La Taverne de l'Ogre - Tome 1

Chapitre 6

— J'en ai encore une meilleure... C'est l'histoire d'un homme qui téléphone à sa femme pour la prévenir qu'il passera chez l'opticien après son travail. Sa femme lui demande alors ce qu'il fera ensuite. Et il lui répond : « On verra ! »

Sam croisa les bras sur son torse, fier de sa blague. Une lueur espiègle traversa ses yeux. Lou, quant à elle, pouffa et recracha la moitié de sa gorgée. Boire en écoutant des blagues était décidément une très mauvaise idée. Lou attrapa une serviette en papier pour s'essuyer le visage, le rouge aux joues.

— C'est bon, je rends les armes ! Tu me bats à plat de couture sur ce coup-là.

Lou posa ses mains contre sa tasse encore chaude. C'était déjà la deuxième dont elle se délectait. Ça lui faisait vraiment du bien, son moral était au beau fixe. Pour une fois, elle passait un bon moment en dehors de chez elle. Certes, ses sorties avec Iris étaient toujours très agréables, mais la peur qui était toujours omniprésente noircissait le tableau.

Cette soirée avec Sam la rendait heureuse finalement. Elle se sentait comme les autres jeunes femmes de son âge : Lou était de sortie un vendredi soir dans un café et bien accompagnée qui plus est.

Sam était vraiment quelqu'un de gentil. Loin de ses amis, il était drôle et différent. Si seulement ce garçon ne s'entêtait pas à trainer avec des crapules.

Lou profitait de cet intermède comme si c'était le dernier. Elle avait beau y faire abstraction, cette soirée ne se poursuivrait pas jusqu'aux petites heures. Elle avait une mission à accomplir.

Les yeux émeraude de Lou se posèrent sur Sam qui souriait de toutes ses dents. Elle l'observa avec attention et une idée folle lui parvint. Elle ferait n'importe quoi pour revoir ce sourire étincelant. Elle n'avait aucune envie qu'une fois sortie de ce café, l'idylle se termine. Lou désirait ressentir à nouveau des papillons dans le ventre lorsqu'elle le verrait. Cependant, l'ombre de son père trainait encore et toujours dans son sillage. La jeune femme pourrait lui cacher sa relation, mais le risque était bien trop important. Si son père apprenait qu'elle fréquentait un garçon, elle ne donnerait pas cher de sa peau.

En même temps, peut-être que Lou se faisait des idées. Peut-être bien que Sam n'avait aucune envie de la revoir après cette soirée. Ce sourire étincelant était peut-être factice.

Lou avait tellement pris l'habitude de jouer la comédie avec ses sentiments, ses attentes et ses envies, qu'elle ne comprenait plus les vraies relations humaines. Elle les évitait même au maximum depuis plusieurs années. Iris était la seule qu'elle entretenait avec beaucoup de soins. Ce n'était pas tous les jours évidents, mais elle avait l'impression de ne pas trop mal s'en sortir.

Perdue dans ses pensées, Lou remarqua que les lèvres de Sam bougeaient devant elle, mais aucun son ne lui parvenait. Sam déposa sa main sur la sienne, la serrant légèrement.

Lou revint à la réalité et intercepta sa question.

— Qu'en dirais-tu ?

La jeune femme rougit, confuse. Elle n'avait rien écouté et maintenant, elle était perdue. Elle voulut lui demander de répéter, mais Sam prit cette gêne pour de l'hésitation.

— Je sais que c'est un peu rapide, mais je ne sais pas... Je me sens si bien avec toi. J'ai l'impression de te connaître depuis des années. Alors que nous n'avons jamais vraiment eu l'occasion de discuter tous les deux auparavant.

Un voile impassible se matérialisa sur le visage de la jeune femme. Les mains de Lou devinrent moites. Son cœur s'emballa. Elle crut que ce dernier lâcherait tant il vrombissait dans sa poitrine.