Chapitre 9: Sanglots étouffés

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Une mare rougeâtre se propageait dans l'herbe, et un corps inerte gisait au milieu. Un corps, en espérant ne pas trouver un cadavre. Un épais brouillard m'empêchait de distinguer les traits de la victime, une terrible peur me prit au ventre. Gaël. Je voulais espérer, mais un mauvais pressentiment m'en empêchait. Mes jambes s'animèrent sous moi, et je courus vers cette tâche grisâtre à l'horizon qui m'inquiétait tant. Les hautes herbes me fouettaient les jambes, les gouttes de pluie glissaient sur la silhouette affalée et me cinglaient le visage. Le tonnerre et les ombres grandissantes me faisaient tressaillir, peureuse comme j'étais. Je lâchai mon parapluie qui me gênait plus qu'autre chose et ralentis, quelques mètres après. Gaël. Son nom résonnait dans ma tête. C'était bien lui qui gisait dans la mare d'hémoglobine.

"Putain!" Gémis-je, en reprenant ma course folle.

Mes bottines trempèrent enfin dans l'étendue rougeâtre, et je tombai à genoux devant mon frère, désemparée. Je ne savais même plus que penser, ni que faire, lorsqu'un râle grave me sortit de mon état critique. Gaël rassemblait ses dernières forces... Il était vivant..! Mes yeux s'illuminèrent à cette simple pensée et je mis une main sur sa poitrine pour être bien sûre que son cœur battait encore. Les battements étaient faibles et irréguliers mais un rien m'aurait redonné espoir à cet instant.

"Sœur-... Sœurette... Susurra-t-il en tournant ses yeux voilé vers moi.
-Chut, je suis là, tout va bien se passer, je-je vais appeler une ambulance..! On va te soigner et-...
-C'est trop... Trop tard, Claire, aucun moyen de transport ne roule par ce temps..."

Cette nouvelle me fit l'effet d'une bombe. Malgré ce choc, je préférais rester aveugle. Non, il n'allait pas mourir, il ne pouvait pas me laisser..! Surtout pas après maman, je serais seule au monde, seule face à la vie et à tous ces problèmes. Mes cheveux n'étaient plus qu'une serpillère ambulante, vu comme ils dégoulinaient. J'étais trempée jusqu'aux os et pourtant, je n'avais pas froid. Le tonnerre semblait lointain à mon oreille, et tout tanguait autour de moi. Je ne pouvais pas baisser les bras, ça me détruirait:

"Mais... Repris-je, désespérée.
-Laisse moi parler, sœurette, tu ne peux plus rien faire pour moi... Ne t'en veux pas... Il... Fuie, enferme toi dans la maison.
-Arrête de dire ça, je refuse de l'entendre!! Tu ne mourras pas!"

J'avais crié ces paroles, le fixant avec intensité. Malgré ma détermination et mon caractère obstiné, je voyais bien que sa main était déjà plus froide que la mienne. Je la serrai avec force, comme pour lui intimer de rester en vie.

"Je-... Je t'aime, sœurette, ne le laisse pas t'avoir toi aussi, vis pour moi... Réussit-il à articuler.
-Frérot... Non...
-Adieu, soit-.. Soit forte..."

Ses yeux perdirent leur intensité, et sa main devint ballante dans la mienne. Je me mordis la lèvre pour ne pas pleurer mais c'était peine perdue; elles coulaient déjà à flot. Je restai ainsi quelques secondes, abasourdie devant le cadavre de mon cher frère, avant de comprendre ce qu'il venait de se passer. Plus jamais je n'entendrai sa voix, plus jamais je ne marcherai sous son regard protecteur, plus jamais je ne le verrai... Je reculai en restant à terre, salissant mon jean clair de sang, son cœur s'étant arrêté sous ma main frêle. Une de mes mains plongea machinalement dans la mare d'hémoglobine, et je la regardai faire. Mes yeux étaient ternes, j'étais encore sous le choc. Mon cœur n'était sûrement qu'un ramassis de débris à l'heure qu'il était. La nuit glaciale enveloppa les environ de son manteau sombre. Je ne savais plus si je frissonnais de froid ou de tristesse, tout était confus en moi. Tandis que mon appendice se promenait dans le sang de mon frère, la même attirance qu'auparavant pour ce liquide me fis m'approcher. Je le scrutai avec une lueur de dégoût dans le regard, quand je vins heurter quelque chose. Je le sortis pour découvrir un petit bout de papier jaunis et plié méticuleusement en quatre. Je me levai soudain et regardai le corps sans vie de Gaël. Pourquoi? Cette éternelle question tournait sans cesse dans ma tête, cherchant une vaine réponse. Mes yeux s'arrêtent soudain sur une ombre. Une silhouette s'étalent sur l'angle de notre maison. Je reculai, la peur prit possession de moi lorsque je me souvins des mots de mon frère: "Ne le laisse pas t'avoir aussi".

Entre la vie et la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant