34. Mission Europa

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Carnet de bord du vaisseau spatial Hermès

(Première mission habitée vers « Europa »)

1er jour de mission

C'est le grand jour! Tout s'annonce pour le mieux. Le Soleil est avec nous et la météo est bien plus clémente que prévu. Après ces interminables mois de préparation, je vais enfin pouvoir me lancer vers ma lointaine destination... le rêve est en train de devenir réalité!

Tout ça, c'est grâce à Frank, mon collègue pilote et ami de toujours, directeur du centre d'entraînement des candidats astronautes de l'Agence Spatiale Européenne (ASE) à Cologne. Que ce soit moi qui ai été choisi pour ce vol bien précis relève quasiment du miracle. C'est lui qui eut cette idée géniale, lorsque les astronautes du centre refusèrent, d'un commun accord, cette mission suicidaire... Elle était bien trop longue, risquée et inutile d'après eux. En effet, le vaisseau Hermès ne devait initialement pas emporter d'être humain à son bord. Aucune première mission d'exploration de ce genre ne fut habitée auparavant!

Mais les politiciens européens en décidèrent autrement... sans doute pour donner une leçon d'audace aux Russes, Américains, Japonais et Chinois dans leur course infernale aux missions robotisées, et même prochainement habitées vers Mars. Il y avait aussi cette rumeur qui laissait entrevoir que l'Inde s'apprêtait à établir une base permanente sur la Lune. Elle entrerait alors directement en concurrence avec les missions Artémis de SpaceX et de la NASA, qui viennent enfin de permettre à un couple d'astronautes de fouler à nouveau le sol lunaire...

La Commission Européenne imposa à l'ASE de transformer leur sonde, destinée à atteindre Europa, afin de lui permettre d'emporter un seul et unique passager... Pas moyen d'en mettre un deuxième dans sa minuscule capsule ni dans l'espace restreint du module d'exploration : le «Vladimir Komarov».

Mais un, c'était possible... Son poids et son volume, ainsi que le système environnemental et les vivres nécessaires se substitueraient aux équipements robotisés qu'il viendrait lui-même remplacer. Cette décision provoqua la colère de la communauté des astronautes européens. Ils se sentaient exploités comme de vulgaires cobayes, destinés à se voir sacrifiés dans le but de rehausser l'image de leur continent vis-à-vis des autres grandes puissances mondiales.

Il est vrai qu'ils n'avaient pas tout à fait tort. Nous nous souvenions encore tous des désastres provoqués par les pressions du gouvernement américain sur la NASA lors de son programme de navettes spatiales. Les incidents qui coutèrent la vie aux malheureux équipages de Challenger et ensuite de Columbia auraient pu être évités !

Les dirigeants des opérations de l'agence spatiale américaine étaient parfaitement au courant des défauts techniques qui entraînèrent ces terribles catastrophes. Et, cette fois-ci, c'était l'agence spatiale européenne qui risquait de commettre la même erreur en précipitant le lancement de son vaisseau Hermès, sans avoir pris le temps de convenablement préparer, et tester, cet important changement de configuration.

C'est alors que Frank pensa à moi. Il savait que j'étais prêt à tout pour me rendre dans l'espace. Il préféra s'adresser à un ami, plutôt qu'à un total inconnu! Et il fallait, en plus, que ce soit un Européen... Pas question d'aller demander de l'aide aux autres nations possédant une équipe d'astronautes expérimentés.

Mon âge avancé a sans doute ironiquement joué en ma faveur. J'ai la plus grande partie de ma vie derrière moi. Il est nettement moins dramatique de partir pour une si longue période dans l'espace, et même risquer de ne pas en revenir, lorsqu'on a dépassé la soixantaine! La commission médicale s'y était tout d'abord opposée. Mais elle fut bien obligée de s'avouer vaincue lorsque j'eus réussi, haut la main, tous les tests qu'ils me firent subir.

Lorsque nous apprîmes que l'ASE recrutait des astronautes, à la fin des années 80, Frank et moi nous sommes tous deux immédiatement portés candidats. Je crois qu'il s'en voulait un peu d'avoir été l'unique pilote militaire choisi, connaissant mon énorme motivation... Mais il doit avoir bien d'autres chats à fouetter à présent, avec sa toute nouvelle équipe d'astronautes en herbe qu'il aura à former pour les missions qui succèderont à la mienne. Je vais leur donner une belle leçon de pilotage, en appliquant les procédures de ce vol complexe et exigeant de façon parfaite... Croisez les doigts pour moi, les enfants!

Le vaisseau interplanétaire Hermès n'a jamais été aussi prêt et mon moral est au zénith. Du côté familial, par contre, c'est une autre paire de manches... J'ai passé la soirée avec Carmen et les enfants, Frank et nos plus proches amis nous ayant quittés dans l'après-midi pour nous accorder quelques derniers instants d'intimité. J'ai bien remarqué la tristesse et l'amertume de ma petite famille me voyant partir pour ce long voyage de plus de quatre ans.

C'est entre ces sentiments mitigés que mon cœur balance... Je me sens quelque peu coupable d'éprouver autant d'exaltation... Mais je sais qu'ils me comprennent. C'est d'ailleurs pour cela que je les aime tellement ! Ça me fout le cafard de ne les revoir que dans tant d'années. J'espère qu'ils auront la patience de participer aux longues conversations en différé qui nous seront imposées par le nombre de minutes, sans cesse croissant, que mettront mes signaux à rejoindre la Terre au fur et à mesure que je m'en éloignerai.

Mais il faut que je me concentre... Il va me falloir, à présent, enfiler mon scaphandre. Je vais enfin accomplir tous ces gestes, que j'ai répétés des centaines de fois, afin de réellement exécuter ma mission. L'humanité tout entière va y assister en direct dans quelques instants. C'est sans doute pour cela que l'ASE a planifié mon lancement un samedi... rien de tel pour venir divertir la population de notre monde moderne, tout en mettant en valeur la technologie spatiale européenne.

Et cela, tout particulièrement, après cet horrible attentat qui vient à nouveau d'endeuiller les États-Unis d'Amérique, il y a deux semaines à peine, un peu plus d'un quart de siècle après ceux du 11 septembre 2001! Leur tout nouveau président y a échappé par miracle, mais il n'a pas pu se permettre d'assister à mon départ. Je lui ai, bien sûr, pardonné en lui envoyant toutes mes condoléances, à lui personnellement ainsi qu'à sa grande nation. Il lui faudra, à présent, reconstruire sa capitale et remonter le moral de ses concitoyens...

C'est curieux, je n'ai pas le trac. Moi qui avais cru être impressionné par toutes ces caméras et ces millions de spectateurs qui assisteraient à mon départ. En fait je m'en fous complètement. Tout ce qui importe maintenant c'est ma mission et ma fusée. Le reste a littéralement disparu de mon petit univers. Je me trouve enveloppé dans une bulle où plus rien d'autre n'existe!

À part ce compte à rebours qui va très bientôt s'égrainer dans mes écouteurs... et qui me force à refermer les premières pages d'un journal que j'espère pouvoir lire et relire, au coin du feu avec vous tous, après mon retour.

L'aventure de ce navigateur solitaire me sembla, à bien des points de vue, similaire à celle dans laquelle nous venions de nous engager. Il partit pour un long périple, là où aucun être humain n'était jamais allé auparavant... très loin de sa planète originelle.

Tout comme pour nous, son voyage vers l'inconnu fut porteur d'un immense espoir... Peut-être même celui d'aller découvrir de nouvelles formes de vie? Et le fait qu'il n'en soit jamais revenu rapprochait encore bien plus son triste sort du nôtre!

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Á quoi ressemble cet enfant, premier représentant d'une toute nouvelle race humaine destinée à vivre dans l'espace, qui grandi dans le ventre de Marie ?

Homo Sum 1 : l'éveil de l'humanité (Episode 1 : Fédération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant