Chapitre 1

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- Yann ! On s'en fout d'Hamilton, arrête de nous faire chier avec lui !

Je relève la tête des papiers importants qui me prennent la tête depuis ce matin pour comprendre ce qu'il se passe avec les deux ados qui vivent chez moi depuis quelques temps maintenant.

— Tu t'intéresse à rien à part ta putain de télé-réalité. Putain, ils auraient pu me caser avec quelqu'un d'intéressant plutôt que dans cette baraque de merde !

Je fronce les sourcils, je suis obligée d'intervenir, ce n'est pas un conflit mineur.

— Ça va, tu ne veux pas mettre un peu plus de putain dans tes phrases ? Rappelle-toi que cette baraque de merde, c'est chez moi. Et quelle est la règle ici ?

— On règle les conflits dans le calme, grognent-t-ils en coeur. »

Je pose mon stylo et ferme mon ordinateur et leur fait signe de venir s'asseoir à la table, en face de moi. Cela donne des airs de tribunal, mais vivre avec deux ados à l'histoire si compliquée rend parfois cela nécessaire.

— Quel est le problème ?

Manon croise les bras sur sa poitrine, elle ne parlera pas en premier. Je me tourne vers Yann, plus enclin à m'expliquer la situation.

— Dans cinq minutes, c'est le Grand Prix de Bahreïn qui commence. Verstappen est en pole, Hamilton va devoir se battre pour gagner. Je ne veux pas rater ça, résume-t-il.

Il n'a que seize ans, mais il est tellement mature pour son âge, preuve de tout ce qu'il a dû traverser. Nous ne savons même pas qui sont ses parents, il ne nous en a jamais parlé. Un jour, il est arrivé à l'association dans laquelle je suis bénévole, qui vient en aide aux adolescents en difficulté, sans nous expliquer sa situation, juste en appelant à l'aide.

Alors que certains de mes collègues hésitaient, Jeff, mon supérieur, compris, au vu du manque d'informations à son sujet, je l'ai pris sous mon aile. Depuis un an, il vit avec Manon, une adolescente née de parents français qui s'est retrouvée à douze ans en Angleterre, seule, et moi. Vivre avec deux adolescents de seize ans, aux centres d'intérêt tout à fait différent, ce n'est pas simple tous les jours. Malgré ça, je fais de mon mieux pour leur offrir une bien meilleure vie à mes côtés que ce qu'ils ont dû connaître auparavant. Au fil du temps passé avec eux, j'ai gagné leur respect et leur confiance.

— Manon, quel est le problème ?

Elle soupire légèrement, mais finit par décroiser ses bras et par s'ouvrir.

— Je n'ai pas envie de regarder des voitures tourner en rond sur un circuit. J'ai des émissions à regarder, mais il ne veut pas me laisser la télé.

C'est à mon tour de soupirer. C'est exactement le genre de conflit que je n'aurais jamais cru avoir à résoudre un jour, surtout quand je me suis persuadée après ma dernière rupture, que je n'avais besoin d'aucune relation sérieuse dans ma vie.

— Bien, ça dure combien de temps, un Grand Prix ?

— Tu as un ami pilote et tu ne le sais même pas ? S'étonne Yann.

— Alex n'est pas mon ami parce qu'il est pilote, tu le sais.

Mon amitié avec Alex Albon m'a grandement aidé à gagner la confiance du gamin quand il a commencé à s'intéresser à ce milieu, quelques semaines après être arrivé à la maison.

Notre rencontre avec Alex n'a rien à voir avec son métier. J'étais en déplacement pour mon job, qui n'exige pas que je sois présente dans un bureau, mais que je fasse quelques déplacements dans l'année, et je suis tombée complètement par hasard sur lui, dans un bar. Je ne savais pas qui il était, nous nous sommes liés d'amitié, il ne m'a avoué que bien plus tard qui il était réellement. J'ai toujours gardé contact avec lui, c'est un de mes amis les plus précieux, malgré le peu d'occasions que j'ai de le voir, avec son emploi du temps de folie.

— C'est dommage qu'il n'ait pas eu de contrat cette année, il a du talent.

Je repense à sa joie quand il est entré chez RedBull, puis à sa peine quand il n'a pas eu d'occasion de remonter dans une Formule 1 pour cette année. L'avenir lui amènera de meilleures choses, j'en suis sûre.

— Vous changez de sujet, là, nous fait remarquer Manon.

Elle nous dévisage, avec son air d'adolescente résignée et braquée.

— Je réitère ma question, combien de temps ça dure ?

— Deux heures si tout va bien, trois heures maximum.

Je réfléchis rapidement à une solution pouvant convenir aux deux, ce qui n'est pas toujours évident à trouver.

— Bien, j'ai un deal. On laisse la télé à la Formule 1, pour ce week-end et tous les autres week-ends de Grand Prix, sauf exception.

Alors que Manon s'apprêtait à prendre la parole, je la coupe pour finir.

— En échange, tu as la main sur la télé toute la semaine pour regarder ce que tu souhaites, Yann ne pourra rien te dire.

Elle réfléchis une seconde à ce que je leur propose, avant de sourire.

— On est ok ? Plus de bataille de télécommande ?

Ils hochent tous les deux la tête.

— Allez, dépêchez-vous ou vous allez louper le départ.

Yann se dépêche de retourner sur le canapé et remettre la bonne chaîne. Il allume pile au moment où les feux s'éteignent et les monoplaces s'élancent sur la piste du Grand Prix de Bahreïn. Manon lève même les yeux de son téléphone pour regarder de temps en temps, se prenant au jeu sous les commentaires de Yann.

Quand il est arrivé, il avait rarement eu accès à de la technologie et à la quantité d'informations qu'on peut avoir. Il s'est jeté sur tout le savoir qu'il pouvait prendre, et le monde de la Formule 1 l'a immédiatement intéressé. Quand il a rencontré Alex, il était aux anges.

Je prends mon téléphone et envoie une photo de mes deux ados devant la télé au pilote thaïlandais.

Je vais être obligée de suivre la saison à cause d'eux...

Sa réponse ne tarde pas à venir.

Tu vas enfin être une amie digne de moi ! Comment ils vont mes deux ados préférés ?

Je ris devant son message. Nous discutons un peu avant que je me remette au boulot, avec le bruit de moteur en arrière-plan, et les exclamations des commentateurs. Peut-être qu'un jour je prendrai le temps de m'intéresser à ce milieu. Yann sera un très bon professeur, vu comment il enseigne tout ce qu'il sait à Manon, en ce moment-même.

Un nom attire mon attention sur le classement des pilotes. George Russel. Nous étions camarades de classe quand nous étions jeunes, avant qu'il ne quitte complètement le système scolaire classique. On ne peut pas dire que je le portais dans mon coeur, je ne sais pas s'il est toujours aussi imbu de lui-même et égoïste, mais j'espère ne jamais avoir à le découvrir.

Manon pose une question assez technique à Yann, qui lui répond avec enthousiasme.

Je les regarde, le sourire aux lèvres.

Je ne pourrais pas être plus heureuse qu'actuellement. J'ai un travail qui me plaît, dans une grosse boite de marketing, que je peux faire à distance, qui me permet énormément de temps libre tout en me payant convenablement. J'ai deux adorables adolescents à charge, qui sont tellement intéressants et tellement bienveillants. J'ai de très bons amis, qui travaillent plus dur que moi et ne comprennent pas comment j'ai le temps de faire tout ce que je fais en une journée.

Si seulement j'avais pu savoir ce qui allait me tomber dessus, j'aurais au moins eu le temps de m'y préparer. 

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