65. Mariam

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Postée sur le trottoir face au commissariat, j'écris mon dernier message à Antonin avant de replacer mon téléphone dans la poche de mon manteau.

Je relève la tête et je fixe la façade du bâtiment qui ne paye pas de mine. Deux policiers sortent sur le perron pour fumer une cigarette. Ils discutent, se marrent, ne m'adressent pas un regard.

La main droite glissée dans la poche de mon pantalon, je serre entre mes doigts l'écusson. De mon autre main, je cale le casque de scooter sous mon bras, puis je traverse la rue.

Je pénètre dans le poste de police. Je demande à voir l'inspecteur, celui qui a pris ma déposition le jour où les parents de Juliette et moi nous sommes présentés ici pour déclarer la disparition de Juliette. Celui qui est censé être en charge de l'enquête. Censé, car de mon côté, je ne vois aucune avancée significative. Et ce n'est pas comme si les agents du commissariat de notre petite ville croulaient sous les affaires et notamment celles de disparition de jeunes filles mineures.

L'agent à l'accueil me demande de revenir ou de rappeler, l'inspecteur n'étant pas de suite disponible.

— Je vais patienter, j'annonce en allant m'asseoir sur un banc dans le couloir. Ça ne me dérange pas, j'ai tout mon temps.

L'agent me fixe sans rien dire. Il doit être habitué à ce genre d'attitudes. Je ne suis certainement pas la première à préférer rester là pour être sûre d'être reçue, même après une très longue attente, plutôt que de prendre le risque de rentrer chez moi et qu'on me zappe complètement. Surtout vu l'intérêt qu'ils ont l'air de porter à cette affaire. Non, je ne tourne pas en boucle. Oui, je suis convaincue qu'on ne fait pas le maximum pour Juliette.

Finalement, je n'ai pas à me tourner les pouces plus de quinze minutes avant que la porte du bureau de l'inspecteur ne s'ouvre et qu'il me fasse signe d'entrer.

— Ce n'était pas si long, je lance à l'agent qui se contente de me regarder du coin de l'œil.

Je pénètre dans la petite pièce. D'un geste, l'inspecteur m'invite à m'asseoir et s'installe face à moi, de l'autre côté du large bureau, jonché de dossiers. Je les désigne d'un mouvement de tête.

— Celui de Juliette est en haut de la pile ?

L'inspecteur reste impassible.

— Je vous écoute.

Il a plus l'air de vouloir se débarrasser de moi qu'autre chose. Je lui fais un bref résumé de ces dernières heures. De la découverte de la dernière localisation du portable de Juliette à mon passage dans le cabane. J'omets de parler de l'écusson. Je le garde pour après.

Après un silence, l'inspecteur me demande :

— Vous vous êtes rendue seule en pleine forêt ?

— Ça n'a rien d'exceptionnel ! Je ne suis pas la première à le faire.

— Avec ce temps, c'est risqué. Les sentiers sont enneigés et difficilement praticables pour beaucoup d'entre eux.

— Il fallait que je le fasse. Je devais me rendre là où le téléphone de Juliette a borné pour la dernière fois.

L'inspecteur décapuchonne et recapuchonne son stylo. Un léger cliquetis résonne chaque fois.

— Comment avez-vous eu connaissance de cette localisation ?

Pourquoi ai-je l'impression que je me fais interroger comme une suspecte ? Je me braque.

— On m'a aidée à l'obtenir. Mais peu importe comment, non ? L'important pour moi, c'est que l'enquête avance.

À son tour de se braquer. Il me rétorque sur un ton sec :

— Croyez bien que pour nous également. Cependant, il aurait été moins hasardeux de nous communiquer l'information avant de partir seule.

Je me retiens de lui sauter à la gorge. Qui est-ce qui se bouge le plus depuis le début de cette enquête ?!

— Il ne m'est rien arrivé, je me contente de répondre placidement.

— Et nous en sommes soulagés.

Mais bien sûr. J'affiche un sourire pincé. L'inspecteur poursuit :

— Tant que nous ne saurons pas ce qui est arrivé à votre amie, il vaut mieux éviter les situations à risque.

Ne pas s'énerver. Continuer à sourire. Donner le change.

— Bien entendu.

Un silence plane durant lequel l'inspecteur jette un œil en direction de son téléphone. Puis il reporte son attention sur moi.

— Surtout que cette localisation, nous l'avions.

— Ah bon ? je m'exclame, extrêmement surprise. Vous y êtes allés ?

L'inspecteur m'adresse un regard des plus condescendants.

— Bien évidemment.

Restons calme.

— Vous n'avez rien trouvé ?

— Je ne peux pas partager les détails de l'enquête avec vous, mademoiselle.

— Moi, j'y ai trouvé quelque chose.

Il me fixe un instant. M'accorde-t-il enfin son entière attention et un intérêt soutenu ?

— Dans la cabane. J'ai trouvé quelque chose, je répète.

— De quoi s'agit-il ?

— Un écusson. Le voici.

Je le sors de ma poche et le dépose délicatement sur le bureau. L'inspecteur le détaille du regard sans le toucher.

— Pourquoi pensez-vous qu'il a quelque chose à voir avec l'enquête ?

— Je n'en sais rien, en fait. Ce n'est pas comme si les indices pleuvaient, non ?

Mes mots le font tiquer mais il ne dit rien. Je continue :

— J'ai trouvé que ce truc détonnait dans la cabane laissée à l'abandon. Il est tout propre, comme s'il était là depuis très peu de temps. Ça veut dire que quelqu'un est venu là récemment et le portable de Juliette nous dit qu'elle a aussi été là, donc...

— Donc les deux pourraient être liés, selon vous.

Je confirme d'un hochement de tête.

— C'est marrant que vous ne l'ayez pas remarqué, je note. Vu que vous aviez cette localisation et que vous êtes venu fouiller, c'est étonnant que vous n'ayez pas été intrigué par cet objet.

— Mes collègues ont relevé ce qu'il y avait à relever. Peut-être que cet objet ne s'y trouvait pas.

— Ou que la fouille a été un peu expédiée.

Je sens que je suis en train de me faire un ami. Je ne la joue peut-être pas de la meilleure des façons.

Je me tais et rive le regard à mes mains, posées sur mes genoux.

— Merci. Nous allons étudier tout ça.

Je redresse d'un coup la tête. L'inspecteur pousse son fauteuil en arrière et se lève.

— C'est tout ?

Il fronce les sourcils.

— Nous en avons terminé. À moins que vous n'ayez d'autres informations à me communiquer ?

— Non. Mais j'aimerais savoir ce que vous allez faire.

— Mon travail, me répond-il, du tac au tac.

Je me retiens de lui balancer que j'ai l'impression de le faire, moi, son travail. À la place, je me lève également de ma chaise, la replace correctement et quitte la pièce.

Je l'entends me souhaiter une bonne soirée, je fais de même en espérant qu'il la consacrera à rechercher Juliette. Sincèrement, je n'ai pas le sentiment qu'il en fasse une priorité. 


Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant