24. Mariam

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Ce dimanche n'est pas le genre de dimanche que je passe d'ordinaire en famille avec mon père et mes sœurs. Pas de balade dans la neige en raquettes ni de jeux de société au chaud dans le salon ou encore d'après-midi à se regarder des vieux films d'horreur, blottis les uns contre les autres dans le canapé.

Je reste dans ma chambre à actualiser sans cesse la publication de Leo, espérant des réponses intéressantes. Malheureusement, pour le moment, personne n'en donne. La plupart des gens qui réagissent ne voient même pas de qui Leo parle.

Je scrute les réseaux sociaux, basculant d'un compte à un autre pour faire défiler toutes les photos prises lors de la fête. Juliette apparaît sur certaines. Elles ont quasiment toutes été prises alors que j'étais encore présente. Sur la plupart des photos, je suis d'ailleurs à côté de Juliette. J'ai beau regarder encore et encore chacun des clichés, à en détailler le contenu, rien ne me saute aux yeux. Rien ne me semble notable. Rien ne me paraît suspect. Je sais que je n'ai pas accès à toutes les photos qui ont été prises, pas mal de personnes mettent leur compte en privé. Je dois me contenter de celles qui sont visibles pour le moment.

Des chuchotements me font lever les yeux de l'écran. Je vois mes sœurs sur le seuil de ma chambre.

— Qu'est-ce que vous fabriquez plantées là ?

— On peut entrer ? me demande Aminata.

C'est bien la première fois qu'elle me pose la question. D'habitude, autant l'une que l'autre déboule dans ma chambre sans la moindre invitation et que je sois présente ou non. Je ne compte pas le nombre de fois où j'ai noté qu'elles y avaient fait un passage en m'apercevant qu'il manquait un tee-shirt dans mon armoire ou un bouquin sur une étagère.

Couchée à plat-ventre sur mon lit, je me redresse avant de leur faire signe qu'elles peuvent venir. Aminata s'assied au bord du lit, tandis que Kadiatou marche de long en large dans la pièce. J'essaye de leur sourire sans vraiment y parvenir. Difficile de masquer mon inquiétude.

— Tu cherches toujours Juliette ? me demande Kadi en entortillant ses cheveux autour de ses doigts.

— Oui.

— Tu crois que c'est différent cette fois-ci ?

Mes sœurs, comme beaucoup d'autres personnes, sont au courant de la fugue de Juliette. Paniqués, ses parents n'avaient attendu que quelques heures avant de contacter la police. Cette dernière avait tout de suite pris la disparition de Juliette au sérieux et avait été très réactive pour lancer les recherches. Juliette s'était pris un sacré savon quand elle était rentrée à Antis.

— J'en ai la conviction, oui.

Aminata me regarde d'un air sceptique.

— Comment tu peux en être aussi sûre ?

— Je le sais, c'est tout.

Pour moi, Juliette n'est pas partie, comme la dernière fois. Elle n'a pas de nouveau fugué, je n'y crois pas un seul instant. La situation n'est pas du tout la même que l'an dernier. Juliette va bien. Elle a prévu de partir loin avec moi, pas toute seule.

Aminata porte la main à son oreille et la triture nerveusement.

— Tu penses qu'il lui est arrivé quelque chose ?

— Évidemment qu'il lui est arrivé quelque chose ! lui rétorque frontalement sa jumelle.

— Kadi ! je la reprends.

— Bah quoi ? C'est vrai, non ? C'est pas ce que tu penses ? Qu'il lui est arrivé un malheur ?

— Pourquoi un malheur ? lui demande Aminata. Tu vois toujours tout en noir.

— Tu crois, quoi ? Qu'elle est partie faire une promenade en solo et qu'elle a oublié de prévenir tout le monde ?! Toi, tu vis vraiment dans un monde de Bisounours !

Aminata la foudroie du regard.

— C'est pas vrai ! proteste-t-elle vivement.

— Oh que si ! s'égosille Kadiatou.

Je les interromps en levant les mains.

— S'il vous plaît, les filles.

Elles se taisent immédiatement.

— Pardon, lâchent-elles ensuite d'une même voix.

— Si on peut éviter les disputes futiles aujourd'hui, ça m'arrangerait.

Mutiques, les jumelles échangent un regard contrit.

— Bien-sûr, dit Aminata.

Je me frotte les yeux, devenus secs et douloureux à force de fixer l'écran. Depuis combien d'heures je suis plongée dans mon téléphone ?

— Est-ce qu'il y a quelque chose qu'on peut faire ?

— Oui, est-ce qu'on peut te donner un coup de main ?

Je hausse les épaules.

— C'est gentil, les filles. Pour le moment, je ne vois pas trop ce que vous pouvez faire hormis ne pas trop vous disputer toutes les deux.

Aminata esquisse un sourire.

— En quoi ça va aider ?

Je me penche vers elle et pince ses bonnes joues rondes.

— Ça va soulager mes oreilles !

Les jumelles se mettent à rire.

— S'il n'y a que ça pour te faire plaisir, considère que c'est OK, valide Aminata.

— Mais que pour aujourd'hui, modère Kadiatou avec un clin d'œil.

— Ça m'ira déjà très bien.

Mes sœurs s'apprêtent à sortir de ma chambre quand Aminata me dit :

— On est là, hein.

— Toujours, complète sa jumelle.

Je réponds d'un petit signe de tête.

Je sais que je peux compter sur mes sœurs. On a toujours été unies et depuis le décès de notre mère, on est encore plus soudées. Si l'une de nous est triste, les autres le seront aussi. Si l'une de nous a besoin d'aide, les autres n'hésiteront pas une seule seconde à proposer la leur.

Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant