Complications I

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JANVIER 2018


- Qu'est-ce qui te prend, la mioche ?

- Arrête, Max !

- Laisse-la tranquille, souffle Anaïs en faisant les gros yeux à son ami.

Les tensions sont familières, Maxence s'en réjouit puisqu'il a droit d'exercer son activité favorite : emmerder son monde. Depuis quelques jours, Camille est sur les nerfs, on a beau lui parler gentiment, elle ne le rend pas comme il se doit, surtout auprès de ses amis. Lorsqu'elle me voit, son visage est moins crispé, elle souffle comme si elle se retenait depuis perpète et m'enlace comme jamais elle ne le faisait en public.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demandé-je en m'asseyant à notre table habituelle.

- Cam' fait la gueule.

- C'est faux ! s'exclame-t-elle, guettant ma réaction. Il me saoule, c'est tout.

- C'est nouveau ça ? ricane Jules.

- Tu n'es pas mieux, toi ! Si ce n'est pas en cours, c'est par message, tu me fais royalement chier avec tes blagues pourries ! s'énerve Camille.

Qu'est-ce qu'il se passe ? Où se cache ma Camille ? Ma douce et gentille petite amie ? Elle se lève en trombe, ne prend pas la peine de jeter son sandwich qu'elle n'a même pas déballé et s'enfuit pour quitter la cafeteria, sous les regards ahuris de tous ses amis. Et le mien avec, parce qu'il s'agit de la première fois qu'elle se comporte ainsi avec eux, pas la peine de vouloir en savoir plus, ils ne sauront pas quoi me dire vu la tête qu'ils tirent.

- Je vais la voir, déclaré-je, prêt à me relever.

- Reste, elle va se calmer toute seule, comme une grande, soupire Maxence.

- Je ne pense pas, justement. Elle a besoin de Julian, tu ne l'as toujours pas remarqué ? râle Anaïs.

Bon, je commence à comprendre Camille, ils sont lourds.

Je me lève de ma chaise, le crissement de celle-ci les font taire et ça fait du bien. Je repousse violemment mon plateau tout en les regardant l'un après l'autre.

- Vous semblez solidaires et, pourtant, un rien vous dissocie. Vous ne voyez pas que vous lui faites du mal ?

- Du mal ? ricane Maxence. Et elle ?

- Elle est blessante, Julian, approuve Gaëlle, tristement.

- Depuis que vous êtes ensemble, pour être honnête.

- Ana !

- Quoi ? C'est la vérité ! Avouez-le.

- Je ne dirais pas ça, seulement que-

- Si, c'est tout à fait ça, en fait, ricane Maxence. Elle a beaucoup changé. Elle ne nous calcule même plus depuis que vous formez ce si beau couple exemplaire. Dis-moi, est-ce que tu es sincère avec elle ? Est-ce que tu penses qu'elle est sincère avec toi ?

- Max, ferme-la ! s'écrie Gaëlle.

- Vous savez quoi ? Vous êtes une belle bande d'égoïste. Ça ne vous fait rien de voir votre amie épanouie, heureuse ?

- Tellement épanouie qu'elle nous oublie complètement, youhou, ironise Anaïs. C'est à se demander si tu ne lui bourres pas le crâne !

J'explose, ils dépassent les bornes.

- Vous n'êtes qu'une bande d'imbéciles.

Je me contiens mais je boue.

- Quelle bande de potes, waaaaw, franchement je suis jaloux de votre complicité. En fait, votre sincérité est impressionnante, si ça ce sont des amis, rigolé-je en les applaudissant faussement. Laissez-la tranquille, d'accord ? Ça ne m'étonne pas qu'elle vous ignore, vous n'êtes qu'une bande de cons.

Sur ces paroles, je me retourne avec un seul but en tête : retrouver Camille. Peut-être ai-je eu tort d'avoir réagi à chaud, ils m'en voudront certainement longtemps mais, pour le moment, ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus. Ce qui me tracasse, c'est le changement d'humeur de Camille, j'ai beau la défendre devant ses amis, je n'accepte pas la manière dont elle leur parle depuis la rentrée.

- Cam' ?

Personne ne répond. Je sais pourtant qu'elle est là, son sac à main repose au coin de l'entrée des toilettes, déposé à l'arrache.

- Cam', c'est moi, déclaré-je prudemment.

Toujours rien. Sauf qu'en m'approchant de l'entrée, je distingue des pleurs, j'ai beau être pudique et n'être jamais entré dans les toilettes des dames, cette fois-ci, je m'en fiche de me faire surprendre, Camille va très mal.

Elle tousse, je pense même qu'elle crache quelque chose dans les toilettes. Rebelote, je distingue cette fois clairement qu'elle vomit et ça me fend le cœur. Heureusement, une seule toilette semble occupée, je m'en approche, montre mon pied grâce à l'écart par-dessous la porte puis tambourine doucement contre la porte en répétant le prénom de ma petite amie.

- Laisse-moi, soupire Camille après avoir repris ses esprits.

- Jamais. Ouvre-moi.

- Pour que tu me vois dans cet état ? dit-elle doucement. Jamais.

- C'est moi, murmuré-je contre la porte.

Silence. Je ne l'entends même plus respirer et la peur qu'elle fasse encore un malaise me gagne, je panique à nouveau.

- Camille, je-

Elle m'ouvre la porte, va de nouveau s'asseoir contre le petit muret en se tenant le visage entre les mains.

- Ne me regarde pas.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demandé-je avec douceur. Tu peux me parler, tu sais ?

Je m'accroupis en face d'elle, lève ma main pour caresser sa joue tandis que son regard vient se planter dans le mien, à ma plus grande surprise. Elle veut me dire quelque chose, ses yeux cherchent désespérément une issue dans les miens mais je ne lui en laisse pas l'occasion, insistant avec mes sourcils pour qu'elle se confie.

- Je suis désolée, finit par sangloter Camille.

Ses genoux tremblent, elle s'effondre dans mes bras alors que ses mains s'accrochent avidement à mon sweat, c'en est assez pour que mon cœur se serre et ça fait un mal de chien d'être là, de voir la fille que j'aime s'autodétruire sans rien savoir faire.

- On va rentrer, d'accord ? Il faut que tu te reposes.

Je lui laisse une dizaine de minutes pour se remettre, être sûre qu'elle ne doit plus vomir et j'appelle ma mère pour qu'elle vienne nous chercher. Le trajet est silencieux, elle comprend qu'elle ne doit pas poser de questions alors elle n'en fait rien, sourit simplement à Camille lorsque leurs regards se croisent.


***


- Enfin Julian, elle n'a rien mangé... chuchote ma mère lorsque je dépose le plateau dans la cuisine.

- Elle n'a pas faim.

- Tu devrais insister, tout de même !

- C'est le troisième plat que tu prépares et elle n'en a toujours pas envie, je pense que le message est clair, non ? De toute manière, elle vient de s'endormir.

Ses yeux me fuient lorsque je les captes, elle n'ose pas me parler et je la remercie silencieusement, la dernière chose que je souhaite entendre sont les bons vieux conseils de ma mère. Elle ne connaît rien à notre relation, je ne vois pas ce qu'elle pourrait me dire.

- Prends soin d'elle, Julian.

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