52. Pendant la soirée

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Antonin a décampé si vite que je n'aurais pas pu le rattraper, même si je l'avais voulu. Mais comme je ne le souhaitais pas, tout va bien. Enfin non, tout ne va pas bien. Je n'arrive pas à croire qu'il a débarqué complètement arraché à une soirée sur laquelle il crachait littéralement (si je me souviens bien « l'élite de merde de ce lycée sera réuni là » sont ses mots, entre autres phrases bien salées), et pour me balancer de la manière la plus inélégante qui soit qu'il « m'aimait ».

Si les sentiments étaient réciproques, j'aurais dû l'accueillir à bras ouverts vu la façon dont il m'a annoncé son amour ?! Après cette magnifique annonce, on aurait dû se rouler le patin le plus langoureux qui soit ?! Non, sérieusement, je mérite mieux que ça. J'avais plus l'impression de me faire engueuler que d'être face à un garçon en pleine déclaration d'amour.

Je suis peut-être trop romantique ou vieux jeu, ou tout bonnement normale, excusez-moi !, mais j'aurais voulu qu'il le fasse dans d'autres circonstances. Au moins en enlevant l'alcool de l'équation. Et si seulement je pouvais partager ses sentiments ! Tout serait si simple. Antonin est quelqu'un de bien. Mais pas pour moi. Et surtout pas quand il agit comme ça !

Putain, merci Anto. Je profitais d'une super soirée et tu es venu en gâcher les derniers moments. Moi qui n'étais que joie, tu as réussi à me mettre d'une humeur massacrante.

J'ai regagné l'intérieur de la maison, transie de froid, et je suis directement allée remplir mon verre du premier alcool qui m'est tombé sous la main. C'est fort, c'est dégueu mais ça m'a fait un bien fou. Du coup, je m'en verse une nouvelle rasade que j'avale en deux grosses gorgées. Je me ressers, un peu maladroitement car j'en fous la moitié à côté quand une voix masculine dit, juste derrière mon oreille :

— Un souci ?

Je sursaute et pose une main sur mon cœur qui ne doit pas être loin des mille battements à la minute. On n'a pas idée de venir murmurer à l'oreille des gens !

Je pivote et tombe nez à nez avec un mec rasé, posté trop près de moi à mon goût. Je lui jette un regard oblique. C'est une manie dans cette soirée que les mecs ne respectent pas le concept d'espace vital personnel ?! Laisser une distance minimale de sécurité entre deux personnes, c'est de notoriété publique, non ?

Le gars doit se rendre compte de mon mécontentement car il recule et m'adresse un petit sourire.

— Tout va parfaitement bien, je réponds un peu sèchement. Merci.

Le mec n'est pas convaincu.

— Vraiment ? Tu marmonnes dans ta barbe et tu as le visage si froissé qu'on dirait que tu grimaces.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire à cette image.

— Je suis la séduction incarnée !

Ma voix part dans les aigus. Quelle horreur. L'alcool m'attaque sévère, il n'y a plus aucun doute là-dessus. On va s'arrêter là et passer à l'eau. Je ne vais pas tarder à devoir rentrer chez moi et si ma mère est toujours debout à mon arrivée, je ne donne pas cher de ma peau...

— Je vais m'asseoir.

Je me mets à marcher, pas droit du tout. Je vacille, je sens qu'on me saisit doucement par le bras.

— Je t'escorte jusqu'au canapé.

Je me laisse faire. Je dois reconnaître que ça me va bien. Je me laisse tomber sur le canapé.

— Bon, je me repose cinq minutes après j'y vais.

— Tu vas où ?

Je pouffe.

— Chez moi !

Le mec reste debout devant moi.

— Tu veux un peu d'eau ?

— Hum. Pourquoi pas ?

Sans ajouter un mot, je le vois récupérer une bouteille posée sur la grande table dans un coin du salon et revenir vers moi. Il me la tend.

— Je n'ai plus de verre, je dis.

— Si ça ne te gêne pas de boire directement au goulot, tu devrais attaquer cette bouteille.

Je la fixe. Elle est pleine. Neuve. Le gars esquisse un sourire.

— Honnêtement, je pense que la boire entièrement ne serait peut-être pas une mauvaise idée avant de rentrer chez toi, je me trompe ?

— J'ai l'air si bourrée que ça ?

Il sourit franchement.

— Tu attends une réponse honnête ?

Je me contente d'ouvrir la bouteille et de boire directement au goulot, comme conseillé. Et mon Dieu que ça fait du bien ! Je reprends ma respiration avant de me remettre à boire à grandes gorgées.

— Tu rentres avec qui ?

— Avec moi-même.

— Tu rentres comment ?

— J'ai des jambes.

— Qui doivent te mener jusqu'où ?

— Derrière la mairie.

— Avec ce froid ? À cette heure-ci ? OK. Je te ramène.

— Quel gentleman.

— C'est juste que j'ai une petite sœur et je n'aimerais pas la voir rentrer seule à pas d'heure à moitié déchirée. J'aurais peur de ce qui pourrait lui arriver.

— Quel gentleman, je répète.

Il se met à rire.

— Ou juste un gars normal.

— Certes. Mais je ne sais même pas ton nom.

Il se met à rire.

— Je m'appelle Stan. On est dans le même bahut. Ça te va ? C'est suffisant pour que je te ramène chez toi ou tu veux une copie de ma pièce d'identité ?

— OK, Stan. Je termine ma bouteille et je récupère mes affaires.

— Je te retrouve sur le perron.

Je fais d'abord un crochet par les toilettes. Quand je vois ma tête dans le miroir, j'ai un mouvement de recul. Cette tronche ! Alors, on va prier fort pour que ma mère dorme. Et pour que le litre d'eau que j'ingère redonne une forme normale et acceptable visuellement à mon visage.

Je passe dans la pièce où se trouvent mes affaires pour récupérer mon manteau et mon sac. Le tas a sacrément diminué. Nombre d'invités sont déjà partis.

Dehors, il fait un froid glacial, un filet de fumée blanche s'échappe de ma bouche. Je fourre mes mains dans mes poches.

Stan me fait signe de le suivre.

— En route, gente dame !


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