Home sweet home

443 50 0
                                    

AVRIL 2018


- Tu n'as besoin de rien, tu es sûre ?

Camille hoche le visage, son sourire est faible mais nous devinons qu'elle souhaite remercier sa mère qui quitte ensuite la chambre.

Nous sommes rentrés à la maison, ça va faire quatre jours maintenant, et Camille est clouée au lit, de toute manière, elle ne sait plus rien faire. Ses muscles sont désormais inexistants, elle ne sait plus rien faire d'elle-même alors je m'en occupe, que ce soit pour sa toilette ou pour la faire manger. Étant donné qu'elle n'a plus de force, nous sommes dans l'obligation de la faire boire des soupes pour qu'elle n'ait pas à faire l'effort de mâcher des aliments.

Le docteur appelle ça « les soins palliatifs », Camille a eu le choix de finir ses jours à l'hôpital ou à domicile. Elle a décidé d'opter pour la deuxième proposition, c'est donc Monsieur Maillet, son médecin traitant, qui interviendra lorsqu'il le faudra. Nous pouvons l'appeler quand nous le voulons, si nous avons des questions sur des symptômes ou complications qui risquent de survenir au cours de cette dernière phase de maladie. Personnellement, je n'ai toujours pas accepté la nouvelle, ni l'état physique de Camille. Son visage est gonflé, chacun de ses gestes rend son souffle irrégulier, ça la handicape vachement, surtout quand elle doit lever un bras, se redresser dans son lit ou ne fut ce qu'ouvrir la bouche.

- Mon petit cœur, je souris en me couchant à ses côtés.

- Julian, souffle Camille en fermant les yeux.

- Repose-toi. Je suis là et je serai toujours là à ton réveil, d'accord ?

- Et si... et si je ne me réveille... pas ? souffle Camille.

- Arrête...

Je me tourne pour être face à elle, un bras sous l'oreiller, l'autre se tend pour poser ma main sur sa joue afin de la caresser avec tendresse.

- Ne pense pas à ça mon amour. Pense à... pense à de belles choses, à un endroit paradisiaque où tu voudrais être en ce moment, avec la personne que tu souhaites.

Elle se détend sous mes caresses, ses yeux se ferment avec aisance, la forme de ses sourcils redevient normale plutôt que froncée alors je continue à lui chuchoter des mots doux.

- Une plage ? Ça te convient ? je souris. Tu entends la mer ? Le son des vagues qui viennent et repartent, sans coupure, sans cris, sans égard ? Je suis à tes côtés, tu somnoles sous mes papouilles que j'offre à ton épaule dénudée. Tu n'aimes pas le soleil pourtant il tape sur ton dos et ça te fait du bien, tu prends des couleurs, retire ton haut de bikini puisque nous sommes seuls et je prolonge les papouilles en un massage relaxant. Tes muscles se décontractent, tu te relâches totalement, plus rien ne te tracasse, tu ne ressens plus aucune angoisse.

Elle s'est endormie, son souffle régulier me le confirme, ses lèvres entrouvertes me renvoie une odeur de tomate, légume à partir duquel sa soupe a été faite, je décide de fermer les yeux à mon tour et de m'endormir sur le même rythme que sa respiration, main dans la main.


***


Camille dort toujours quand le réveil, préalablement réglé par mes soins, sonne en continu. Quand je le coupe, Camille bouge doucement pour changer de position, au fond de moi, je suis rassuré. Depuis son retour à la maison, j'angoisse à propos de sa respiration, il m'arrive de me réveiller en pleine nuit pour simplement vérifier son pouls. J'ai très peur, je ne le lui montre pas, il ne faudrait pas que la dernière image qu'elle ait de moi soit négative, d'autant plus qu'elle stresse tout autant, mon rôle est de la rassurer, non pas de sombrer avec elle.


***


- Elle dort toujours ?

J'acquiesce tout en fixant mon café couler de la machine, près d'un énorme pot de fleurs. Il s'agit du bouquet dans lequel j'avais pioché cette fameuse rose le soir de son malaise. Mon cœur se serre.

- Il paraît que c'est normal, intervient Monsieur Latour. Je vais préparer une nouvelle soupe pour son réveil. Est-ce que tu en veux, Julian ?

- Non merci.

- Mange au moins quelque chose. J'ai préparé une lasagne, prends une petite part, me propose Madame Latour.

- Ça ira.

Mes yeux restent bloqués sur cette tige que j'ai cassé, ai-je mal fait ? Ai-je eu un impact dans la vie de Camille ? Un stress, une grosse dose d'angoisse ? A-t-elle changé de comportement par ma faute, ce qui aurait entraîné de nombreuses disputes dans sa famille et donc un stress important dans son corps, dans sa tête ?

- Julian, ton café est prêt.

La main de l'homme qui se tient à mes côtés caresse mon épaule de manière réconfortante, son parfum enivre mes narines, un mélange d'odeurs boisées et florales en même temps.

- Tout va bien se passer, tu verras.

- J'essaie de rester fort mais... c'est compliqué. Elle n'est plus... elle-même.

- Je le sais bien. Carole a beaucoup de mal également, chuchote l'homme.

Carole, c'est la première fois que j'entends le prénom de Madame Latour. Il me semble que, lui, s'appelle André, je l'ai déjà entendu, puis je l'ai vu dans le dossier médical de Camille. Leur présence me fait du bien, ma mère me manque mais je n'ai pas la tête à penser à elle, égoïstement. Une boule est toujours présente dans ma gorge, je vis dans la peur, la peur de perdre ma petite amie, celle que j'aime, qui me rend si heureux. Qui s'en chargera quand elle sera plus là ?

Il est vrai que sa mère est cernée, les yeux gonflés, elle ne se lève que quand elle en a l'obligation ou pour aller voir sa fille.

- Que peut-on faire ?

- Rien. Malheureusement. Il faut patienter, être là pour elle, lui montrer notre soutien mais surtout pas notre tristesse. Je pensais inviter ses amis à venir passer la nuit ici, ça te dit ?

J'opine, inerte. Parler de sa mort me fait tellement mal, je n'arrive toujours pas à croire qu'elle va nous quitter. C'est horrible, mon estomac est sens dessus dessous, mon corps se tord à chaque fois que j'y pense comme si on me le broyait sans pitié. Qu'est-ce que va changer la présence de ses meilleurs amis ? Rien. Tout comme la mienne, d'ailleurs. Camille n'a plus la capacité, encore moins la force, de papoter comme si de rien n'était, de rire et raconter des anecdotes. Mais qui suis-je pour interdire ses amis d'enfance partager quelques moments de bonheur avant le drame ?

Je me sens de trop.

Je me sens inutile.

Je ne ressens rien d'autre que de la tristesse.

Près de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant