Chapitre III (partie 2)

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Le jardin de la cour de réception gringottait un bruit délicieux. Les ombres des tours le blottissaient de la chaleur farouche. Des bourgeons rechignaient encore à s'ouvrir... mais la majorité des corolles se découvraient en un chapelet de coloris éblouissants. Ici, marié à une façade bistre, un bougainvillier violacé s'embellissait jour après jour et lorgnait galamment un parapet adjacent ; là, un massif d'hortensia ; à gauche, des pervenches, des roses blanches, des orchidées. Et leurs parfums en étaient témoins ! cette sérénade de couleur respirait, étourdissante, flottait dans l'air, inconsistante, comme le firmament étoilé d'une nuit d'été.

Des feuilles émeraude, enguirlandées aux branches des arbres, poussaient contre les murs et chuchotaient au château ces histoires captivantes que la nature partage. La fluidité de leur murmure se mariait à la rumeur d'un bassin d'eau, qu'un ingénieux système alimentait par pulsation successive – Gelfried l'ingénieur l'avait conçu. Nénuphars et mystérieux organismes y vivaient, comme à demeure. Cet étang bordait un îlot auquel on accédait par une passerelle de bois. Une pergola y était bâtie, ombrageant une table encombrée d'un service en porcelaine et de mets en tout genre. Ces derniers charriaient déjà des odeurs succulentes. Sur un plateau, on avait disposé des rafraîchissements : eau citronnée et vin blanc flattaient les iris bleues de la dame d'Arbrejais.

— Qu'en penses-tu ? présenta Irène, enlaçant le bras de son frère.

Elle s'exprima avec la fatuité du jeune artiste en découverte d'un talent ignoré ; cette parcelle de beauté sise à l'intérieur de leurs murs, elle l'avait elle-même aménagée.

— À couper le souffle, applaudit Égyle.

Et il illustra son émerveillement en faisant mine de s'étouffer.

— Arrête de faire l'idiot et installe-toi, pouffa-t-elle.

Assis sur de confortables sièges en osier, ils dégustèrent l'heureux repas concocté pour l'occasion. Aux fruits, dont le jus explosait en mille saveurs au contact de la langue, se substitua un bœuf rôti à la texture moelleuse. Puisqu'Égyle n'avait plus fait si bonne chère depuis leur anoblissement à Furipic, il s'essuya les lèvres avec raffinement une fois son assiette finie et confessa :

— La maison m'avait manqué.

— Elle te manquera rapidement, j'en ai peur, dit Irène après s'être libérée d'un rot discret. J'ai préféré avancer notre départ, pour ne pas nous empresser sur les routes.

— Sage décision. À quand l'as-tu fixé ?

— Dans une semaine, au plus tard.

Elle trempa le bout de ses lèvres dans son vin et enchaîna, attentive à ses réactions :

— Tu ne devais pas arriver avant demain. Qu'est-ce qui a précipité ta venue ?

— En un simple mot : Melgort.

Au milieu du calme du jardin, de sa tiède atmosphère, le nom du comté eut l'impact d'une pierre heurtant la surface de l'étang.

— Puisque tu évoques le sujet, commenta-t-elle, parlons-en. Comment est le château ?

— En ruine, bougonna son frère, plein d'amertume.

Elle échoua à simuler la surprise. Elle s'y attendait.

— Et le reste du domaine ?

— Je ne pensais pas qu'on parviendrait à faire pire... à croire que je ne possède pas suffisamment d'imagination. Sur tout le comté, Jehal nous a offert le pire cinquième. Des terres en friches pour la plupart, et délaissées ! J'ai croisé une trentaine de paysans qui y subsistent quand j'ai opéré un tour du fief. Ils sont indociles, indisciplinés, et ont même tenté une escarmouche de nuit sur mon campement. Inutile de détailler, mais ils ne s'acquittent plus de leur impôt ! Bah, c'est pas comme s'il y avait grand-chose à cueillir. À la première sécheresse ou peste, ils seront tous morts. L'entretien du château et d'une armée pour le défendre va nous ruiner.

Au crépuscule, il y avait des loupsWhere stories live. Discover now