de glace et de roches auquel même notre magnétosphère ne pourrait résister! Les petits astéroïdes dont ils étaient composés auraient l'effet de milliers d'obus de canons qui transperceraient les parois de notre vaisseau, comme du vulgaire carton!

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Le vaisseau va-t'il s'écraser contre les terribles anneaux de la sixième planète ? Quelle ironie du sort. Tous leurs rêves risquent d'être réduits à néant avant même de pouvoir se concrétiser...

Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant