59. Mariam

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Je ne dors pas de la nuit. Je cogite. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Si son téléphone n'est pas la clé de tout, il peut très certainement nous renseigner.

Aux aurores, je quitte la maison et je prends la direction du lycée. En arrivant sur le parvis, je jette un coup d'œil à ma montre. Je ne suis jamais arrivée aussi tôt !

Tout en observant les arrivées des profs et des élèves, je grignote mon sachet d'amandes. J'avale la dernière gorgée de jus d'orange en observant les groupes d'élèves se former autour de moi.

Quand je vois Leo traverser la rue, je trottine pour le rejoindre. Mains dans les poches, l'air tranquille, il avance de son pas calme et souple. Il a toujours la démarche assurée de celui qui sait ce qu'il veut et où il va. Avant la disparition de Juliette, j'aurais eu tendance à prendre ça pour de l'arrogance, mais maintenant que je commence à le connaître, je dois dire que c'est un défaut que Leo n'a pas.

— Hello !

— Salut Mariam.

Il m'adresse un regard soucieux.

— Ça va ? Tu fais une drôle de tête.

— J'ai la tête de celle qui n'a pas dormi, je présume. J'ai fait nuit blanche.

— Nuit blanche ?! Pourquoi ?

— Disons que le sommeil était difficile à trouver. J'ai beaucoup réfléchi aux publications sur les réseaux sociaux, à ce que disent les uns et les autres.

— Tu ne devrais pas te prendre la tête avec tout ce qui est dit, ça peut...

Je lève la main pour l'interrompre.

— Ne t'inquiète pas ! Je ne me suis pas montée la tête. Ça m'a amenée à penser à une chose importante et j'aurais encore besoin de ton aide. Est-ce que tu es calé en informatique ?

Il secoue la tête.

— Je suis calé dans certains domaines, mais pas celui-là.

— Et dans tes amis, les gens autour de toi ?

Il fronce les sourcils, réfléchit quelques instants et m'apprend :

— Baptiste se débrouille bien. Après ça dépend à quel niveau. Tu veux de l'aide pour quoi faire ?

— Est-ce qu'on pourrait localiser le téléphone de Juliette ?

— Je dirais que oui. Après c'est peut-être différent s'il est éteint ou allumé.

— Il est toujours éteint. Aucun de mes messages n'est arrivé depuis ta soirée.

— OK. Baptiste saura gérer ça, j'imagine.

Une voix s'élève derrière nous.

— Salut.

Antonin nous a rejoint. On le salue en retour.

— Tout va bien ? s'enquiert-il.

— C'est ma tête qui t'inquiète ?

Antonin sourit.

— Je n'osais pas te le dire.

— C'est si catastrophique ?

Les deux garçons échangent un regard.

— Disons qu'il est assez flagrant que tu es préoccupée en ce moment.

Antonin ébauche un sourire.

— Joliment dit. Moi, je l'aurais formulé différemment.

Je croise les bras sur ma poitrine, faussement vexée.

— Et tu l'aurais formulé comment, précisément ? Je suis curieuse.

— Tu as la tronche d'un mort-vivant.

Je lui envoie mon poing dans l'épaule. Il grimace.

— J'ai le droit d'être honnête, non, en tant qu'ami ?

Je vais pour lui répondre quand une voix inconnue prononce mon prénom. Je me retourne. Trois filles sont postées derrière nous. Deux brunes et une rousse. Cette dernière me demande :

— C'est bien toi, l'amie de la fille disparue ?

Je me contente d'opiner. Qu'est-ce qu'elles me veulent ? La rousse m'offre un grand sourire.

— J'aimerais mettre mes capacités à ta disposition.

— Tes capacités ? je répète.

La cloche sonne à cet instant. Ça se met en mouvement autour de nous. De notre côté, personne ne bouge.

— On pourrait contacter les esprits pour savoir où se trouve Juliette.

C'est une blague ?

— Une séance de spiritisme, précise une des brunes, au cas où je n'aurais pas compris.

— Tu sais ce que c'est, quand même, le spiritisme ? me demande la troisième, en exagérant l'articulation, comme si j'étais abrutie.

Je m'efforce de ne pas m'énerver. Je serre les dents et réponds le plus calmement possible :

— On va faire sans, merci.

La rousse arque un sourcil.

— Tu ne veux pas tout faire pour retrouver ton amie ?

Alors, je lui envoie mon poing dans le visage tout de suite ou je lui adresse d'abord quelques amabilités ?

Antonin devine mon degré de colère, il me saisit le poignet.

— Ça a sonné. On doit y aller.

— Si tu changes d'avis, si tu es une vraie amie, on sera au CDI ce midi.

— Une vraie amie ?

Je suis prise d'un fou rire nerveux. Antonin me tire par le bras.

— Laisse tomber, Ma, me chuchote-t-il. On va être en retard en cours, viens.

Le surnom « Ma » est généralement réservé aux situations critiques. Celle-ci en est une. Je fusille les trois filles du regard et ravale mes insultes. Antonin m'entraîne avec lui. Leo nous suit, non sans avoir d'abord dévisager les trois filles.

— Je vais leur refaire le portrait, je dis à Antonin.

— On verra ça plus tard.

— Grognasses.

Leo parcourt quelques mètres avec nous. Il pose sa main sur mon épaule et plante son regard dans le mien.

— Zappe ces filles. Elles n'ont pas la moindre idée de tout ce que tu fais pour Juliette. Ne laisse pas les mots de ces ignares te toucher.

— Ignares ?

— C'est pour rester poli.

Le sourire qu'il m'adresse fait baisser ma pression.

— Je m'occupe de ce que tu m'as demandé, je te tiens au courant dès que j'en ai parlé avec Baptiste, d'accord ?

J'esquisse un petit signe de tête en guise d'acquiescement.

— Grognasses ?

— J'avais bien plus violent en tête.

Il rigole.

— J'imagine.

La deuxième sonnerie résonne. Il est temps de se dépêcher. Nos chemins se séparent à l'angle de deux couloirs. J'avance avec Antonin. Je pivote légèrement.

— Leo !

Il se tourne vers nous.

— Merci pour tout.

Il sourit une nouvelle fois.

— Avec plaisir. 

Keep It QuietOnde histórias criam vida. Descubra agora