𝙛𝙖𝙡𝙡𝙞𝙣𝙜.

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astrid.

l'image se figea.

silence.

on n'entendait plus que le grésillement
du vieux caméscope.

puis, le pépiement d'un oiseau
vint percer la bulle
qui semblait m'avoir enveloppée
pendant que ces souvenirs
défilaient sur l'écran de l'appareil.

alors, sans prévenir,
le monde se remit à tourner.

comme je détestais son arrogance.
il semblait me juger de toute sa hauteur,
conscient que mon monde à moi
s'était écroulé,
et me chuchotait à l'oreille avec indifférence :
moi je suis toujours là.

je posai un regard peiné
sur l'image figée
avec l'espoir ridicule que
si je la fixais assez longtemps,
cette barrière virtuelle s'évaporerait
pour me laisser me blottir dans tes bras.

mais j'avais beau le désirer de tout mon cœur,
au final, je restais seule et misérable
au pied de cette pierre tombale
que je haïssais
dans ce cimetière
que je haïssais
plus encore.

si ça ne tenait qu'à moi,
j'aurais emmené ton corps
sur la plus haute montagne.
aux portes des cieux.

au plus près de ta mère.

tu reposerais loin des gens ordinaires,
et tu veillerais sur moi
telle une déesse depuis l'olympe.

le vent se leva,
séchant pour moi
les larmes qui noyaient mes joues.

des teintes oranges et roses
s'emparèrent des cieux
tandis que le soleil
s'empressait de finir sa course
derrière l'horizon.

pourtant, je ne pouvais
me résoudre à rentrer.

chaque fois que je venais te rendre visite,
je redoutais le moment du départ
qui se faisait de plus en plus douloureux.

j'avais l'impression de t'abandonner
encore une fois.

malgré les cris de mon cœur
qui me priait de rester,
je me levai péniblement,
accueillant avec résignation
le poids de ma détresse sur mes épaules.

j'entendais mon âme se déchirer un peu plus
alors que je déposai mon caméscope
sur la pierre froide où était gravé ton nom.

je me refusais d'être égoïste
au point de revivre ces souvenirs
sans toi.

ainsi, je me dis qu'ils
s'éteindront dans tes bras,
emportant avec eux
une partie de moi.
cette pensée me fît
doucement sourire.

je finis par déposer ma lettre
aux côtés du caméscope.
cette lettre que j'avais rédigé
quelques jours après ton départ,
dans laquelle j'avais laissé
mes mots couler
et mon cœur saigner.

puis, étouffant un sanglot
dans le col de mon manteau,
je me résignai à tourner les talons,
laissant derrière moi
nos souvenirs,
ton sourire,
et un morceau de mon cœur.

Ma douce Juliet,
En me décidant à t'écrire cette lettre,
je croyais pouvoir décharger ma colère, te hurler à quelle point je te détestais de m'avoir abandonné, t'écrire noir sur blanc ma rancoeur et ma haine. Mais la vérité m'est apparue aussitôt que mon crayon s'est posé sur le papier. Cette colère et cette haine que je croyais ressentir dissimulent en réalité une douleur et une tristesse profondes qui me consument chaque minute qui passe. Sans compter cette culpabilité qui me dévore de l'intérieur, jusqu'à m'en réveiller la nuit, et qui me hante de ses murmures :
« Tout est de ta faute. Tu aurais pu empêcher tout ça. Tout était là, devant tes yeux depuis le début, mais tu as choisis de l'ignorer de peur de la vérité. Tu aurais pu empêcher tout ça. Elle avait besoin de toi et tu l'as laissé tomber. Tu aurais pu empêcher tout ça.
Elle est morte par ta faute. »
Et j'ai beau essayer de me convaincre du contraire, cette petite voix se fait de plus en plus forte. J'ai mal Juliet, chaque minute que Dieu fait, mais je sais que cette douleur n'est rien comparée à celle qui t'as poussé au bord du précipice. Pas une seconde ne passe sans que je me répète à quel point j'aimerais pouvoir échanger nos places. À quel point j'aurais aimé comprendre ta douleur plus tôt, te la prendre et la garder juste pour moi, l'étouffer à petit feu pour ne plus jamais qu'elle te fasse de mal.
Mais c'est trop tard. Et je regretterai chaque jour qui passe la vie pleine de promesses qu'on aurait pu avoir. Je me voyais vieillir et mourir à tes côtés Juliet, mais ce n'était pas dans les plans de l'univers.
Alors je te promets de continuer à vivre pour toi. J'irai vagabonder de pays en pays à la recherche de moments à capturer. Et je te les offrirai, tous jusqu'au dernier.
Je ne crois pas que cette douleur me quittera un jour, mais je m'en fiche. Je la chérirai jusqu'à la fin comme la preuve de ton passage dans ma vie. Où que tu sois, je sais que cette lettre te parviendra. Il le faut. Pour que tu entendes tout ce que je n'ai pas pu te dire.
Je t'aime de tout mon cœur.
Et j'ai espoir que toi aussi.
Mais au fond de moi je le sais. Je l'ai lu dans tes sourires et les battements de ton cœur.

Nous étions tombées amoureuses.
Mais je ne savais pas que pour toi,
la chute serait fatale.

Encore une chose.
Chaque soir, nous nous donnerons rendez-vous dans le ciel étoilé. Je sais que tu seras là.
À veiller sur moi comme tu l'as toujours fait.

Tu me manques, Juliet.
Embrasse ta maman pour moi.

Avec toi pour toujours,
Ash

the art of falling.Where stories live. Discover now