La Taverne de l'Ogre - Tome 1

Chapitre 25

Éric observa l'Ogre avec un œil nouveau. Le psychiatre n'avait pas été surpris par le changement d'intonation dans la voix de son patient. Il avait déjà eu l'occasion d'étudier des cas similaires de système avec plusieurs alters. Cependant, ceux qu'il avait pu rencontrer n'étaient pas dangereux. Aucun des alters avec qui il avait eu affaire n'était un danger pour la société ou pour le système. Le système qui lui faisait face semblait très particulier et il fascinait le psychiatre qui n'avait qu'une seule hâte que l'Ogre lui livre leur histoire.

Éric se saisit de son carnet et de son stylo, prêt à prendre des notes, comme un élève exemplaire. Il lança un regard d'encouragement à l'Ogre pour l'inciter à lui parler. Éric se racla la gorge. Il avait tant de questions en tête qu'il ne savait pas par où commencer. Il était tellement excité de se retrouver enfin devant lui qu'il en perdait ses moyens. Le psychiatre savait que son comportement manquait d'éthique, mais il s'en moquait. Une opportunité comme celle-là, il n'y en aura peut-être plus jamais dans sa vie.

L'Ogre observait toujours le psychiatre avec curiosité. Pour un homme qui voulait tant le rencontrer, il ne le trouvait pas très bavard.

Éric bougea pour une position plus confortable, mais bizarrement aucune ne le mettait à l'aise. Éric se sentit à l'étroit dans ses habits. Une vague de chaleur s'était éprise de lui.

Il lança un regard à l'Ogre qui n'avait pas bougé d'un cil et qui l'observait toujours avec cet œil tantôt curieux, tantôt inquisiteur et ce petit sourire au coin des lèvres.

— Comment vous appelez-vous ? poursuivit Éric en essayant de reprendre de la contenance.

Il essayait de faire bonne figure, mais la présence de l'Ogre l'oppressait. L'ambiance avait changé.

Éric sentait battre son cœur au niveau de ses tempes. Et son corps était aussi tendu qu'un arc. Le psychiatre ne comprenait pas ce qui était en train de lui arriver, mais il essaya d'en faire abstraction. Cette séance serait peut-être la seule et unique chance pour lui de percer les mystères de cette entité.

L'Ogre pencha la tête sur le côté. Un long silence s'était installé entre eux. Il savourait le mal-être qui avait pris possession d'Éric et s'amusait à l'entretenir. Il continua à l'observer longuement avant de se décider à lui répondre.

— Vous me connaissez pourtant, docteur...

La voix de l'Ogre se montrait bien plus grave que celle de Tom, mais aussi légèrement traînante. Le sourire qu'il affichait en permanence rendait l'image de ce vieillard quelque peu effrayante.

Quiconque croiserait cet homme dans la rue pourrait lui donner le bon Dieu sans confession. Pourtant, dès qu'il ouvrait la bouche, l'impression d'innocence disparaissait comme neige au soleil.

Éric déglutit difficilement et fit mine d'inscrire quelque chose sur son calepin. Depuis que l'Ogre avait pris possession de ce corps, il n'arrivait plus à le regarder droit dans les yeux. Il était même en train de se demander si invoquer cet alter était une si bonne idée.

— Je sais que vous n'êtes pas Tom, affirma Éric. J'aimerais connaître votre nom, ce serait plus convivial, ne trouvez-vous pas ?

Éric se serait bien mis des claques. Pourquoi avait-il parlé de convivialité ? Il se trouvait face à un tueur en série cannibale de surcroit, et il se comportait comme s'ils allaient prendre le thé.

L'Ogre s'en amusait. Il menait la danse et il se rendit compte que ça lui avait manqué durant toutes ces années.

Une vague d'idées plus alléchantes les unes que les autres traversa son esprit. Ses yeux brillèrent d'une nouvelle lueur en observant le psychiatre. Il ne put s'empêcher de se demander quel goût il aurait.