87. Mariam

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Je roule à vive allure sur la route. Direction la cabane. Je me gare au même endroit que la dernière fois, sur le bas-côté, et je refais le même trajet à travers la forêt. Différence étant que cette fois-ci, c'est en plein jour et que la forêt m'apparaît bien plus accueillante et plus agréable. Je pourrais prendre le temps de m'y promener si je n'avais pas une tâche bien précise qui m'avait amenée ici. Et ce n'est pas pour du loisir.

Je rejoins la cabane. À l'intérieur, personne. Autour, non plus. Pas âme qui vive. Les minutes s'écoulent. Toujours personne. Je décide de laisser passer encore quelques minutes supplémentaires avant de contacter LeFort.

Je ne reste pas en place, je fais les cent pas. La couche de neige recouvrant le sol a bien diminué, les températures désormais positives en ont fait fondre une bonne partie. Je marche, tête penchée vers le sol, à observer les traces que mes pas laissent dans la neige.

Je vais pour prendre mon téléphone et vérifier l'heure quand je le vois. Enfin, j'imagine que c'est lui. LeFort. J'ai de la chance de le voir en plein jour. C'est parce que je lui ai promis une grosse vente et que j'ai simulé un état de manque que j'ai réussi à caler un rendez-vous avec lui avant la nuit tombée.

N'empêche qu'il est bien prudent. Il est emmitouflé dans une énorme doudoune qui dissimule toute sa silhouette, une grosse écharpe est remontée sur le bas de son visage et sa grosse casquette en masque le haut. Je ne vois pas grand-chose. Ses yeux, principalement. Et ils n'ont rien de particulier. Ils sont foncés, sans aucun signe distinctif.

— Fais voir tes sous, me lance-t-il en s'approchant.

Le timbre de sa voix me dit alors quelque chose. Non, cette voix ne m'est pas inconnue, je l'ai déjà entendue quelque part. Mais où ?

— Je veux voir la marchandise, je lui rétorque.

Il s'immobilise. Va savoir si c'est à cause de l'aplomb avec lequel j'ai dit ça ou à cause de la formulation en elle-même. J'ai repris cette phrase d'un épisode d'une des dernières séries que j'ai visionnées. Est-ce que ça ne fait pas très réaliste, du coup ?

LeFort fait gonfler sa bulle de chewing-gum jusqu'à ce qu'elle éclate.

— Bien essayé, mais on ne me la fait pas à moi. Si tu as entendu parler de LeFort, tu sais que j'ai du bon matos. Par contre, moi, je n'ai jamais entendu parler de toi. Tu es recommandée par une bonne cliente, OK, mais est-ce que tu es une bonne payeuse, j'en sais que dalle.

Cette voix. C'est fou. Je n'arrive pas à me rappeler où je l'ai entendue.

— Je suis Mariam. Mariam Diallo. Tu n'as peut-être jamais entendu parler de moi, mais de ma meilleure amie, certainement que si. Juliette Prévost.

Il sursaute et se raidit. Sa réaction me paraît étrange.

— Tu es l'amie de cette nana ?

J'avance d'un pas vers lui.

— Ta tête me disait un truc, ajoute-t-il tout bas, comme pour lui-même.

— Je n'ai jamais été aussi présente sur les réseaux sociaux que depuis qu'elle a disparu. Et c'est dans ce coin, ici même, qu'elle s'est volatilisée !

J'étends les bras et je fais un grand mouvement circulaire pour désigner la zone qui nous entoure.

— Dans ta zone de deal. Un soir où tu vendais !

Je continue d'avancer lentement vers lui tout en parlant.

— Oui, je sais que tu étais ici le soir où elle a été agressée. Le soir où deux ordures l'ont abandonnée dans la cabane après l'avoir violée !

Je prends conscience que je me suis mise à hurler. Le mec ne bouge pas, trop scotché, dérouté par mon attitude, on dirait.

— Qu'est-ce que tu lui a fait, putain ?

Je ne suis plus qu'à deux mètres de lui.

— Qu'est-ce que tu as fait à ma meilleure amie ?? Réponds !

Sans crier gare, je fais un bond et je lui saute dessus. Je lui enlève sa casquette et m'en empare. Et là, je le reconnais. Le serveur du bar. Le radin qui ne voulait pas me filer des sucres pour faire mes tours. C'est donc lui le dealer. Le fameux LeFort. Je retiens mon souffle.

— Rends-moi ça, connasse ! s'époumone-t-il en tentant de m'arracher sa casquette des mains.

Je la maintiens fermement entre mes doigts et pousse LeFort pour me dégager. On se débat, il tombe au sol. Dans sa chute, quelque chose s'échappe de sa ceinture. Un flingue. Je reste immobile, pétrifiée. Je laisse échapper sa casquette qui atterrit, elle aussi, par terre.

— Une arme ! Tu as une arme, je note avec effroi. Qu'est-ce que tu lui as fait ?

LeFort ramasse son pistolet qu'il glisse vite dans la poche intérieure de sa doudoune.

— Rien, putain ! Rien du tout ! hurle-t-il. Je l'ai vue mais je lui ai rien fait à ta putain de copine !

Il replace sa casquette sur sa tête et dissimule à nouveau son visage, mais maintenant, ça ne sert plus à rien.

— Je sais qui tu es, maintenant. Je vais pouvoir te dénoncer et tu seras obligé de dire ce que tu lui as fait !

Je suis prête à tout. Je me fous de son flingue. Qu'il l'utilise contre moi, au moins, ça permettra de l'arrêter !

Il me saisit le poignet et le serre de plus en plus fort. Il me coupe la circulation, je ne sens plus ma main. Mais je m'en fous. La douleur ne m'atteint pas. Je souris à LeFort avec provocation.

— Tu peux me menacer tant que tu veux, ça ne servira à rien. Je n'ai pas peur de toi.

Son regard s'assombrit davantage. Sa main libre se pose sur la poche où il a glissé son arme.

— Je te déconseille...

Il laisse la fin de sa phrase en suspens. Sur l'instant, je ne comprends pas pourquoi il s'arrête. Puis, en entendant un bruit, je crois deviner.

Au départ, je crois rêver, mais très vite, je me rends compte qu'elles sont bien réelles. Des sirènes de secours résonnent et on entend des cris. Des gens m'appellent. Des policiers, certainement. Je souris intérieurement, c'est Antonin qui les a envoyés. Ou bien Leo ? L'un des deux en tout cas, c'est plus que certain.

LeFort jure entre ses dents et me lâche brusquement le bras. Il me dévisage, vert de colère.

— La police, putain ?! Tu as appelé les flics !

Je me penche encore plus près de lui. L'odeur de son parfum me prend les narines. Le genre de parfum que les mecs mettent en s'imaginant que ça leur donne du caractère. Loin de là, le résultat. Bien au contraire, même.

— Ton petit deal est terminé, mon cher, je lui chuchote. Tu ne vendras plus ta merde à personne. Et tu n'attaqueras plus personne.

Il fait volte-face et se met à courir. Pour la première fois de ma vie, je m'élance et je cours à en perdre haleine. Il est hors de question que ce gars s'échappe.

C'est à ce moment-là que je vois une patrouille débouler et foncer droit sur LeFort. En quelques secondes, il se retrouve plaqué au sol, face contre terre, dans la neige. Les policiers lui disent ses droits tout en lui enfilant des menottes, alors qu'il a les bras pliés dans le dos. Ils l'aident à se relever et l'embarquent.

Deux policières viennent vers moi et me demandent si je vais bien. Je hoche la tête, même si je tremble de tous mes membres. Ma respiration est laborieuse. Mon corps réagit maintenant à ce que je viens de vivre.

— Tout cela aurait pu très mal tourner, me dit l'une des policières.

Je sais. Je le réalise là, maintenant. 



Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant