Partie II Chapitre 18 : Terreurs nocturnes

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                                                                                ***

L'obscurité m'envahit un instant, me faisant oublier tous les problèmes. C'était si doux, si improbable... Je me laissai aller à cette tendre rêverie, espérant que la réalité deviendrait cauchemar. La voix de ma conscience me siffla cependant: "Ne rêve pas trop, tu pourrais être déçue...". Cela me fit du mal de l'admettre, mais elle avait raison. Il fallait pourtant que j'oublie mes malheurs pour éloigner la folie de moi. J'étais faible, cela devenait une évidence au fil de ces jours sombres. L'image de Gaël agonisant me revint soudain, et j'eus envie de hurler, de pleurer toutes les larmes que je tentais de retenir, parfois en vain. Je l'avais laissé seul, sous la pluie torrentielle, et je l'avais laissé mourir sous mon regard. J'étais aussi lâche que peureuse, au final, rien ne contredisait mes erreurs. J'avais beau souffrir le martyr, les cris ne sortaient pas de ma gorge asséchée, et mes prunelles n'avaient plus rien à déverser.

Alors, d'étranges mélanges de couleurs se mirent à danser derrière mes yeux endormis. Elles formaient tantôt des tâches éparpillées, tantôt des lignes qui glissaient, s'entrelaçaient sur un fond noir d'encre. Finalement, elles s'assemblèrent pour former une image floutée, aux teintes un peu délavées. Je reconnus des cris d'enfants lointains, ainsi que des mouvements vagues plus loin. Au premier plan, je découvris une filette au visage caché par une lueur noirâtre. Ses cheveux clairs et courts m'intriguèrent; c'était comme si je la connaissais. Qui était-elle? Impossible de me souvenir. Un tas blanc fut déposé dans les bras frêles de l'enfant, sans que je puise distinguer quoi exactement. Je me torturai pour essayer d'apercevoir un détail qui me ferait comprendre cette scène étrange. Mais rien ne dépassait de cette image trop parfaite à mon goût, rien ne clochait et, pourtant, un malaise s'empara de moi lorsque je me rendis compte que la petite fille -âgée de dix ans à peine- s'était tournée dans ma direction. Pouvait-elle me voir? La tâche noire qui gâchait son minois s'était quelques peu dispersée, et laissait entrevoir des lèvres fines et minces. Elles bougèrent lentement pour prononcer quelques mots silencieux, que je n'entendis pas. S'adressait-elle à moi? Comment était-ce possible? A peine me posai-je cette ultime question, que les couleurs disparurent subitement, comme effrayées par mes pensées. Rien ne s'était passé d'horrible et, pourtant, j'avais envie de fuir comme jamais auparavant. Les rêves avaient parfois le don de semer le trouble dans votre esprit... Si bien que je passai de nouveau dans une phase de sommeil profond avec tranquillité. 

                                                                        ***

Les yeux exorbités, je me réveilai en sursaut. Je m'assis sur le matelas en hâte pour jeter des coups d'oeil futifs tout autour de moi. Ma chambre était restée obscure, et on voyait encore le croissant de la lune en regardant par la fenêtre. Je sentais des sueurs froides couler le long de mon dos, et restai ainsi quelques instants, pâle et terrorisée. De quoi avais-je rêvé? Je n'en gardais que des bribes, mais je ne me rappelais pourtant pas d'avoir été malmenée dans d'éventuels cauchemars. Après cinq bonnes minutes passées à calmer ma espiration devenue saccadée, je me mis à observer la pièce. Je devais pour le moment me raccrocher à la réalité pour me séparer de cette terreur nocturne. J'entendais la respiration régulière de Sarya à côté de moi; sûrement dormait-elle encore à point fermé. Un peu plus loin, on pouvait distinguer la silhouette de Maxime, couché dans mon lit. Sarya et moi dormions sur le matelas de mon frère; heureusement qu'il était asez grand pour nous deux..! La pénombre me permit de voir relativement nettement les différents meubles, ainsi que le cadre de ma fenêtre, et un ciel voilé de nuages un peu plus gris que la veille. La vitre se retrouvait bombardée par les gouttes de pluie, éclairées par la faible lueur de l'astre nocturne. L'idée de réveiller un de mes amis m'avait traversé l'esprit, mais je l'avais repoussée; je n'allais pas non plus leur faire subir mes "caprices" et problèmes au beau milieu de la nuit! Je repoussai alors la couette qui me réchauffait les pieds, pour me lever doucement. Je sentis que Sarya se retournait dans son sommeil mais ne m'en inquiétai pas. Je marchai jusqu'à ma petite fenêtre et frottai la vitre du revers de mon pull pour effacer la fine buée. Au dehors, tout était calme, tout dormait dans l'obscurité de la nuit. Et maintenant, qu'allions-nous faire, pour nous sortir de cette masquarade? Le Tueur restait muet, guettant un faux pas de notre part, certainement. Sortir de nouveau de la maison était impensable, ne serait-ce que pour voir le cadavre de mon frère. Je ne le supporterais pas, je ne supporterais pas d'assister à la mort de Maxime ou de Sarya. Il nous fallait un plan qui ne nous faisait pas nous aventurer à l'extérieur de notre abris. Et après? Les lignes téléphoniques étaient coupées, rien ne nous reliait au reste du monde. Je sentis mes yeux se remplir de larmes, mais les refoulais avec hargne; il n'était plus temps de m'apitoyer sur mon sort. Il était temps d'agir, de passer à l'action, et de se battre pour gagner. Tout ce que j'avais du mal à faire. Franchement, qu'avais-je fait pour mériter tout cela? La simple pensée que mon destin était peut être scellé me donnait des frissons. Alors que je me perdais dans des pensées bien sombres, quelqu'un s'approchait de moi. Je ne me retournai pas, mais je reconnus sa voix lorsqu'elle me parla, intriguée:

"Hé bien, tu n'arrives pas à dormir?"

Je fis volte-face et vis Sarya, devant moi. Je lui adressai un pauvre sourire. 

"J'imagine que dans une situation comme celle-ci, on fait pas mal de cauchemars... ça va passer, ne t'en fais pas... Je ne t'ai pas réveillé, au moins?

- T'as pas tout à fait tort... Non, ça fait la troisième fois que je me lève comme ça cette nuit."

Je hochai la tête sans répondre, les yeux de nouveau perdus dans le vague. Je laissai passer un silence, revenue m'asseoir sur le rebord de ma fenêtre. Mon regard se perdait loin, loin vers ce que je pensais être l'horizon. Une ligne grisâtre, effacée dans ce paysage morbide. Est-ce que mon avenir sera à son image? J'avais tellement peur... 

"T'es sûre que ça va? reprit-elle.

- ça va plus mal que je ne le laisse paraître, en tout cas. Et je pense que c'est encore plus terrible en réalité. J'ai l'impression de passer à côté de tellement de choses...

- Peut être que t'as raison... Dans ce cas, ça voudrait dire qu'on va tous crever ici? Tu voudrais que ça finisse come ça, toi?

- Non, bien sûr, mais-...

- Il n'y a pas de "mais"! Ecoute, je sais que c'est difficile pour toi, que tu te sens faible et impuissante, mais là... Si on se bat pas, c'est la fin...!"

Sarya avait rarement tort. Cette nuit là, encore, elle me le prouva. Je n'avais rien à redire à ces paroles, il n'y avait rien à ajouter. Nous restâmes un instant ainsi, elle à me scruter avec détermination, comme si elle attendait une riposte de ma part, et moi à la regarder avec stupéfaction et admiration. Finalement, je souris, ayant enfin retrouvé le soutien de mon amie. J'avais tellement peur que cette période de distance ne change quelque chose à notre amitié..!  Elle parut un peu étonnée de me voir sourire, alors qu'elle venait de râler après moi, mais se détendit lorsqu'elle entendit un petit:

"Merci, Sarya." 

Après avoir échangé quelques paroles susurrées, nous retournâmes chacune dormir. J'étais comme apaisée, après cette discution. Seule, je ne valais certainement pas grand-chose, et mon opinion sur moi-même n'avait pas vraiment changé. Cependant, entourée des gens qui m'étaient chers, j'étais capable de tout. Tout, pour ne pas qu'ils meurent sous mes yeux. Sous l'arme d'un Tueur inconnu. Je me fis la promesse de les ramener à la lumière, sains et saufs. Je me laissai bercer par la douce mélodie de la pluie, avant de sombrer dans un profond sommeil sans rêve. 

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Alors que tous dormaient paisiblement dans cette chambre calme et sécurisée, la pluie redoubla d'intensité pour fouetter la maison avec hargne. Les éclairs jetaient des flash à travers les fenêtres du bâtiments. Et aucun des adolescent ne vit se découper deux silhouettes qui se suivaient sur les murs...

Entre la vie et la mortWhere stories live. Discover now