38. Pendant la soirée

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Je gagne le jardin et vais droit vers mon ami. Il tourne le dos en me voyant arriver et commence à s'éloigner. Il se fout de moi, là !

— Anto !

Il s'arrête un peu plus loin, à l'écart des gens, et reste dos tourné. Je me poste derrière lui, attendant qu'il daigne me faire face. Je remarque de suite la cigarette qu'il tient à la main. Antonin ne fume quasiment jamais. C'est le signe que ça ne va pas.

— Qu'est-ce que tu fais là ? je lui demande.

Il pivote légèrement la tête et me regarde par-dessus son épaule.

— Je suis là, comme toi, me répond-il d'une voix lente et pâteuse.

Il a un air étrange. Dans ses yeux brillent un drôle d'éclat. Il n'est pas dans son état normal.

— Tu as bu ?

— Pourquoi ? Tu en as quelque chose à foutre ?

La dureté de son ton me fait frissonner presque autant que le froid qui me pénètre la peau. Je croise les bras sur ma poitrine pour tenter de me réchauffer.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Il pivote sur lui-même pour me faire enfin face.

— Tu peux retourner avec ton petit copain, si tu veux.

Je fronce les sourcils. De quoi il parle ?

— Qu'est-ce que tu racontes ? Quel petit copain ?

Il désigne l'intérieur de la maison d'un signe de tête.

— Je ne voulais pas te déranger en plein rapprochement.

OK. Je capte. Il parle du gars sur le canap'.

— Tu m'espionnes ?

Il ricane et fait tomber les cendres de sa cigarette.

— Nan. Pas que ça à foutre.

Il prend une profonde bouffée et recrache lentement la fumée dans ma direction.

— Sérieusement, Anto. Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Je voulais te voir. Mais toi tu t'en fous de moi. Tu t'en fous de tout, en fait.

— Je peux savoir pourquoi tu es dans cet état ?

— En quoi ça t'importe ?

Mais qu'est-ce qui lui prend ce soir ?

— Tu es mon ami. Voilà pourquoi ça m'importe.

— « Ton ami », prononce-t-il sur un ton sarcastique. Super.

La tension qui plane est palpable. Je me dis que pour qu'il soit dans un tel état, il n'a pu se passer qu'une seule chose.

— Tu t'es embrouillé avec ton père ?

La famille d'Antonin est compliquée, et les relations entre Antonin et son père sont très conflictuelles. Je sais qu'Antonin ne reste que pour ses petits frères. Il veut les protéger. Il pense que tant qu'il est là, jamais leur père ne lèvera la main sur eux. Leur mère est partie alors que le petit dernier n'avait qu'un an.

— Tu n'es pas la seule à vouloir te barrer d'ici, lâche-t-il. Tu n'es pas seule à en avoir ras le cul. À avoir une vie de merde. Y a bien pire que toi. Tu es même une privilégiée.

— Donc comme je ne suis pas la plus à plaindre, je ne dois rien dire ?

— C'est pas ça, marmonne-t-il. Tu ne comprends rien.

Il me fixe, me lorgne. Passe une main dans ses cheveux courts. Je n'aime pas son regard appuyé.

— Jolie tenue.

Putain, dîtes-moi que je rêve ?!

— Tu me fais quoi, là, Anto ? Tu débarques à une soirée à laquelle tu disais ne pas vouloir aller, je ne répéterai pas les mots que tu as employés pour désigner les gens présents ce soir. Tu es complètement arraché je ne sais pas pourquoi et tu as le regard le plus dégueulasse que j'ai jamais vu.

Son visage se tord dans une grimace. Il me jette un regard noir.

— Je te dégoûte, c'est ça ?!

— Ce regard, là, oui, il me dégoûte ! Qu'est-ce que tu veux exactement ?

— Toi, putain ! Je pensais que l'alcool me donnerait le courage de te parler autrement. Je m'étais fait des tas de films dans ma tête sur comment j'allais venir te parler. Comment les choses allaient se passer entre nous.

Je reste figée.

— Je t'aime ! Tu l'as toujours pas compris ?! Non parce que tu es trop occupée à te regarder le nombril et tu ne vois pas les gens qui sont attachés à toi et qui feraient n'importe quoi pour toi.

Mon dieu ! J'étais à mille lieux de m'imaginer une chose pareille. Antonin, c'est mon pote. Notre pote avec Mariam. Rien de plus.

— Je suis désolée.

Je pose la main sur son bras en signe d'apaisement. Il se dégage violemment.

— Je t'aime aussi, mais en tant qu'ami. Notre amitié est trop précieuse. On ne peut pas prendre le risque de tout gâcher. De tout foutre en l'air.

La tristesse semble s'abattre sur lui. Ça me fend le cœur.

— Ok, j'ai compris, il murmure pour lui-même avant de partir d'un rire un peu fou.

— Anto...

Il se débarrasse de son mégot et secoue les mains devant son visage.

— Je n'aurais jamais dû venir. Oublie tout ça !

Il part si vite que je n'ai pas le temps d'esquisser le moindre mouvement. Ma poitrine se comprime, je cligne fort des paupières pour empêcher que mes yeux s'emplissent de larmes. Je réalise alors que je ne sens plus mes doigts. Je suis littéralement frigorifiée.

Keep It QuietWhere stories live. Discover now