Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)

32. Les anciens

Notre vie commença tout doucement à s'organiser. Chacun trouva la tâche qui lui convenait en fonction de ses talents et de ses capacités. Les premiers décès survinrent à peine quelques semaines après notre évasion. Nous n'avions jamais été confrontés à ce genre de mort naturelle. Les individus malades ou trop âgés de notre société étant automatiquement écartés vers les nombreux centres de transit et de tri qui allaient décider de leur triste sort... Et s'ils n'avaient pas la chance d'être rapidement guéris ou encore de s'éteindre tout de suite ; ils subissaient alors la terrible destinée des Indésirables !

Ces vieillards, que nous pûmes enfin côtoyer, firent preuve d'une telle solidarité, d'un tel amour envers nous que nous passâmes le plus clair de notre temps auprès d'eux. Nous n'avions encore jamais eu l'occasion d'en rencontrer. Notre société les avait, depuis bien longtemps, écartés, isolés, en les traitant comme de simples déchets. Ils nous communiquèrent néanmoins, en très peu de temps, la grande sagesse qu'ils avaient accumulée tout au long de leur existence...

Nous décidâmes de ne pas nous débarrasser de leurs dépouilles en les larguant dans l'espace, comme nous le dictaient les règles de la Fédération. Notre Maître nous apprit à les enterrer dans ce qu'il appela « un cimetière » que nous aménageâmes pour eux dans la coupole numéro 1. Cela nous permettrait ainsi à tous et à toutes d'atteindre notre destination ! Aucun des membres de notre groupe ne disparaîtrait jamais plus dans l'oubli. Leur nom resterait éternellement gravé sur leur tombe, dans nos mémoires ainsi que dans nos cœurs...

Par-dessus chacune de ces tombes, un hologramme, enregistré peu avant leur décès, délivrait un dernier message de leur part. Leur représentation, grandeur nature, donnait à cet endroit l'aspect jovial d'une réunion en plein air dans un parc !

De façon très étrange, les premières fleurs qui sortirent de terre apparurent, comme par miracle, entre les sépultures que nous venions d'y creuser. La beauté de ces petites plantes, aux couleurs variées, m'avait fasciné depuis ma plus tendre enfance. Elles en acquirent d'autant plus de valeur à mes yeux, ayant poussé d'elles-mêmes à cet endroit bien précis.

Nos cycles journaliers se succédèrent, rythmés par les deux phares du système de contrôle environnemental qui cheminaient inlassablement le long de leur anneau. Notre Maître s'était fait entourer des plus jeunes d'entre nous, afin de leur communiquer son savoir et sa sagesse. C'était comme s'il avait ressenti que sa fin était proche.

Les moments durant lesquels j'eus l'honneur d'être à ses côtés furent littéralement magiques. Tant de questions venaient brûler mes lèvres lorsque je m'adressais à lui. Nos conversations me paraissaient à chaque fois bien trop courtes. Mais je n'étais pas le seul à être avide de ses paroles et il n'avait pas toujours le temps ni la patience, de répondre à toutes mes interrogations.

Un soir pourtant notre entretien dura plus longtemps que d'habitude. Il m'expliqua en détail qui il était et comment nous en étions arrivés là... Il avait été assigné, en tant que jeune savant, à la préparation des ambitieux voyages interstellaires que la Fédération avait un jour envisagé d'accomplir. On le mit en charge du projet de colonisation des étoiles voisines de la nôtre.

C'était son équipe de chercheurs qui avait organisé la mission de cette sonde inhabitée qui se dirigea vers Alpha, une trentaine d'années auparavant. Mais lorsque sa santé se mit à sérieusement se dégrader ; il fut informé que le Conseil Suprême avait l'intention de l'envoyer dans un centre de transit !

Il eut juste le temps de déchiffrer, puis de falsifier, les données renvoyées par sa propre sonde, avant de se voir définitivement démis de ses fonctions et transporté vers l'hôpital. Personne d'autre que lui ne savait qu'une petite lune, réunissant les conditions nécessaires à abriter la vie, existait tout près d'une des plus grosses planètes en orbite autour d'Alpha... Le manque d'intérêt et l'absence de budget consacré à son projet lui avaient permis de camoufler cette formidable information et d'empêcher toute nouvelle mission d'exploration de cette région éloignée.

Ce fut également son équipe de chercheurs qui découvrit ce mystérieux document dans une sonde spatiale habitée datant du début du 21e siècle. Celle-ci contenait, tel un message de détresse, le carnet de bord de son unique occupant ainsi que cette fameuse Bible qui provenait d'une civilisation ancienne où les individus étaient identifiés par des qualificatifs étranges, ceux-là mêmes qui furent à l'origine de nos noms.

Il m'expliqua alors comment s'appelaient les différentes planètes de notre système solaire ainsi que les nombreuses villes, pays et continents qui composaient le monde des hommes vivant à cette époque. C'est ainsi qu'il m'apprit que notre planète fut autrefois nommée « la Terre » et que le continent sur lequel se trouvait notre dôme s'appelait « l'Afrique ». Je parvins même à le faire sourire en remarquant que, vue de l'espace, notre magnifique planète bleue aurait mieux fait d'être appelée « Mer », plutôt que « Terre » !

Mais ses révélations surprenantes ne s'arrêtèrent pas là... En tant que directeur de nos futurs voyages interstellaires, une catégorie de recherches, ultra secrète, fut placée sous sa responsabilité. Il s'agissait des études d'adaptation possible de la race humaine à la vie prolongée dans l'apesanteur du vide spatial.

La Fédération projetait des expéditions s'étalant dans le temps sur des générations entières d'hommes et de femmes. Ceux-ci auraient été condamnés à passer la totalité de leur existence à errer dans l'espace pour permettre à leurs descendants de découvrir et de coloniser d'autres mondes, au profit de notre expansion au sein de la galaxie !

La possibilité de placer les habitants de ces vaisseaux en état d'hibernation avait été envisagée et même testée. Mais, outre leur complexité et leur important besoin énergétique, ces expérimentations provoquèrent des dégradations génétiques irréversibles. Des troubles psychologiques divers réduisirent ainsi au rang d'Indésirables les malheureux héros déchus qu'avaient été nos premiers cobayes interstellaires.

C'est alors que, dans la plus grande discrétion, notre Maître fut mis en charge d'un projet ultra secret qui avait pour but d'adapter les prochaines générations d'êtres humains à la vie prolongée dans l'apesanteur de l'espace intersidéral.

En effet, les ressources énergétiques des coupoles, leur taille, ainsi que leurs écosystèmes complexes, ne permettaient pas l'installation d'une force centrifuge qui aurait pu y créer un semblant de gravité. Il fallait néanmoins que ces futurs colons puissent s'y mouvoir aisément, tout en flottant dans le vide.

Il entra ainsi dans le cercle, très restreint, de ceux qui connaissaient le sort des malheureux Indésirables, voués à aller mourir en secret sur cet embryon de planète artificielle que nous venions de croiser. Ils y étaient utilisés comme cobaye, lors de tests médicaux menés par une mystérieuse équipe de scientifiques, isolée des regards indiscrets, sur cet astre sinistre que nous avions décidé d'appeler : la « Planète Morte ».

Ces opérations variaient entre de simples greffes d'organes sains, prélevés sur les plus jeunes d'entre eux, destinées à maintenir la population active de notre société en parfaite santé... jusqu'aux manipulations génétiques ayant pour objectif l'adaptation à la vie permanente en apesanteur dans l'espace. La Planète Morte, étant de masse bien trop faible pour générer sa propre force gravitationnelle, présentait ainsi l'endroit rêvé pour effectuer ce genre d'expériences.

Mais l'annonce de l'abandon des projets de voyages interstellaires, au profit de l'exploitation des matières premières de nos deux géantes gazeuses, mit brusquement fin à ses études. Vu la dégradation rapide de son état de santé, notre Maître ne tarda pas à être envoyé dans un hôpital de transit. Il eut néanmoins le temps de terminer ses tests embryonnaires ayant pour but l'adaptation de la race humaine aux voyages spatiaux de très longue durée.

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Quel pouvaient bien être ces expérimentations qui allaient permettre à la race humaine de pouvoir survivre et évoluer dans l'espace ? Patience... vous l'apprendrez bientôt !