70. Après la soirée

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— C'est quoi, ça ? je demande.

— Quoi, ça ?

Je désigne la cabane de l'index. Stan suit mon doigt du regard.

— La cabane des fiestas. Tu ne connais pas ?!

J'ai entendu des rumeurs sur des endroits comme celui-ci, disséminés dans la forêt, où des fêtes seraient organisées.

Je me mets à claquer des dents. La fumée qui s'échappe de mes lèvres se dissipe dans l'air glacial.

— J'ai tellement froid, je murmure en me blottissant dans le siège.

Stan et son ami sont debout à côté de ma portière toujours ouverte. La neige recommence à tomber. Le vent fait virevolter les flocons autour de la voiture. Certains dansent dans la lumière des phares.

— On n'a qu'à aller se réfugier dans la cabane, lance Stan en enfonçant son bonnet sur ses oreilles. Tu y auras plus chaud que dans ma vieille caisse sans chauffage.

Je hausse les épaules. Je veux être chez moi. Mais là, tout de suite, je suis consciente que ce n'est pas possible. Je veux arrêter de trembler de froid. Et si ça, c'est possible je vote pour.

Stan regarde son pote qui ne réagit pas. Il secoue la main devant son visage.

— Oh ! Juanito, tu m'entends ? Jean !

Le fameux Jean me jette un regard en coin.

— On rentre ?

Stan éclate d'un petit rire sec.

— On ne peut pas, je te rappelle ! On doit attendre mon frère. Qu'il vienne dépanner la caisse.

Un léger silence plane.

— Attendons dans la voiture alors, propose Jean.

— Elle a froid, tu as les oreilles bouchées ou quoi ? Y a pas de chauffage, on va se les cailler. Autant aller dans la cabane.

— Mais si ton frère arrive...

— Tu sais à quoi servent les portables ?

— Mais ça ne capte...

— Bon ! le coupe brutalement Stan, l'air agacé. Reste là, si tu veux. C'est même très bien, comme ça tu accueilleras mon frère quand il arrivera. Moi, je vais attendre dans la cabane.

Il se tourne vers moi.

— Tu veux venir ou pas ?

Je suis curieuse. Je l'ai toujours été. Et je gèle. En plus, ce n'est pas comme si cela nous faisait perdre du temps, on est bloqués ici pour l'instant.

— Tu vas voir, elle est super ! s'exclame Stan.

La neige crisse sous mes pieds tandis que nous nous acheminons vers la cabane. Les immenses arbres qui nous entourent sont tous recouverts d'une épaisse couche blanche.

L'espace de quelques secondes, je renverse la tête en arrière et fixe le ciel noir étincelant d'étoiles. C'est tellement beau. J'aimerais m'allonger sur le sol et rester à l'admirer. Mariam serait la première à s'extasier devant ce spectacle. Je pense alors à mon amie. Est-elle bien rentrée ? Est-elle profondément endormie au fond de son lit ? Je ne manquerai pas de lui faire un message, une fois chez moi, pour lui raconter toutes mes péripéties. Enfin, si je ne sombre pas avant.

— Stan ! l'appelle son ami.

Le concerné l'ignore superbement. En s'éloignant de la route, la nuit se fait noire. Il n'y a plus de lumière. Soudain, mon pied s'enfonce dans un trou, je manque de chuter. Stan me rattrape et évite de justesse que des branches nous fouettent le visage. Stan active la lampe sur son téléphone.

— C'est mieux là.

J'entends quelqu'un souffler bruyamment et des pas dans la neige. Jean nous a finalement suivis.

— Je savais que je pouvais compter sur toi, Juanito, affirme Stan en continuant de progresser dans la neige avec aisance, comme s'il faisait souvent ça.

La cabane s'élève devant nous dans l'obscurité. Je m'attendais à une construction bien plus artisanale, elle semble avoir été bâtie avec application.

— Qui l'a faite ? je souffle tout bas, comme si j'avais peur qu'on nous surprenne.

— Aucune idée, me répond Stan en poussant le battant de bois qui grince en tournant sur ses gonds.

Il m'invite à me glisser par l'ouverture. Dans l'espace sombre, je devine une table. Pas de canapé, mais des matelas posés dans un coin et des chaises qui traînent. Une soirée a dû s'y dérouler très récemment car des bouteilles et cannettes traînent un peu partout sur le sol. Des mégots gisent aussi ça et là. Rien de bien extraordinaire ici. Par contre, il est vrai qu'il y fait bien moins froid que dans la voiture. Peut-être grâce aux épais murs de bois ?

Un bruit de choc résonne. La voix de Jean s'élève.

— Putain !

— Qu'est-ce que t'as ? grommelle Stan en braquant la lumière sur lui.

— Ma veste s'est prise dans cette putain de porte !

Jean se débat puis, d'un geste brusque, il tire sur sa manche et se dégage. Il continue à marmonner pendant quelques secondes. Soudain, il fait noir.

— On voit que dalle, Stan.

— On n'a pas besoin d'y voir, réplique-t-il.

J'entends cliqueter la molette métallique d'un briquet. Je fais volte-face. Derrière moi, Stan vient d'allumer un joint. Il aspire quelques bouffées puis me le tend. Je refuse d'un signe de tête, mais comme j'ignore si Stan le voit, je dis tout haut :

— Sans façon.

Stan passe alors le joint à Jean, puis s'approche de moi. Très très proche de moi.

— Ça te plaît ?

— De quoi ? je bégaye quelque peu.

Il affiche un drôle de sourire.

— Ce que tu as devant les yeux.

— La cabane ?

Il éclate de rire, puis, brusquement, m'embrasse. Je le repousse.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Son regard est froid, le rictus au coin de ses lèvres mauvais. Ça me donne des fourmillements dans la nuque.

Sans dire un mot, il me saisit de nouveau, très violemment, et me fait avancer à reculons. Mes pensées se bousculent, je suis pétrifiée.

Je me sens chuter en arrière, je ferme les yeux, craignant le choc avec le sol, mais j'atterris sur une matière souple. Un matelas. Je garde les yeux clos. Le corps ébranlé par un sanglot, mon cœur bat à cent à l'heure. Je suis incapable de parler.

Stan se tient au-dessus de moi. Je sens ses mains sur moi. Sous mes vêtements.

Je n'entends plus rien d'autre que son souffle saccadé contre mon cou.

Je ne sens plus rien d'autre que l'odeur de sa transpiration.

Je ne suis plus là. C'est comme si mon esprit s'imaginait ailleurs. Comme si tout mon être se déconnectait de ce qu'il est en train de vivre.

Non, je ne suis plus là. Je ne suis tout simplement plus là. 

Keep It QuietWhere stories live. Discover now