15. La compagne

151 22 106
                                    

L'instant était venu pour le jeune garçon de se voir assigner une compagne... Les dirigeants de la Fédération estimaient que la recherche du ou de la partenaire idéale était une entreprise bien trop longue et improductive. Celle-ci représentait donc, pour ses travailleurs, une perte de temps inutile.

L'impressionnante quantité d'informations disponibles dans les banques de données concernant chacun et chacune d'entre eux s'en chargerait dorénavant à leur place. Leur énergie pourrait ainsi se voir entièrement consacrée au travail et non pas à la quête utopique d'une éventuelle âme sœur.

******

Une jeune fille vint me rejoindre, un beau soir, dans mon alvéole. Nous avions été sélectionnés, l'un pour l'autre, en fonction de nos affinités, tant psychologiques qu'esthétiques. Nos activités respectives rendaient notre union compatible ; nous allions tous deux exercer notre activité professionnelle à partir du dôme numéro 1. Elle venait, comme moi, de terminer sa formation et avait été assignée à l'entraînement physique des nouvelles recrues au sein de la pyramide.

Ses longs cheveux blonds ambrés descendaient, tel un torrent de lumière, le long de sa poitrine naissante. Elle n'était encore qu'une adolescente... mais son regard d'un vert éclatant, sa jolie petite frimousse ainsi que son corps ferme et musclé la faisaient resplendir d'une beauté éblouissante que nulle femme n'avait encore revêtue à mes yeux !

Il ne nous vint même pas à l'esprit de nous demander si nous étions vraiment faits l'un pour l'autre. Des bases de données, dépassant de loin notre entendement, en avaient décidé ainsi. Je n'osais pas non plus l'interroger au sujet des sentiments que lui inspiraient le fait de devoir passer le restant de ses jours aux côtés de l'étranger que j'étais pour elle. Le Conseil Suprême en avait décidé ainsi, dans notre intérêt et surtout celui de notre sacro-sainte société... Ainsi soit-il !

Nous évitions d'aborder ce genre de sujets, de crainte de nous faire remarquer par l'un des commissaires de la Fédération. Ces derniers devaient, sans aucun doute, constamment épier nos moindres faits et gestes. Peut-être étaient-ils même en mesure d'accéder directement à nos pensées par l'intermédiaire de nos implants, ou grâce à l'intelligence artificielle qui habitait notre alvéole... qui sait ?

Ma compagne se tenait là, à mes côtés, si belle et si douce, résolue à parfaitement remplir sa tâche... dans l'intérêt de tous. Il me sembla inutile d'exprimer le malaise qui subsistait en moi alors que cette situation m'était si agréable. Mais au fond de mon cœur, une voix, semblant ne plus jamais vouloir s'apaiser, hurlait sans cesse.

******

La semaine de liberté octroyée à l'occasion de cette rencontre orchestrée par la Fédération passa très vite. Le moment était venu pour les nouvelles recrues de se présenter aux séances d'initiation de leurs formations respectives. Le jeune garçon s'y rendit avec joie, impatient d'entamer la préparation de sa toute première mission spatiale, après tant de longues années de simulations.

******

En arrivant au centre d'entraînement, je retrouvai les neuf autres cadets assignés au TXL1138. Ils avaient également chacun reçu une compagne avec laquelle ils partageaient l'intimité de leur petite alvéole.

Nous comparâmes les projections holographiques que nous avions d'elles en nous imaginant que ces dernières devaient, sans aucun doute, en faire de même avec leurs collègues.

Nos combinaisons furent flanquées de l'emblème du vaisseau qui allait nous emmener vers les étoiles. Les discours que l'on nous adressa exaltèrent notre désir de servir fièrement cette société qui nous avait sélectionnés pour une mission réservée à son élite ! On nous présenta ensuite le TXL1138 de long en large, durant d'interminables séances d'incubation virtuelles !

Cet immense vaisseau cargo, d'une toute nouvelle génération, était spécialement conçu pour transporter d'importantes quantités de matériel sur de très longues distances. Et, comme nous le savions déjà, il était également destiné à acheminer, de temps à autre, une cargaison d'Indésirables vers les confins de notre système planétaire.

Qui étaient réellement ces mystérieux individus que nous aurions à convoyer ? Et vers quel endroit les emmènerait-on ? Tant de questions venaient hanter mon esprit...

Mais l'entraînement assidu auquel je fus soumis ne me permit pas d'y accorder trop d'attention. Une fois nos longues journées achevées, chacun d'entre nous se retrouvait isolé dans une petite cabine, semblable à celle qui nous serait assignée lorsque nous aurions rejoint notre vaisseau.

Les seules conversations autorisées étaient celles que nous partagions avec nos compagnes. Ces dernières se limitaient aux communications que nous échangions, le soir, grâce aux codes qu'on nous avait distribués et qui nous permettaient de n'entrer en contact qu'avec elles, à des instants bien précis de la journée.

Ma partenaire devint ainsi une véritable confidente ; la seule personne à qui je puisse parler en dehors de mes longues périodes d'entraînement. Une profonde complicité commença à nous unir. J'avais envie de la revoir, la connaître, la sentir proche de moi. J'éprouvais un irrésistible besoin de la toucher réellement et non plus uniquement de façon virtuelle. Elle était devenue l'objet de tous mes fantasmes et désirs d'adolescent.

Mes coéquipiers et moi-même avions été numérotés de 1 à 10. J'avais reçu le numéro 6, auquel je m'étais, peu à peu, habitué. Ma compagne m'appelait également ainsi, pour caricaturer l'aspect militaire de notre instruction. J'éprouvais, malgré tout, quelques réticences à me voir identifié par un simple chiffre.

Si quelqu'un voulait s'adresser à moi, il lui suffisait de me regarder dans les yeux, de me taper sur l'épaule ou encore de me lancer un message, arrivant directement à mon esprit par l'entremise de mes implants. Personne n'avait jamais éprouvé le besoin de parler de moi en mon absence... à ce que je sache !

******

Au terme de ce mois d'instruction, le TXL1138 n'avait plus aucun secret pour les futur membres de son équipage, sans que ces derniers ne l'aient encore jamais réellement visité. Leurs séances de réalité virtuelle ayant déjà, à maintes reprises, permis d'en explorer les moindres recoins. Une semaine de repos, durant laquelle les cadets purent rejoindre leurs petites alvéoles, fut accordée aux jeunes recrues. Leurs compagnes respectives venaient également de finir leur stage d'initiation.

******

J'allais enfin retrouver cette fille qui était devenue, au fil de nos longues conversations, ma seule confidente dans ce monde froid et dépourvu de sentiments. Je n'avais encore jamais autant désiré être auprès de quelqu'un ! Lorsque nous fûmes réunis, une force irrésistible nous attira l'un vers l'autre. D'abord nos mains, puis nos bouches s'effleurèrent pour ensuite se dévorer passionnément.

Sans même nous en apercevoir, nous nous retrouvâmes complètement nus sur notre lit, en train de faire l'amour, de façon maladroite... pour la toute première fois. Je ressentais enfin le bonheur d'aimer et d'être aimé. Cette inconnue était effectivement devenue celle avec qui je voulais passer le restant de mes jours !

J'avais finalement l'impression d'entrer en symbiose avec cette société contre laquelle je m'étais pourtant déjà maintes fois rebellé. Cet état de fait me procura un certain équilibre qui m'apaisa quelque peu. Je me sentis brièvement en harmonie avec ce monde dont je faisais, à présent, entièrement partie !

Nous en arrivâmes même à plaisanter à propos du sort de ceux qui furent envoyés loin d'ici, dans les colonies. Ils avaient probablement dû recevoir, eux aussi, une compagne ou un compagnon en entamant leur vie active. Nous tentions d'imaginer à quoi pouvaient ressembler leurs ébats, flottant au gré de la faible pesanteur qui régnait sur leur planète ou astéroïde. Cela devait, sans aucun doute, rendre la chose encore plus intéressante.

Notre situation n'était pas beaucoup plus enviable que la leur, après tout. Nous nous trouvions, tout comme eux, enfermés sous un dôme avec pour seul espace privé une petite alvéole. Et nos divertissements se limitaient, également, à ces futiles séances de réalité virtuelle que nous offrait la Fédération.

Nous restâmes allongés sur notre lit en entamant une de nos longues et tendres conversations. Nous parlâmes de tout et de rien, de notre avenir, de nos vies qui commençaient. Je ne pus m'empêcher de caresser son corps jeune et ferme. Elle était si belle et sa peau si douce...

Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant