61. En fin de soirée

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Je lui emboîte le pas.

— Je suis garé un peu plus loin, m'annonce Stan.

J'opine en réponse. Un violent coup de vent s'engouffre dans mes cheveux qui me fouettent le visage. Un frisson me secoue tout le corps.

Frigorifiée, je rentre la tête dans les épaules. Cette tenue n'est clairement pas adaptée à la température ambiante. Un bon jogging chaud fera très bien l'affaire à la prochaine soirée.

Je sors rapidement mon téléphone de ma poche pour vérifier l'heure. Je suis dans les temps, tout va bien. De toute façon, il y a de grandes chances pour que tout le monde dorme à la maison. Mes parents savent que je respecte les horaires, ils restent rarement debout à m'attendre.

Stan avance rapidement jusqu'à ce qu'il atteigne une vieille voiture garée sur le bas-côté. Il s'arrête à côté de la portière conducteur. Je vais pour ouvrir la portière avant passager quand il me dit :

— Ça te dérange pas de monter à l'arrière ? Je dois aussi déposer un pote.

— Pas de souci.

Je m'installe sur la banquette arrière, Stan sur son siège. Il tapote le rétroviseur pour l'orienter vers moi. Je croise son regard, tente de lui sourire sans réussir. Je ne me sens vraiment pas bien. J'ai mal au cœur. Mal à la tête. La bouche pâteuse. Les pensées en vrac. J'ai hâte d'être chez moi, dans mon lit.

Je grelotte. Il caille dans la voiture. Je me blottis dans mon manteau.

— Le chauffage ne fonctionne pas, désolé.

— Y a pas de mal, je réponds.

Je suis déjà bien contente de ne pas me taper le trajet à pied, je ne vais quand même pas me plaindre des conditions de transport !

Le silence tombe. J'ai mal au cœur. Mon Dieu, j'ai vraiment hâte d'être dans mon lit. Peut-être même d'abord dans mes toilettes. Je me sentirai sûrement mieux après ?

On patiente jusqu'à ce qu'enfin, la portière s'ouvre.

— Putain, pas trop tôt ! lâche Stan. On a failli t'attendre.

— Déso, Stan, lui répond son pote en montant, sans plus d'explication.

Stan affiche un air contrarié. Ça va, on n'a pas attendu tant que ça. Il démarre. Le pote me regarde par-dessus son épaule, m'adresse un petit sourire.

— Tu as passé une bonne soirée, on dirait.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? je marmonne.

Mon élocution est laborieuse. Je crois que je vais m'abstenir de faire des phrases longues. Peut-être même des phrases tout court. Il hausse les épaules en souriant.

— Je dis ça comme ça.

Puis il se retourne et regarde devant lui. Stan met de la musique et monte le volume. Il siffle à tue-tête tandis que son voisin entonne le refrain. La scène me paraît bizarre, l'atmosphère surréaliste. Comme si j'étais en pleine virée avec deux potes, alors que je ne connais ces gars ni d'Eve ni d'Adam et que je ne rêve que du moment où cette voiture me laissera devant chez moi.

La voiture roule dans la nuit. Les phares éclairent la route. Tout est noir autour de nous. Je ferme les yeux, j'appuie le front contre le dos du repose-tête. J'essaye de faire abstraction des sauts que fait mon estomac à chaque virage. Et mes pensées, si embrumées, pourquoi je n'arrive pas à les ordonner ? D'ailleurs, à quoi je pensais à l'instant ? J'ai déjà oublié les secondes qui viennent de s'écouler.

J'ai des fourmillements dans les doigts et dans les pieds. J'espère que je ne vais pas faire de malaise dans cette voiture ! Vivement qu'on arrive. Vivement qu'on arrive.

J'entends les gars parler mais je ne saisis pas un mot. Une voix pousse soudain des jurons. Je sens que la voiture s'arrête, le moteur se coupe. J'ouvre péniblement les yeux et je regarde à travers la vitre. Je distingue peu de choses. Des arbres. De la neige.

— Tu habites là ? je m'entends demander d'une voix à peine audible.

Des rires accueillent ma question.

— Ici ? Non, ça ne risque pas !

Je balaye le paysage du regard. Est-ce qu'on est en pleine forêt ou j'hallucine ?

— On n'est pas en ville, je constate.

— C'est la route pour aller chez moi, dit le pote.

— Est-ce qu'on a un problème ? je demande.

— C'est la voiture qui a un souci.

— Merde, je fais en jetant un œil à l'heure.

J'ai un peu de marge, mais pas tant que ça.

— On va pouvoir repartir ?

Stan hausse les épaules et descend de voiture, vite imité par son voisin. Ils ouvrent le capot et disparaissent derrière. Après ce qui me semble une éternité, mais ne dure très certainement pas plus de quelques poignées de secondes, ma portière s'ouvre et Stan me lance :

— On ne va pas repartir. Il faut qu'on vienne nous chercher.

Le froid me pique les joues. Une sensation de chair de poule me court le long du corps. Le choc de température me donne encore plus la nausée. Je sens que je vais vomir. Je me penche vers l'extérieur, je me plie en deux et je vomis aux pieds de Stan.

— Oh putain ! s'exclame-t-il en reculant.

Je me sens faiblir, mon corps devient mou. Avant que je m'effondre sur le sol, Stan me retient et me replace sur mon siège.

— Tu es plus atteinte que ce que je croyais !

Je me rends compte de la violence de mes tremblements. Je redresse la tête et regarde autour de moi. Oui, on est bien en pleine forêt. Un peu plus loin, en hauteur, au milieu de la végétation couverte de neige, je vois un toit en bois. On dirait une cabane. 

Keep It QuietWhere stories live. Discover now