La Taverne de l'Ogre - Tome 1

Chapitre 8

Un liquide vermeil s'écoulait dans l'évier en inox de la cuisine. Il eut un mouvement de rotation, un gargouillis dans les canalisations et le robinet crachota de l'eau claire. Deux mains recouvertes d'une substance poisseuse se frottèrent entre elles vigoureusement sous le robinet.

Tom observait ses mains se mouvoir la mort dans l'âme. Son esprit était comme dans un état second. Il ne comprenait pas comment il avait pu craquer. Comment avait-il pu laisser l'Ogre prendre les rênes de cette façon ?

L'Ogre, toujours bien présent, grogna. La culpabilité de Tom enraillait son plaisir. S'il l'avait pu, il l'aurait chassé une bonne fois pour toutes. Cependant, Tom restait accroché comme une moule sur son rocher.

L'image de l'autre imbécile lui revint à l'esprit. Pourquoi diable s'était-il jeté sur lui ? Il aurait dû se douter qu'il signerait son arrêt de mort.

L'Ogre aurait aimé que tout se passe différemment. Il aurait pu lui prélever un peu de chair pour s'en délecter comme entremets. Non, il avait réagi comme un enfant. Résultat des courses, il oscillait entre la vie et la mort.

En même temps, il aurait dû se douter que ce garçon lui causerait du souci. Tom les avait aperçus dans la rue et l'Ogre avait sauté sur l'occasion. Il aurait été trop bête de laisser passer une chance pareille.

Tom avait essayé de s'interposer contre la volonté de l'Ogre, mais sa faim insatiable avait eu raison de sa volonté. Porté par une pulsion dévorante, l'Ogre avait relégué Tom au rôle de spectateur. Il avait été contraint d'observer de loin la scène sans intervention possible.

Heureusement pour l'Ogre, Lou était occupée autre part. Dans le cas contraire, Tom aurait eu la force nécessaire pour se battre et pour reprendre le contrôle de la situation. Lou était son talon d'Achille et en même temps son moteur. L'Ogre détestait le reconnaître, mais Lou rendait Tom plus fort. Lorsqu'elle était dans les parages, il n'arrivait pas à prendre le contrôle.

L'Ogre était sûr d'une chose. Tom avait peur qu'il fasse du mal à Lou. C'était pour cette raison qu'il était très rarement en contact avec elle.

Finalement, la peur de Tom arrangeait bien l'Ogre. Moins il voyait Lou et mieux il se portait. Il ne la portait pas dans son cœur et c'était réciproque.

L'Ogre remarqua que leurs mains n'étaient plus souillées par du sang. Il s'apprêta à fermer le robinet, lorsque l'esprit de Tom s'interposa. L'Ogre avait peut-être l'impression que son méfait avait disparu dans les égouts, mais Tom n'était pas de cet avis.

L'Ogre soupira, mécontent. Pourtant, il accéda à la requête de Tom qui prit le contrôle de leur corps le temps de se nettoyer à nouveau les mains. L'Ogre sentit des pensées parasitaires entrer dans son esprit. L'image du bidon d'eau de javel entreposé sous l'évier s'imposa à lui. Avant que Tom n'ait le temps de réagir, l'Ogre reprit les commandes.

— Ça suffit !

Leur corps s'arrêta net. Tom se sentit mal, mais l'Ogre s'en moquait. Il en avait plus qu'assez de ces enfantillages.

D'un mouvement sec, il ferma le robinet et attrapa la serviette traînant sur le plan de travail à côté de lui. Il s'essuya les mains, puis il la lança dans l'évier.

— On ne peut pas le laisser comme ça...

Les pensées de Tom assaillirent à nouveau l'Ogre. Il se maudit. Il n'avait pas pris le temps d'ériger ses barrières mentales afin de couper court à leur connexion.

— Que comptes-tu faire, intervint l'Ogre froidement. Tu penses peut-être le sauver avec un malheureux bandage ?

Le long silence qui suivit dans leur tête ne plut pas à l'Ogre. Il soupira et se passa une main sur le visage.